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La ville

Par Jilcaplan
Hier, je suis invitée à dîner en banlieue
une banlieue ouest,
Ville d'Avray
Ville d'Avray je ne connais pas
mais ça me fait penser à Boris Vian.
J'enfourche mon scooter,
et, arrivée à la porte de St Cloud me reviennent, comme toujours,
les souvenirs de mon enfance,
de mes grands parents.
J'emprunte la longue et triste avenue du Général Leclerc.
De loin, je distingue l'immeuble en briques rouges,
les balcons en béton,
construction typique des HML des années 50
là où ont vécu mes grands-parents,
là où sont nées ma mère et ma tante
là où je suis allée régulièrement de ma naissance jusqu'à mes 18 ans.
Je sens encore l'odeur de poussière fraîche
l'odeur de l'ombre
l'odeur des escaliers
Les 6 étages à monter
le mobilier simple et propret
la TV couleur posée sur un meuble en bois laqué et brillant
le napperon en dessous
les déjeuners où l'on mangeait du chou rouge et du céleri à la crème,
des betteraves à la vinaigrette
en regardant Pierre Tchernia
Et le cosy de la chambre qui grinçait quand on on ouvrait les portes
les petits trésors que je gardais dedans,
en pensant que personnes n'irait fouiller mes affaires
Les étagères du couloir remplies des romans de la Série noire ou du Masque de mon grand père,
bien classés
beaucoup d' Exbrayat, quelques SAS,
et les partitions de ma grand mère,
reléguées dans un carton en haut d'un placard.
Le feu passe au vert, je sors d'un vieux songe.
Passé le Pont de Sèvres, la banlieue devient verdoyante
jolie, presque provinciale.
Vers les deux heures de demie du matin,
je reprends mon scooter pour rentrer chez moi,
exactement à l'opposé, tout à fait à l'est.
Je descends en zig-zagant les collines de Ville d'Avray et de Sèvres
personne dans les rues, le pont de Sèvres sans aucune voiture,
du jamais vu.
Je prends les quais de la rive droite,
des constructions inachevées de l'île Seguin se dressent comme des fantômes dans la nuit.
Je roule doucement pour profiter de la nuit calme,
de la Seine noire et argentée,
des péniches chargées de sables, de matériaux
qui filent sur l'eau, irréelles
Je suis euphorique
Parfois quelques accélérations pour sentir le vent sur mes joues,
la joie de la vitesse,
puis je ralenti, pour que ça dure plus longtemps.
Vraiment personne quai du Point du Jour.
Au loin, sur la rive gauche, la tour Eiffel, masse sombre et familière,
et le quartier Beaugrenelle.
Je me sens bien
à la fois le coeur serré pour je ne sais quelle raison
à la fois en paix.
Les voies express, le Trocadéro, le Grand Palais,
la magie des Tuileries, du Louvre,
je passe sous le pont Neuf, je pourrais presque toucher l'eau du fleuve
Comme tout est calme, comme tout est beau
La rue des Archives, soudain décevante avec son luxe parvenu,
ses bars déjà ringards à force de branchitude forcée
et de flaques de vomi
Je rentre chez moi, sur la colline de Ménilmontant,
j'ai roulé 20 kilomètres dans la nuit
et j'ai voyagé dans le temps
Je connais tellement bien Paris
je l'ai tellement traversé
et pourtant, j'en ai toujours des émotions.

La ville

L'immeuble en brique rouge




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