Magazine Histoire

Comment parler de la foi à un homme irréligieux ?

Par Roger Garaudy A Contre-Nuit


Comment parler de la foi à un homme irréligieux ?

Georges Rouault. Crucifixion. Vers 1939

Comment parler de la foi à un homme irréligieux ?

« Comment annoncer l'Évangile à un homme irréligieux ? »C'est la question que se posait le pasteur Bonhoeffer.Ce n'est point un hasard si les questions ultimes de la théologieet de ses renouvellements les plus inattendus en notre siècleont été posées par le pasteur Dietrich Bonhoeffer en saprison de Berlin-Tegel, entre le jour de son arrestation le 5 avril1943 et le jour de son exécution par la Gestapo le 9 avril 1945.« Les gens religieux parlent de Dieu quand les connaissanceshumaines se heurtent à leurs limites ou quand les forceshumaines font défaut..., soit pour résoudre en apparence desproblèmes insolubles, ou bien pour le faire intervenir commela force capable de subvenir à l'impuissance humaine ; bref, ilsexploitent la faiblesse et les limites de l'homme... J'aimeraisparler de l'homme non aux limites, mais au centre, non dansla faiblesse mais dans la force... La foi en la résurrection n'estpas la solution du problème de la mort... Dieu nous fait savoirqu'il nous fait vivre en tant qu'hommes qui parviennent à vivresans Dieu. Le Dieu qui est avec nous est celui qui nous abandonne(Me 15, 34: "Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as tuabandonné?")1 . »« Comment annoncer l'Evangile à un homme irréligieux ? »Ce problème est plus que jamais le nôtre au milieu des nouvellesfaillites de l'homme.1. Dietrich Bonhoeffer, Résistance et soumission, Éd. Labor et Fides,Genève, 1963, p. 123 et 162 (Lettre du 16 juillet 1944).Seule est possible une théologie fondamentale, c'est-à-diredégageant les fondements de la foi à partir d'expérienceshumaines. A toute question de l'homme il ne peut êtrerépondu qu'à partir d'une expérience de l'homme. Y comprisla question de la foi.Impossible donc de partir de la révélation comme si elle étaitun fait.Nous sommes contraints, par chaque rencontre avecl'athéisme, de prendre conscience qu'elle est un postulat avantd'être une expérience.
Cette expérience est l'expérience d'un appel, d'un plus-être,de la prise de conscience d'une force qui est en nous sans êtreà nous. Par exemple la force de créer une oeuvre d'art qui n'estpas seulement l'expression de ce que nous sommes, la simplerésultante de nos pensées ou de nos pulsions anciennes, maisune création qui dépasse son créateur. Cette expérience ne peutse décrire par des concepts et des mots comme ceux qui nouspermettent de définir les choses déjà là, déjà existantes.Cet avenir inespéré, je ne puis que l'évoquer par symboles,par mythes. La « démythologisation » de la foi pour lui rendreson intériorité, comme le proposait Bultman, n'est qu'uneétape préliminaire de l'accès à une foi adulte, car le mythe oule symbole est le seul langage possible pour exprimer la transcendance,c'est-à-dire pour nier la « suffisance » du monde etl'ouvrir à un avenir inédit.Pour les croyants comme pour les incroyants, il est dangereuxd'employer le mot « Dieu » si l'on oublie de rappeler aucroyant que s'il croit que ce Dieu est transcendant, sans communemesure avec lui, il ne peut ni le percevoir, ni le concevoir,mais seulement le désigner par image, symboles, mythes,poésie.Le mot même de Dieu est dangereux par les connotationsanciennes qu'il implique : Roi tout-puissant dont on attendraitle pouvoir souverain et magique pour lui adresser nos demandessous forme de prières qui nous conduiraient à l'oubli denos responsabilités. Juge ultime dont on oublierait que les jugementsque l'on croit qu'il porte sont empreints des moralesdominantes et des « valeurs » sociales de chaque époque, quechaque génération a l'illusion de croire éternels.Il ne suffit pas d'inverser ces images « conservatrices » deDieu, « constantiniennes », et de dire par exemple que « Dieuest libération » en oubliant qu'il s'agit encore d'une image pourproclamer que si la vie a un sens (ce qui est une autre manièrede dire « Dieu »), ce sens n'est pas déjà écrit hors de nous etsans nous, dans une histoire ou une évolution qui serait orientéed'avance vers le triomphe de la liberté...Il ne suffit pas de remplacer Constantin par Che Guevarapour sortir de cette théologie pré-critique.Dire « Dieu est libérateur » est une métaphore, une imagesymbolique, un appel à une vigilance critico-prophétique pours'arracher à ce qui est, ce qui ne contient pas en lui un avenirnécessaire. Ce postulat défatalise l'histoire. Mais c'est un postulat.Personne ne m'attend. Et rien ne m'est promis.« Dieu » est appel à mon propre dépassement. Il inspire unepratique concrète de ce dépassement. Il n'y a pas de sens à direà un enchaîné : Dieu te libère, si je ne fais rien pour briser seschaînes. Il n'y a pas de sens à lui dire : Dieu t'aime, si rien n'estfait, par celui qui prétend en témoigner, pour changer sasituation.La foi et ses symboles, son langage nécessairement symbolique,peut être comparée, dans nos rapports avec les autres, àce qu'est l'hypothèse scientifique dans nos rapports avec lanature : elle joue un rôle analogue en nous suggérant l'essaid'une méthode pour agir sur la réalité humaine comme l'hypothèsesur la réalité des choses.L'utopie, lorsqu'elle n'est pas une rêverie sans racine et sansresponsabilité, joue à l'égard de l'action sociale le rôle del'hypothèse dans la recherche scientifique : une anticipation nondogmatique mais critique, opératoire et contrôlée.Le positivisme sous-estime le rôle de l'hypothèse en prétendantprocéder à des « constats » de faits et de lois immuablesqui conduisent, sur le plan humain, au conservatisme d'unordre établi au terme d'un long progrès dont la société actuelleserait le fruit et la fin.Ce positivisme règne encore sur une grande partie de la communautéscientifique.Mais il déborde largement le cercle des savants, des professeursou des institutions. Il est distillé chaque jour par uneprétendue « information ». La télévision submerge l'usager de« faits », ou d'images, de clichés, sans jamais dégager, parexemple, le lien interne et profond qui relie une explosion deviolence aux Minguettes ou à Mantes, avec une famine enEthiopie, une guerre dans le Golfe, une littérature de l'absurde,une série télévisée de Dallas ou un « Disneyland ». Ces manipulationsde l'opinion par les médias, où la politique devientspectacle et non participation, l'art divertissement aliénant etnon célébration, la religion ritualisme et show-business et nonquestionnement, sécrètent un « positivisme de masse » anesthésiantce qu'il y a de proprement humain en l'homme : l'interrogationsur le sens de notre vie et de notre histoire.L'expérience du postulat est celle du besoin d'une ruptureavec ce positivisme sous toutes ses formes. Elles ont ceci de commun: elles ignorent ou excluent l'hypothèse, le postulat et lesens, au profit du constat passif et de la vérité toute faite endehors de nous et sans nous.L'oubli ou la négation de la foi naissent de cette destructionde l'homme. En langage de théologie l'on dirait : la mort deDieu découle de la mort de l'homme. D'un homme mutilé deses dimensions humaines : se poser la question du sens de savie, aimer, créer au-delà de lui-même.Toute prédication est vaine, toute religion est spectacle, sielle n'a pas pour but premier de chasser cette torpeur.Ernst Bloch résumait ainsi le message de Thomas Mûnzer,le théologien qui dirigea, au temps de Luther, la guerre despaysans d'Allemagne et fut crucifié par les seigneurs : « Soyezdes hommes et Dieu sera Dieu ! »Un homme aliéné par l'écrasement d'un travail robotisé, parles « divertissements » de loisirs standardisés, par la tétanisationdu spectacle, télévisé ou non, des arts du non-sens et des faussesvies, cet homme aliéné, châtré de ses dimensions humaines duchoix critique et du projet, de l'amour, du pouvoir de créer,d'inventer le futur, cet homme en proie au fétichisme technocratique,à l'idolâtrie du marché, à l'opium du non-sens, nepeut avoir qu'une conception aliénée de la foi soit pour la nier,soit pour la muer en dévotion bigote.La démarche de la « théologie fondamentale » est donc unenégation de la négation : l'homme est nié, dépossédé de sonhumanité dans la société du non-sens, la négation de cettedépossession exige une restauration de l'homme sans quoi il nepeut y avoir de restauration de la foi.Toute théologie de la révolution exige une révolution de lathéologie, disait le pasteur Georges Cazalis.Il faut commencer par le commencement : à partir de quellesexpériences vitales l'homme a-t-il pu parler de Dieu dansles religions « révélées », ou de participation à l'Un, à l'absolu,comme dans les sagesses de l'Orient, du tao, du vedanta, dubouddhisme ou du tchan ? A partir de quelles expériencesvécues de l'homme d'aujourd'hui peut surgir l'exigence d'unefoi qui ne naisse pas d'un échec, d'une impuissance ou d'unmanque, mais d'un besoin de plénitude ?Il est possible de dégager la racine de ces expériences sansemployer le mot « Dieu » ni celui d'« absolu », mais de postulat,d'amour et de création.
Le postulatLa première de ces expériences aujourd'hui est celle du besoind'un élargissement du champ de la raison.La tâche de la raison est de poser et de résoudre les problèmespermettant aux hommes de créer un avenir à visagehumain.Aujourd'hui, elle ne joue pas ce rôle. Pourquoi ?Parce que ce qu'on a pris l'habitude d'appeler « la raison »est une raison « positiviste », c'est-à-dire une raison infirme,mutilée de sa dimension essentielle : elle ne pose plus le problèmedes fins, mais seulement celui des moyens. Si bien quenous disposons de moyens gigantesques pour atteindren'importe quelle fin, même criminelle. L'on a confondu lepragmatisme avec la philosophie de l'action : en posant seulementla question du comment ? et jamais celle du pourquoi ?Dans cette voie la science dégénère en scientisme, la techniqueen technocratie, la politique en machiavélisme.Le scientisme est une forme de superstition, ou plutôt d'intégrismetotalitaire, fondé sur ce postulat : la « science » peutrésoudre tous les problèmes. Ce qu'elle ne peut mesurer,expérimenter et prédire n'existe pas. Ce positivisme réducteurexclut les plus hautes dimensions de la vie : l'amour, la créationartistique, la foi.La technocratie est cette forme de somnambulisme d'unetechnique pour la technique, ne se posant jamais la questiondes fins. Elle se fonde sur ce postulat : tout ce qui est techniquementpossible est souhaitable et nécessaire. Cette « raison »engendre les pires déraisons. Y compris l'arme nucléaire et la« guerre des étoiles ». C'est une religion des moyens.Le machiavélisme, c'est l'animalité d'une politique définiepar une technique de l'accès au pouvoir, et non comme uneréflexion sur les fins de la communauté humaine et, ensuite,la mise en oeuvre des moyens pour atteindre ces fins.Ces « dérives » de la raison infirme, positiviste, conduisentle monde à la mort, non par manque de moyens mais parabsence de fins.Tel est le problème majeur qui se pose aujourd'hui : celuides priorités, des fins, des valeurs, du sens. D'une réflexion neportant pas seulement sur la possibilité et les méthodes dessciences et des techniques, mais d'abord sur leurs fins : quelsobjectifs doit s'assigner la recherche scientifique pour servir àl'épanouissement de l'homme, et non à sa destruction ? Le problèmepremier est de lier la science expérimentale, qui estdécouverte des moyens, à la sagesse, qui est recherche des fins :remonter de fins subalternes à des fins plus hautes, en directionde la fin dernière. Alors la critique de la connaissance prendrason véritable sens en ne reliant pas seulement la science àla sagesse, mais aussi la sagesse à la foi ; car ni la science danssa recherche des causes, ni la sagesse dans sa recherche des fins,ne peuvent atteindre ni la cause première, ni la fin dernière.La foi commence où finit la raison. Pas avant. Pas avant quela raison plénière, celle qui recherche à la fois les causes et lesfins, ait mis en oeuvre tous ses pouvoirs.Ce mouvement, dans sa plus totale liberté, amène la raisonà prendre conscience à la fois de ses limites et de ses postulats.La foi n'est plus alors ce qui contredit ou contraint la raison,mais au contraire ce qui l'empêche de s'enfermer sur elle-mêmedans cette « suffisance » qui est le contraire de la transcendance.La foi est une raison sans frontière.Dans la première moitié de ce siècle, le développement dessciences nous a fait prendre conscience, par la relativité et lesquanta, qu'elle n'est pas devant le monde comme devant undonné mais comme devant une oeuvre à créer, et toujours ennaissance.Dans la deuxième moitié de ce siècle, la décolonisation, ennous rendant le contact avec les sagesses de trois mondes, arendu possible un effort pour relativiser la « raison » occidentale,celle qui, avec Descartes, excluait la réflexion sur les fins,celle qui, avec le positivisme d'Auguste Comte, prétendaitréduire le monde à la seule dimension des faits et de leurs lois.Celle qui, depuis Platon et Aristote, a élaboré une philosophiede l'Être, au lieu d'une philosophie de l'Acte.La raison de l'homme n'est pas le reflet des structures d'unêtre, elle est acte de la création continuée. Nos « produits » etnos institutions ne sont que le sillage fossilisé de notre raisoncréatrice.Le débat sur la raison n'est pas un débat académique. La« raison » positiviste, infirme, mutilée, est en train d'assassinernos petits-enfants. L'obliger à devenir raison plénière, à réfléchirsur les fins et sur le sens, c'est l'empêcher de rester la servantede la « nécessité » et du « hasard » de Monod, d'une viequi serait la « passion inutile » de Sartre, ou « l'absurde » deCamus.Refuser la réflexion sur le sens et les fins, c'est mutilerl'homme de sa dimension transcendante : le monde n'est plusalors que l'arène sanglante où s'affrontent aveuglément lesvolontés de croissance et les volontés de puissance des nationsou des individus, avec leurs « équilibres de la terreur ». Le résultat,« l'événement », est alors, comme écrivait Marx, « quelquechose que personne n'a voulu » : une crise, une guerre, uneEurope ne sachant que faire des viandes et du beurre de ses frigorifiques,et un Tiers Monde voué à la faim, ou une archaïquebataille de l'école, oubliant le problème central : celui desfins de l'éducation et de l'éducation des fins.L'épopée humaine de millions d'années peut aujourd'huicapoter : nous avons, pour la première fois dans l'histoire, lesmoyens techniques de détruire toute vie si une raison plénièrene leur assigne d'autres fins.La foi des uns prenant la forme d'une religion infantile pournous consoler par des illusions, ou la raison nécrosée des autres,nous enfermant dans des interdits, sont l'un et l'autre des postulats.Dire : la vie a un sens, non point déjà écrit mais présentcomme une irrécusable question, est un postulat.Dire : la vie est absurde, parce qu'une raison bâillonnée croitesquiver la question du sens, est un autre postulat.Mais un postulat, s'il n'est pas démontrable, n'a rien d'arbitraire:il rend possible une action.La valeur d'un postulat, sa vérification, dépendent des conséquencesqui en découlent.Si je veux fabriquer une table qui tienne droite, ou bâtir unmur qui ne tombe pas, je dois faire comme si le postulatd'Euclide avait à notre échelle une valeur absolue.De même si je veux que ma vie ait un sens je dois postulerqu'elle en a un, même s'il est de ma responsabilité à tout risquede chercher cette fin.C'est un postulat aussi de refuser fût-ce la possibilité d'unsens, d'une fin. Un postulat qui fonde une « religion desmoyens », la plus répandue de nos jours, il est vrai. Chaquemoyen devient alors sa propre fin : l'économie n'en ayant plusd'autre que sa propre croissance, la politique et le pouvoir quesa propre puissance ; l'art s'il n'a plus de fin, s'il n'est plus anticipationde sens possibles, n'oscillera plus dans le monde dunon-sens qu'entre le reflet du chaos de ce qui est, ou l'arbitrairede nouveaux non-sens.Telle est la première expérience, celle de la décision responsableet du choix entre deux postulats qui commandent uneforme de vie : l'acceptation du non-sens de ce qui est, et l'intégrationdu style de vie qu'il implique : joies de supermarchés,défoulements des violences télévisées, football des écrans, charterscomme ersatz d'évasion, l'ennui aseptisé, l'anesthésie, lehandicap mental à la portée de tous et le troisième âge précoce.Ou bien le postulat du sens, avec sa responsabilité et ses risques,ses angoisses et ses espoirs.Liberté mortifère d'indifférence ou de négation, ou libertétragique de la participation à la création du sens.
L'amour« Être pour les autres est l'unique expérience de la transcendance»,disait Bonhoeffer.La deuxième expérience, et la plus décisive, est en effet cellede l'amour, parce qu'elle est la première brèche dans le mondedes choses dans lequel nous enferment les postulats du positivisme: nous ne sommes pas entourés que d'objets, d'unenature inerte, dont nous aurions seulement à devenir « maîtreset possesseurs » comme le voulait Descartes. Dans ce qui nousentoure il y des visages, et, derrière eux, ce qui n'est pas seulementun objet, un « non-moi », mais des sujets. Un visagen'est pas seulement une image mais un signe. Un signe quidésigne, au-delà de ce qui est perçu, une présence et son sens :du défi ou de l'humilité, de la colère ou de l'amour.Le moi, comme l'écrivait Martin Buber, rencontre un « tu ».Ce n'est pas une chose que je peux saisir par un concept, cen'est pas un instrument ou un obstacle.Dans le monde décrit par Hobbes, « l'homme est un louppour l'homme ». Il en est généralement ainsi dans un mondeobéissant à la seule logique du marché, qui, par sa concurrenceest une logique de jungle : une logique de guerre, de guerrede tous contre tous, « l'autre » ne pouvant être qu'un concurrent,un rival, un obstacle, ou bien un moyen de ma proprepromotion.L'individualisme, où chaque « moi » est enfermé dans sonsac de peau, comme un atome séparé de tous les autres par unvide, est le produit d'une époque historique. L'opposant à lapersonne, dans son rapport avec l'autre et le tout autre ; Péguydisait : « L'individu, c'est le bourgeois que tout homme porteen lui. »Dans cette conception à la fois insulaire et agressive, la libertéde chacun, confondue avec sa propriété, est cadastrée commeelle. Ma liberté s'arrête alors où commence la liberté d'autrui,comme une propriété est bornée par la propriété des autres propriétaires.Mais la liberté des autres n'est pas la limite de maliberté. Elle en est la condition.Au-delà de cette période historique, caractéristique d'unesociété marchande, et même à l'intérieur d'une telle société,des hommes et des femmes n'en acceptent pas les cloisonnementset les affrontements. L'autre n'est pas un moyen de plaisirou de service. Non pas un obstacle, mais une ouverturepermettant le passage de l'individu à la personne, de l'être àla relation, de l'insularité à la fécondation réciproque.Et cela s'appelle l'amour.La sortie de soi, fondamentale et première.L'homme n'est pas né Robinson. Il a un père et une mère.Il vit dans une communauté, en osmose avec elle. L'idée d'unmoi individuel suffisant à lui-même est une abstraction.La personne ne peut émerger du monde animal que lorsquecette solidarité de la communauté ne se réduit plus aux fonctionsde chaque membre comme dans la ruche, la termitièreou la horde, consacrées à la subsistance, à la défense et à la propagationde l'espèce.La vie proprement humaine commence lorsque les fins de lasociété ne sont plus inscrites d'avance dans les instincts.Avec la conscience et le choix des fins, ce n'est pas seulementle travail qui devient un travail humain, c'est-à-dire précédé parla conscience de son but.L'homme est l'animal qui fait des outils et des tombes.Les outils témoignent du détour de la création de moyenspour atteindre une fin. Cela s'appelle la conscience, et plus tardla science.Les tombes attestent que l'homme ne laisse plus ses mortsréintégrer le cycle des métamorphoses de la vie simplementnaturelle. l1 considère sa vie comme distincte de la simplenature puisqu'elle implique le sacrifice. Même si nous en ignoronsles rites et les intentions, il y a là les traces d'un travailqui n'est plus directement utilitaire.L'outil et le sacrifice sont les deux premiers témoins de communautésspécifiquement humaines.De l'outil il a été beaucoup parlé, au point que l'on a cru,en Occident, pouvoir définir et hiérarchiser la civilisationhumaine à partir de ce seul critère : âge de la pierre taillée, dela pierre polie, du bronze, du fer, et, plus tard, de la vapeur,de l'électricité, de l'atome...Du sacrifice et de son histoire, en Occident, il a été fait moinsde cas bien que de lui soient nées non seulement les questionsque se posait l'homme sur le sens de sa vie, à travers les religions,les arts, et plus simplement les rapports proprementhumains de communauté. A l'inverse de l'individualisme occidental,celui des Grecs, comme celui qui règne de la Renaissanceà nos jours, celui qui fait de l'individu le centre et lamesure de toutes choses, la communauté est une forme de rapportshumains où chacun se sent responsable de l'action de tousles autres.Le travail est le principe de nos rapports avec la nature.Le sacrifice celui de nos rapports avec les autres.L'amour, sous sa forme proprement humaine en est la formepremière.La sexualité, lorsqu'elle n'est pas exclusivement l'instinct depropagation de l'espèce, comme dans le monde animal, est unepremière sortie du « petit moi ».Eprouver le besoin de l'autre, c'est prendre conscience queje ne me suffis pas à moi-même. Je ne suis plus à moi-mêmema propre fin. Je suis un être inachevé qui ne peut s'accomplirque par la complémentarité de l'autre, d'une femme pourun homme, d'un homme pour une femme.Besoin conscient car la conscience proprement humaine estd'abord celle de cet inachèvement par lequel, à la différencede tout animal, l'homme éprouve comme une question le sentimentde ce qui lui manque pour devenir pleinement humain.De cette question émerge le problème du sens. Il ne se poseque lorsque déjà l'homme a conscience de n'avoir plus en luimêmeson centre. Mon centre n'est plus mon moi. Il est dansl'autre. Dans cet autre que, par l'amour, je porte en moi. Pertedu « moi » fondé sur l'illusion d'être unique. Retour au « soi »enrichi de la présence de l'autre. Où nous ne faisons ni deux,ni un (comme le disent, en leur langage, Vadvaïta védantin oula trinité chrétienne).Etre un et deux, comme les pôles indissociables del'« aimant ».Le sacrifice est aussi ce qu'il y a de proprement humain dansl'amour : préférer le plaisir de l'autre au sien propre, la joiede l'autre à la sienne, la vie de l'autre à la sienne. Telle estdans l'acte d'amour l'expérience de base de la transcendance,qui est le contraire de la « suffisance » : le « moi » dansl'illusoire solitude de sa « suffisance » met en cause ses propresfins en ordonnant sa propre vie à l'autre comme une finnouvelle.«Je pense, donc je suis. » Tant d'inhumanité en si peu demots ! Comme si je n'existais pas avant de penser et comme sicette pensée n'était pas habitée par l'histoire et la culture desgénérations antérieures.« Nous aimons, donc nous sommes. » « En toi, je suis. » Loipremière de toute vie proprement humaine.Une nouvelle naissance, une nouvelle création, car la totaliténouvelle que nous formons par l'amour est quelque chosed'autre et de plus que l'addition des forces de chacun.L'émergence de ce radicalement nouveau que l'on ne peut«déduire» à partir de chacun des éléments, mais seulementproduire par leur rencontre, est une forme plus haute encorede l'expérience de la transcendance et qui naît de la premièresortie de moi dans l'amour. La première ébauche de la transcendanceétait le dépassement de ses propres frontières. Laseconde est celle de l'émergence de ce qui est radicalement nouveauet ne peut se réduire à la somme ou à l'addition desparties.Le surgissement de cette présence à laquelle on ne peut assignerun mot ni un concept est, pour la raison simplementdéductive, un mystère sinon un scandale.Elle a pourtant sa source dans l'amour, cette polarité spécifiquementhumaine du sexe et du sacrifice.Cette unité, racine de l'humain, doit être préservée contretout dualisme : ni sexualité sans amour, ni défiance du sexe.La sexualité sans amour est un produit de l'individualismemutilant pour lequel tout ce qui n'est pas « moi » est un moyende ma jouissance et de mon pouvoir.Cet usage de la sexualité est comparable à celui de la droguecomme jouissance solitaire et puissance illusoire. La formeactuelle de la publicité pour les préservatifs illustre cette dégradation.Le préservatif n'y est plus présenté comme l'un des moyensde ne plus laisser la naissance au hasard, forme de la maîtrisesur la nature, faisant de la procréation un acte volontaire, unacte de culture. Mais il est présenté comme un produit de lapeur, notamment du sida, et comme un moyen de garantir lasécurité de rencontres occasionnelles en allant à la discothèquepour y échanger deux plaisirs solitaires, sans amour et sans lendemains.Comme si le « jeu » sexuel était, pour oublier le non-sensquotidien de la vie, un dopage désespéré, de même que l'excèsde l'alcool ou des décibels.Curieusement les interdits prétendument « religieux » partentd'une même conception de la sexualité : du même séparatismede la matière.Pourtant, dans les Évangiles (Mt 12, 3-9; Me 10, 2-12;Le 16, 18) lorsqu'est abordé le problème du mariage, sousl'aspect d'ailleurs étriqué de la casuistique des pharisiens surla répudiation, Jésus échappe à leur piège en rappelant seulementque dans la Genèse (1, 27) l'homme complet est celuidu couple : homme et femme il les créa, et ils ne furent qu'uneseule chair. Le formalisme de la Loi, en matière de « répudiation» ignore, dans sa définition de l'adultère, le rapport proprementhumain du mariage. A aucun moment Jésus, dans lesEvangiles, n'invoque la fécondation comme finalité du mariage,ni n'exprime la moindre méfiance à l'égard de la sexualité.Une longue tradition catholique, remontant à saint Paul età sa conception de la femme, a si longtemps enseigné lecontraire, que le concile de Vatican II a dû rappeler que « lemariage n'est pas institué en vue de la seule procréation » (Gaudiumet Spes, 2, § 50, 3).Cette sorte de biologie théologique (comme disait à ce sujetle père Teilhard de Chardin) a conduit à des résultats inversesde ceux qu'on lui assignait : saint Paul a montré que commecontrainte extérieure « la loi produit la colère » (Rm 4, 15) et,même s'il la considère comme « sainte » (7, 3) lorsqu'elles'exerce comme « commandement », elle conduit à « la virulencedu péché » (idem) et elle divise l'homme, « la loi est spirituelleet moi je suis charnel » (7, 14). Ne pouvant appliquercette loi parce que le péché l'habite, il est acculé au dualisme,au séparatisme de la matière : « Qui me délivrera de ce corpsqui appartient à la mort ?» (7, 24).Il suffit d'inverser ce rapport, à l'intérieur du même dualisme,pour entendre le cri de la révolte contre des injonctionsqui ne peuvent s'appliquer à l'homme entier, esprit et corps.Qui me délivrera de ces contraintes qui m'empêchent de vivre ?La loi n'est plus alors seulement le « révélateur » du péché, elley conduit, par un angélisme coupant l'homme en deux : l'âmeet le corps.Mépriser le corps ou même le diaboliser, tant que l'Egliseavait pouvoir de répression, conduisait à l'hypocrisie de la« faute » cachée. Lorsqu'elle a perdu ce pouvoir, même sur lesesprits, la réaction de révolte s'exprime ouvertement, dans laparole et dans la pratique. Le corps, à son tour, fait sécession,et s'érige en souverain.La dure vérité de Nietzsche se manifeste dans le quotidien :« Le christianisme a donné du poison à boire à Eros. Il n'estpas mort, mais il a dégénéré en vice. »Tel est le châtiment de qui n'accueille pas l'homme dans satotalité. Car le sexe ne devient un démon que lorsqu'on en afait un dieu.Le sexe n'est pas seulement le médiateur matériel de l'espècepour sa propagation. Dès que l'homme émerge de l'animalité,par l'outil et le sacrifice, il n'est plus seulement un fait denature, mais de culture. Le corps est le moyen d'expression del'homme, dans le don et le sacrifice pour transformer l'autre,se transformer lui-même, comme dans le travail pour transformerla nature.Le rapport d'amour entre l'homme et la femme fait échapperà la mort. Pas seulement parce qu'il perpétue la vie naturellede l'espèce, mais parce qu'il arrache l'individu qui naîtet meurt à son artificielle solitude. Il le fait entrer en participationavec une réalité humaine qui le dépasse et ne meurt pas :la communauté culturelle proprement humaine, celle du sacrifice.L'égoïste ou l'avare s'en excluent ; l'homme et la femmeen sont exclus par un système social réduisant l'homme à n'êtreque producteur et consommateur, c'est-à-dire le réduisant auseul rapport avec la nature par le travail et le besoin, et excluantses dimensions proprement humaines (qu'en un autre langageon appelle divines et transcendantes) précisément parce qu'ellesbrisent le cercle du besoin et du travail.Celui qui n'aime pas demeure dans la mort. Cet amour entrel'homme et la femme, cette première sortie du « moi » par ledésir de l'autre, crée une réciprocité et une forme nouvelled'échange qui n'est plus l'échange fonctionnel et totalitaire,mais échange du don et du sacrifice par quoi l'homme devienthumain.
La créationLa troisième expérience de la transcendance est celle de lacréation, de cette création continuée de l'homme par l'homme,par tous les hommes et tous les jours, et qu'on appelle l'histoire.Pas seulement l'histoire des outils et des techniques quiont en effet contribué à la construire, pas du tout celle des guerreset des dominations qui n'ont cessé de la détruire, mais cellede tous les projets victorieux ou avortés qui ont tendu versl'émergence de l'homme total.Chaque oeuvre de l'art se lit comme un visage qui rendphysiquement visible l'invisible du sens. De la danse à la peinture,de la musique au cinéma, du théâtre au roman, l'art estl'expression de la vie des autres, pas leur reflet mais le sensqu'ils ont donné à cette vie, les projets possibles à tous les âgesde l'humanité.Les arts nous transmettent par une sorte de contagion totale,indivisiblement physique et spirituelle cette profusion desmanières d'exister, alors que l'histoire n'enregistre que celle quiont triomphé, car elle est toujours écrite par les vainqueurs.Les arts seuls, fût-ce par leurs vestiges mutilés, peuvent nouspermettre de revivre les formes d'existence dont il ont incarnéle projet ; de vivre, par leur présence en nous quand nous savonsles lire, la véritable histoire de l'humanité : l'histoire des possibleshumains.Que sont donc ces « possibles » et qu'est-ce que savoir leslire?Même les genres morts nous aident à revivre : l'homme del'épopée est ce que les biologistes appelleraient un « mutant » :il est habité par un avenir encore indistinct. Il préfigure unemanière de vivre dont les moralistes et les philosophes nedécouvrent que plus tard les lois. Plus tard, c'est-à-dire quandleur manière de vivre, comme écrit Aragon dans La Semainesainte, aura « cessé d'être les tâtonnements d'un homme pours'incarner dans les masses humaines ».Pour Arjuna, dans le Mahabarata la route n'est pas tracée :le héros porte en lui un avenir en germe, la loi qui donne àcette vie son unité est encore en train de se faire. Le sens n'enest clair qu'au regard du Dieu Krishna. Il n'est pas vrai qu'unart à hauteur d'homme n'intéresse pas les foules d'aujourd'hui :lorsque Peter Brook dévoile cette immensité humaine dans unecarrière de pierre, en un spectacle de neuf heures, et lorsqu'ilen tire un film, des millions d'hommes et de femmes ont vécuau-dessus d'eux-mêmes, et dans la joie de la plénitude. Commelorsque Vilar faisait partager les angoisses et les certitudesd'Antigone de Sophocle aux gens de Suresnes ou de Saint-Denis.Le moment où l'homme se cherche un sens dans le chaos dumonde, et qui fait naître, à la Renaissance par exemple, avecle renversement de toutes les valeurs anciennes, les Shakespeareet les Cervantes n'a pas cessé d'émouvoir les masses qui yretrouvent leurs angoisses du jour. Ces oeuvres portent pourtantleurs racines profondes : Cervantes écrit un siècle aprèsl'ouverture d'un Nouveau Monde : il est soldat à la croisade deLépante contre les Turcs, intendant de la préparation de l'InvincibleArmada, i l a vu chavirer le destin de l'Espagne.Shakespeare est né cinquante ans après « l'utopie » de ThomasMore, et du Prince de Machiavel, dix-huit ans après la mortde Luther. Il a vingt-deux ans lors de la destruction de l'InvincibleArmada, vingt-trois quand Elisabeth fait décapiter MarieStuart. Dix ans après, il ouvre son « théâtre du Globe », théâtredes tempêtes de la Renaissance. Que de mondes et de projetsShakespeare a vu naître et mourir ! Comme Cervantes.Leur enracinement dans ce siècle de fauves et d'orages leura permis de donner des oeuvres nous faisant vivre l'angoisse etl'espoir du sens dernier de la vie.1605. Le R o i Lear révèle la décomposition du monde « oùles fous mènent les aveugles » (acte IV, scène 1). Le Roi n'estplus que « morceau de ruine ». Il pose la question cruciale :« Qui pourra me dire qui je suis ? »«Je sais qui je suis », répond Don Quichotte (I, 5) lui aussiterrassé, lui aussi au fond du malheur. Mais habité par le projetfou de lui donner un sens.Ces drames nous sont restés fraternels et présents.On ne « lit » pas une peinture, une musique, ou un monumentcomme on lit un traité de mathématique ou de gestion.Car « comprendre » une oeuvre d'art n'est pas seulement affairede pensée. Cet acte requiert la participation de la totalité del'homme et d'abord de son corps.Un esclave enchaîné de Michel Ange irradie de sa force etde son effort dans l'espace qui l'entoure. Je ne lis pas celacomme un manuel d'anatomie. Mon corps est pris dans cechamp d'énergie dont j'éprouve, sans médiation intellectuelle,dans mon torse, mes bras, mes cuisses, les vibrations et les tensions; les lignes de force s'emparent des fibres de ma chaircomme si j'étais sommé de prendre la responsabilité de briserces liens.Le bouddha de Mathura, au contraire, aspire en lui l'espaceet semble le détruire : la répétition rythmique des courbes styliséesqui dessinent ses sourcils, et ses lèvres, comme des feuillesde lotus dont les contours appellent mon regard vers la tigequi les rassemble et guident mes yeux vers la profondeur deseaux. Mon corps entier est entraîné dans une calme spirale. Lemême mouvement rythmique des paupières qui se fermentsemble aspirer mon corps comme l'espace, non pour l'abolirmais pour l'ordonner à une unité plus harmonieuse et sereine.Comme un yoga de méditation d'où je n'émergerais du néantque pour retrouver le visage d'avant ma naissance. Recommencerune autre vie après une naissance purifiée.Le parcours d'une oeuvre « sacrée » me porte au-delà de moipour me faire prendre conscience d'une réalité qui me dépasseet à laquelle j'appartiens, où je deviens un avec le tout, de toutce qui est vivant en moi.La visite de la cathédrale de Chartres, d'Albi ou de Notre-Dame de Paris, même pour qui n'y vient pas avec une intentionreligieuse, est une dilatation de l'être. Je ne puis, physiquement,la traverser en ligne droite, du portail à l'autel.D'invisibles lignes de force s'emparent de moi, m'appellent àsuivre les déambulatoires des nefs latérales, à passer, de colonneen colonne, d'arc en arc, comme si je n'en finissais jamaisd'entrer, de franchir des portes, en une sorte de rite initiatique,de pèlerinage où, même seul, je me sens entouré par unefoule fraternelle ; accompagné par elle, habité par elle jusqu'àce que dans le cocon de l'abside, après la marche silencieuse,au-delà de tant de seuils, je me sente transporté dans une terrenouvelle, éclairée par d'autres soleils : ces rosaces de vitraux àdominante bleue, comme si le soleil illuminait la nuit sans ladétruire, la « nuit lumineuse » que chantait saint Jean de laCroix.Le silence, par le même paradoxe, est bourdonnant de ce dialogueavec les voûtes d'où est né le chant grégorien.Un art n'est pas sacré parce qu'il est destiné à un cultecomme tant de peintures ne sont pas sacrées parce qu'elles traitentd'un sujet « religieux ».L'art est sacré lorsqu'il ne me laisse pas intact, lorsqu'il mefait participer à une vie plus grande : l'Eglise d'Auvers existeencore, et nous passons aujourd'hui devant elle comme devantn'importe quel édifice. Mais lorsque Van Gogh la transfigure,elle nous fait revivre une agonie et une résurrection. Les mursde pierre grise et les toits de brique sont devenus chair et sang,sous la poussée d'un ciel d'un bleu torride et noirci de serpentsde couleur. Mes muscles se tendent pour résister à cet écrasement,ils sont parcourus par toutes les tensions de ces mursgémissants, de ces tuiles sanglantes, de cette église arc-boutéeau sol pour résister à la tenaille des chemins reptiles qui l'enserrentdéjà et à la pesée du ciel. Je participe tout entier à cet effortvers une impossible victoire.La danse est la synthèse de tous les arts.Le corps du danseur n'est plus limité aux frontières de sapeau : il envahit l'espace et leur donne un sens. Il en suggèrel'immensité ou l'étouffement. Martha Graham, dans Frontiers,nous fait physiquement éprouver l'illimité des grandes plainesd'Amérique et l'aventure humaine qu'elles appelaient.Marie Wigman, au contraire, dans toutes ses chorégraphies,hantée par l'écrasement hitlérien, nous fait éprouver l'espacecomme une cage contre laquelle le corps s'arc-boute et se cassepour résister. Ce n'est pas un spectacle mais une célébration.L'esprit y « prend corps ». Dans le corps dansant habite unautre « moi », plus grand. La danse est ce que je deviens en leregardant.Telle est, dans les arts, la troisième expérience de base de latranscendance, qui nous permette de comprendre, même sinous ne les partageons pas, la naissance des projections divinesdans le coeur des hommes.
Roger Garaudy
Avons-nous besoin de Dieu
Introduction de l’Abbé Pierre
Desclée De Brouwer éditeur, 1993
Pages183 à 200

Comment parler de la foi à un homme irréligieux ?

Vassily Kandinsky. Le cavalier bleu. 1903


Retour à La Une de Logo Paperblog