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Le paradis perdu

Publié le 16 mai 2015 par Arsobispo

La publicité est l'arme par excellence des entreprises. Les publicités inondant notre quotidien, elles perdent de leur puissance. Leur impact sur notre vie quotidienne devrait alors s’en ressentir. Que nenni ! Pour se faire remarquer, il faut se distinguer. Et elles prennent de plus en plus de vigueur, autant par leur fond que par leur forme, au point de tout submerger. L’environnement naturel, comme notre pensée, recule petit à petit. Notre liberté, de conscience et d’esprit, est immanquablement gangrénée. Lorsqu’elle ne sera plus qu’une peau de chagrin, il sera trop tard pour recouvrer notre nature humaine. L’art de vivre à la française n’est plus le bœuf miroton mais le sac Vuitton.

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Outil d'information et de communication par définition, la publicité est donc l'arme de destruction massive de notre libre arbitre. Mais pas la plus puissante. Les lobbies la surpassent bien plus efficacement, dévastant tout sur leur passage.

Dans le dernier numéro de LE 1 du mois d’avril, Michel Onfrey a ces mots : "le lobbying, c'est la volonté de faire primer l'intérêt particulier contre l'intérêt général quand ce dernier devrait faire la loi : plus le premier se montre fort, plus le second s'avère faible. Notre époque sans État est tout aux lobbies. Quand la République agonise, comme en ce moment, le pouvoir est aux meutes sans foi ni loi. Le lobbying est le retour de la bête dans un champ démocratique dévasté". Les procédés mafieux sont de mise : Médiapart nous révèle que Gilles Bouvenot (Président de la commission de la transparence de 2003 à 2014), Bernard Avouac (Président de la commission de la transparence de 1989 à 1998), Jean-Pierre Reynier (Vice-Président de la commission d’autorisation de mise sur le marché de 1994 à 2002 et membre du conseil d’administration de l’Agence Européenne du Médicament), Christian Jacquot (membre de la Commission d’Autorisation de Mise sur le Marché de 1996 à 2012), Renée-Liliane Dreiser (ancienne experte auprès de la Commission de la Transparence) et quelques autres, avaient mené sans jamais les déclarer des activités rémunérées auprès d’entreprises pharmaceutiques, par quelques enveloppes de billets reçues par la Poste, posées sur les lits des chambres d’hôtels, et que sais-je encore.

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Michel Onfrey ne parle pas uniquement des lobbies économiques. Il écrivait auparavant, ce qui m'a fait beaucoup rire : "En régime contractuel, le lobbying nomme l'activité de ceux qui, ne reconnaissant pas la logique contractuelle de l'intérêt général, font primer l'intérêt particulier de leur caste, de leur ethnie, de leur religion, de leur province, de leur classe sociale, de leur préférence sexuelle, de leur obsession personnelle : les usagers du rail ou les riverains d'un aéroport, les opposants à un barrage ou les ligues anti-tabac, la prévention routière ou la lutte anti-corrida, les producteurs de calva ou les amateurs de plug anal - le goût du plug n'excluant ni l'amour du chemin de fer ni la passion pour l'alcool fort...".

Il parle de plug anal, il aurait pu aussi utiliser la capote anglaise, le coca, l'i-phone, les blockbusters, au sens littéral et peu importe qu’il s’agisse de cinéma, de livres ou de musiques ; tous ces produits standardisés dont on nous abreuve afin de mieux clore, bien hermétiquement, nos sens (accessoirement notre jugeote) ; afin de mieux nous réduire à des machines à consommer des produits dont nous n’avons aucun besoin. Les trois singes de la sagesse sont devenus en quelque sorte les soldats de ce prétendu progrès que l’on nous impose. (« ne rien voir, ne rien entendre, ne rien dire ») Qui croit encore que la sagesse serait de faire l’aveugle, le sourd et le muet ?

Les trois singes pervertis
Même nos mouvements doivent être sous contrôle de l’industrie. On indique sur les routes, les parcs de loisirs mais surtout pas les sites naturels. Le spectacle qu’offre gratuitement la nature n’est guère propice à la Finance. Et si les réfractaires ne comprennent toujours pas, l’accès peut toujours être interdit. Un moindre mal car certains génies de l’économie n’attendent qu’une chose, les « aménager » afin de les exploiter pour leur propre compte, les réduisant, là aussi, en bien de consommation. C’est bien entendu déjà le cas aux États-Unis. Le NPS (National Parc Service), qui administre les parcs nationaux, les transforme petit à petit en destinations touristiques de masse. 1 million de visiteurs par an au parc national d’Arches, 4 millions au grand Canyon et les autres à l’avenant. Edward Abbey qui fulminait contre cette politique dans les années 70 ne peut plus rien faire. Il nous reste à lire son magnifique témoignage « Désert solitaire » sans oublier de fonder un véritable « Gang de la clef à molette » (tous deux aux Éditions Gallmeister) pour tout faire péter. Car l’American Dream est devenu un Very Bad Trip. La route a pris un nouveau sens. Elle ne mène plus vers un nouveau monde, un destin autre, promettant des aventures et des découvertes. En l'empruntant, on découvre bien des espaces vierges donnant la sensation de liberté. Mais ne nous leurrons pas, un foutu Mac'Do est dressé au bout du chemin, trônant devant une de ces hideuses  zones commerciales que je rêverai de voir un vent brulant anéantir sous des dunes de sable.

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Même s’il ne fait pas référence à Abbey, Henri Lœvenbruck, ne préconise pas autre chose dans son dernier livre, « Nous rêvions juste de liberté »[1]. Il commence - très fort - son roman par cette phrase « plus le temps passe, plus j'ai l'impression de voir nos libertés s'abîmer, comme un buisson auquel on fait rien que de couper les branches, pour son bien " ». Il poursuit, « J’ai le sentiment que, chaque jour, une nouvelle loi sort du chapeau d’un magicien drôlement sadique pour réglementer encore un peu plus nos toutes petites vies et mettre des sens interdits partout sur nos chemins. Quand je pense aux histoires que me racontait Papy Galo sur son enfance, des belles histoires de gosses aux genoux écorchés rouges, je me dis que ça pourrait plus arriver aujourd’hui, parce qu’il est devenu interdit de faire ci, interdit de faire ça, interdit d’aller ici, interdit d’aller là. Le passé, c’est comme un paradis perdu où tout était permis, tout était possible, et puis maintenant, plus rien ». Son héros prendra la route, en bande (car qu'est la vie sans l'amitié) et sur une moto évidemment (seule réelle alternative à l'épreuve physique de la marche à pied ou du vélo) et bien entendu, cela finira mal.

Le paradis perdu

"Nous rêvions juste de liberté" Roman de Henri Loevenbruck Éditions Flammarion

Comme dans "La Route", le roman de Cormac McCarthy,  tout cela tournera à l'Apocalypse. Les gouvernements trahissent les citoyens tout en s’étonnant qu’ils se désintéressent de la politique. Et le seul dessein d’une grande partie de la jeunesse est d’acquérir « d’la marque ». Dans « California », le roman d’Edan Lepucki (toujours pas traduit en français malgré son succès aux États-Unis), l’histoire d’une quête dans un monde déshumanisé violent et exsangue qui va vite se transformer en dystopie, nous promet des lendemains effroyables.

Seule perspective réjouissante, la Terre et la Nature sauront rejeter un jour, d’une façon ou d’une autre, cette lèpre qu’est devenue l’humanité.

[1] Éditions Flammarion


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