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Langue à croquer !

Publié le 14 octobre 2007 par Decrauze
Timour Serguei Bogousslavski et sa Morue de Brixton m’offrent quelques plaisirs stylistiques. Ce récit d’une vie mouvementée, en rupture avec une société saisie au scalpel, pourrait m’inciter à convertir mon témoignage chronologique en cohérence littéraire. Pas encore mûr pour cela. La distance temporelle fera peut-être émerger des détails et affûtera mes propos comme ceux de ce « jeune écrivain de quatre-vingt-quatre ans » en 1998, ainsi que l’annonce la quatrième de couverture de ce pavé aux joyaux incisifs.
A l’avenant : « l’Auriol frottait le trône de son cul social, et j’eus plaisir à me souvenir d’avoir, par élan poétique et mépris d’aristo, pissé, à Alger, dans le tiroir de son bureau ».
Pour souligner l’abjection du corps judiciaire faisandé, une charge pamphlétaire du plus bel effet : « Conscient de l’aspect terrifiant et funèbre de son rôle, monsieur le procureur vêtait de noir sa viande que l’on devinait molle sur des os pleins d’orgueil. Après avoir servi le Pétain et sa bande et croqué quelques juifs, il ne rougissait pas d’avoir pendu au mur le noble et fier tarin du général de Gaulle, et il demeurait blême. »
Et comme une implacable généralisation : « Dans le soupir j’appréciai l’esthétique nette et sure de l’état fonctionnaire : un peu de blé dans le goulot et le pantin fonctionne. »
Lucidité inaltérable : « les crimes, les iniquités, les corruptions étant inséparables de l’action politique, seuls les hommes définis par ces actes ambitionnent de s’y adonner et y réussissent. Le tour de leur monde est vite fait, bien qu’il soit sans limites dans ses turpitudes. » Le pauvre Bayrou devrait donc abandonner toute prétention au trône…
Sartre à la fête : Revel l’avait épinglé, Bogousslavski le cloue au pilori. « (…) ce Sartre, animal doté d’un machin mental rare, de talent, et pourtant avec ça nullité spirituelle éclatante. A propos de cet agité, dont l’encre racole encore les amants clopinants de la pensée bancale, il est bon, pour lui donner sa place sur l’échelle de l’esprit, de tirer de l’oubli qu’il fit imprimer et coller sur les murs de Paris la cafetière salvatrice du général de Gaulle pourvue des moustaches d’Hitler… Qu’il y ait parmi les clercs un nombre plus élevé de sots tordus qu’en d’autres espèces devrait être un sujet d’études. »
Mon oncle, coco déclaré et sartrien de fait, avait représenté un de mes grands cousins en cafetière moustachue… une référence indécelable, jusqu’à aujourd’hui, pour le pékin inculte que je suis ! Ce grand cousin, plutôt marqué à droite, s’est fait croquer par l’oncle sans pouvoir imaginer l’attaque clandestine dont il faisait l’objet sous couvert de production affective.
Même le gaulliste Malraux s’en prend une décapante ration : « Ce désir insatisfait m’inspirait devant le faux, le clinquant sottement admiré, et d’abord celui, fleuve, de la tronche à malices et à tics de Malraux, champion incontestable de la frime intellectuelle bien nourrie de bouillie savante. (…) Il me faisait penser à un mérou nerveux, gonflé de verbe[s] creux. »
Le pamphlétaire eut aussi ses admirations : Cocteau, Picasso, Fernand Léger…
Quelques trouvailles à encadrer : « Je n’aimais pas me lever tôt, les matins de la capitale puaient la sueur des pauvres et les pets des ambitieux… » ; « Le touriste, cette ordure animée qui salit la Terre de ses pas afin de fuir son vide et prendre des photos pour montrer à d’autres idiots ce qu’il n’eut pas le temps de voir, est la lèpre du siècle… » Je me fais du mal là…
Et les jockeys, qui eut pensé à les assaisonner : ils « avaient l’air de petits chimpanzés habillés. Ils faisaient jeu de cirque avec leurs culs menus [pluriel curieux], bien trop pour leurs culottes, leurs pattes un peu trop grêles et pas racées du tout à côté de celles des bourrins, leurs blouses de carnaval, leur barda sous le bras pour aller se faire peser comme des poulets ou du fromage sur les marchés. »
Identité de perception via les redoutées cours de récréation : « J’avais en horreur les braillards de mon âge, vulgaires et sots pour la plupart, bêtement brutaux et bruyants. » Tout ce qui emplit les stades à l’âge adulte, tardant à s’entasser dans les fosses très communes.
L’art de la description, il s’y adonne jusqu’au jubilatoire : « De sa vaste personne émanait une odeur légère de friture qui semblait donner la nausée à un grand Jésus crucifié, juste derrière lui sur le mur. » Un régal !
Aphorisme déniché : « Croire est le contraire de savoir, c’est le fourbi de la pensée arrangée en blindé aveugle. »
Terrible évidence assénée sur la piètre nature humaine : « Peu d’hommes sont capables de véritable errance, de marcher sur les chemins ultimes de la liberté où nul abri ni gamelle ne sont assurés au bout de la route et de la journée… »
Une autre, en telle symbiose avec mes convictions que je la surécris : « (…) je méprisais la foule, ses basses convictions et leur inévitable crotte : le fanatisme. Semblable au temps ou à la vie, le mépris est irréversible. Tendre la main à un homme, oui et toujours, aux hommes non, et à jamais. »
Enfin, instant d’une nostalgie pour mes fosses de l’irréalisé : « Souvent je songe aux destins à jamais inconnus de ces êtres à peine entrevus et qui pourtant demeurent en moi gravés, et je reçois d’eux la tristesse de n’avoir pu ni su les accompagner, peut-être les aimer, les aider sur l’horrible chemin de jours que toute vie finalement se révèle… » Piocher ça et là dans cette fresque humaine tourneboulante. A lire d’urgence donc.

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