Ibrahim Al-Koni : La loi du désert

Publié le 07 mai 2015 par Yasida

La loi du désert

Né en 1948 en Libye dans une tribu touareg, Ibrahim al-Koni fait des études de lettres à Moscou, devient journaliste à Varsovie, puis travaille à l'ambassade de Libye à Moscou. Saluée par de nombreuses distinctions, son oeuvre compte plus d'une cinquantaine d'ouvrages. Il vit aujourd'hui à Thoune (Suisse).

L'un des plus grands écrivains contemporains de langue arabe, Ibrahim al-Koni reste encore très méconnu en France. Seulement six de ses livres ont été traduits, mais ils montrent à eux seuls l'évidence de son immense talent de conteur. Le saignement de la pierre et Poussière d'or ont révélé, lors de leur parution, une vision inédite du Sahara, loin de tous les poncifs, et un sens admirable de la métaphore. Les mages, écrit en 1991 mais qui vient seulement de paraître en France, s'impose comme l'un des plus beaux romans récents. Dans cette épopée de plus de six cents pages, une caravane trouve refuge auprès d'une tribu du désert. Rapidement, les marchands violent la loi sacrée selon laquelle tout individu restant plus de quarante jours deviendra esclave. Ils s'installent alors sans vergogne, et construisent une cité propice au commerce. Mais les esprits du sable et du vent n'apprécient que modérément le non-respect des lois... Les destins individuels embrassent la morale et la mythologie, avec un lyrisme fascinant. Et la magie opère.   Lire

 

Ibrahim Al Koni : Un geste pour la révolution grise

Modibo FOFANA - 27/12/2010

L’écrivain Ibrahim Al Koni vient de remporter le prix du 5e Forum du roman arabe. Il vient d’offrir la totalité des 10 000 dollars de récompense à l’association l’Ecole des sables

Ibrahim Al Koni, un écrivain au grand coeur


Ibrahim AL-KONI est né en 1948 dans le désert Libyen. De culture touareg, il n'apprend à écrire l'arabe qu'à l'âge de 12 ans. Il fait ensuite des études d'histoire et de journalisme en ex-URSS, avant de s'installer en Pologne. Si l'on excepte deux brefs recueils de nouvelles parus en 1975 et 1976, ce n'est qu'à la fin des années 80 qu'il fait connaître au monde son œuvre (plus de 20 titres publiés à ce jour), saluée à travers tout le monde arabe — au moins dans les cercles éclairés — comme l'une des révélations majeures de cette fin de siècle. Un premier roman traduit en français (Poussière d'or, Gallimard, 1998), puis deux autres (L'Herbe de la nuit et Le Saignement de la pierre, L'Esprit des Péninsules, 2000 et 2001), ainsi que quelques nouvelles recueillies dans la revue Le Serpent à plumes, lui ont valu les plus hauts témoignages d'admiration :
« Retenez bien le nom de cet auteur : Ibrahim Al-Koni réunit les dons d'un grand artiste et ceux d'un profond connaisseur des différentes traditions littéraires arabes. Il est temps que le public européen le connaisse et lise ses œuvres. Inutile d'ajouter qu'il ne s'agit pas du pain — ni d'un succédané de pain — de tous les jours. » écrivait Juan Goytisolo du Nouvel Observateur. Son oeuvre a été couronnée par de nombreux prix littéraires, parmi lesquels le prix spécial de l’Etat suisse pour l’ensemble de son œuvre, le prix du roman saharien, le prix Sheikh Zayed Boo Award et le prix Mondello. « Ange, qui es-tu ? », son dernier ouvrage, est sorti en 2010 et rencontre déjà un grand succès. Ibrahim Al-Koni vient de recevoir la semaine dernière au Caire en Egypte le prix du 5ème forum du roman arabe pour l'ensemble de son oeuvre et il a décidé d'offrir le montant de son chèque aux écoles des sables d’Er Intedjeft dans la région de Tombouctou, de Taboye dans la région de Gao et de Tallabite dans la région de Kidal.

Ibrahim Al-Koni

Ibrahim Al-Koni : Libye paie un prix élevé pour la liberté

Le pouvoir et la tyrannie sont les thèmes dominants des livres d’Ibrahim al-Koni. Cet écrivain libyen installé en Suisse s’est rendu tout récemment dans son pays, actuellement en proie à une révolte populaire réprimée dans le sang. Sa conclusion: « La Libye était mûre pour une révolution »

Après avoir grandi dans l’immensité du désert libyen, Ibrahim al-Koni vit aujourd’hui retiré au pied des Alpes suisses. Il donne peu d’interviews, encore moins sur des sujets politiques, en remarquant qu’après tout il n’est ni politicien ni militant, mais écrivain, et que ce qu’il a à dire est dans ses livres.

Mais voilà que les remous qui agitent le monde arabe et la violence inouïe exercée par Kadhafi contre son peuple le font sortir de sa réserve. « J’étais justement en Libye pour deux mois, pour voir mon frère malade, quand le marchand ambulant Mohammed Bouazizi s’est immolé par le feu en Tunisie et que les premières manifestations contre le régime ont commencé », raconte-t-il.

Pacifique, tolérante et patiente

C’est donc avec joie qu’il a suivi les révolutions en Tunisie et en Egypte et qu’il a pressenti que le tour de la Libye serait bientôt venu: «La Libye était mûre pour une révolution.» Il a quitté son pays d’origine le 15 février, la veille du début des manifestations en Libye.

Le courage de ses compatriotes ne l’étonne pas. La population libyenne est selon lui la plus pacifique, tolérante et patiente qui soit mais, après quarante-deux ans de dictature, la pression était devenue trop forte. « Lorsque les Libyennes et les Libyens ont vu les Tunisiens et les Egyptiens renverser leur dictateur, ils ont pris conscience que Kadhafi n’était pas non plus invincible », explique l’écrivain. La résistance contre le régime de Kadhafi suscite des sentiments ambivalents chez lui: « Je me réjouis de voir les gens se battre avec autant de détermination contre la dictature, mais cette violence m’attriste beaucoup. La population est en train de payer sa liberté au prix fort.»

Déçu de la révolution de Kadhafi

Depuis des décennies, la vie culturelle et intellectuelle libyenne est limitée à de petits cercles individuels, la liberté de la presse étant bâillonnée par un régime arbitraire et brutal. La littérature libyenne est très peu connue en Occident. Ibrahim al-Koni fait pourtant partie des écrivains les plus importants du monde arabe. Onze de ses 70 livres sont traduits en allemand. Ils se passent dans le désert et parlent surtout de pouvoir et de tyrannie. <Ce n’est pas un hasard, puisque Ibrahim al-Koni, issu d’une tribu touareg du désert libyen, a vécu le putsch militaire de Kadhafi en 1969, alors qu’il était jeune journaliste à Tripoli. « Nous avons vite été déçus par la soi-disant révolution promise par Kadhafi. J’étais de plus en plus en conflit avec le régime et je me sentais menacé », raconte-t-il. C’est pourquoi il est parti en Union soviétique en 1970. Après des études de littérature à l’Institut Gorki de Moscou, il a travaillé comme journaliste à Varsovie et à Moscou, avant de venir en Suisse en 1993.

La fuite devant la tyrannie

Dans ses romans, l’écrivain libyen traite du pouvoir et de la tyrannie de manière métaphorique. Paru l’année dernière en allemand, le dernier d’entre eux, Das Herrscherkleid (l’habit du souverain), raconte de manière kafkaïenne comment un souverain déchu se retrouve dans une oasis déserte. Sommé de rendre son habit d’apparat, il s’avère qu’il ne peut le retirer sans s’arracher la peau et, donc, mourir. Il se défend alors avec une violence brutale. Ce roman, dont le titre original est La Tumeur, dépeint la tyrannie comme un cancer mortel.

Pour l’auteur, il ne s’agit pas seulement d’un roman à clé sur la dictature libyenne, mais aussi sur les méfaits des aspirations humaines au pouvoir au niveau philosophique.

Ibrahim al-Koni a été récompensé par de nombreux prix littéraires, y compris le Prix de l’Etat libyen d’art et de littérature. Sa réputation internationale lui a assuré une certaine sécurité dans son pays : « Le régime me respectait » Mais il était surveillé par les services secrets à chacune de ses visites.

Ces dernières années, le fils de Mouammar Kadhafi, Seif al-Islam, avait suscité certains espoirs de modernisation du pays et de liberté accrue. «Mais le père Kadhafi a balayé ce projet. Il tient les réformes pour superflues, surtout depuis qu’il est redevenu fréquentable pour les Européens», explique encore l’écrivain.

Suzanne Schanda

Swissinfo

Les révolutions, une passion nihiliste?
Ibrahim Al Koni est l'un des auteurs libyens les plus influents. Il vit depuis 1993 en Suisse à Thoune. Son oeuvre est imposante, riche d'une soixantaine de romans et d'essais. Il livre ici une réflexion sur la justice de transition, douloureux passage post-révolutionnaire.

  Le Temps

Les maisons d'Al-Koni

Extrait

" Prenant l'aspect Twareg de l'écriture de Al-Koni permet sérieusement de reconnaître une carte radicalement redessiné du monde-un dans lequel le Sahara est un plein, plutôt que l'espace vide; celui dans lequel le Touareg se trouve pas sur les bords, mais le centre de l'histoire. Les romans de Al-Koni prennent place dans un monde désertique qui est, en dépit de sa désolation, étonnamment riche en ce sens que partout il ya des êtres qui luttent pour vivre vivent. Dans la fiction de Al-Koni, le sens de la vie est toujours liée à lutter. Ainsi, les romans de Al-Koni suggèrent paradoxalement que seulement ici-dans les coins les plus difficiles du désert déchets fait émerger la vie dans son sens le plus riche. "

Elliott Colla

Président du Département des études arabes et islamiques à l'Université de Georgetown.Il est traducteur d'œuvres d'Al-Koni, y compris Gold Dust (AUC Press, 2008), et les animistes.