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Grèce : les concessions du gouvernement sont-elles le signe d'une capitulation à venir ?

Publié le 16 mai 2015 par Blanchemanche
#Grèce #privatisations #créanciers #Dette
Athènes insiste beaucoup sur ses récentes concessions aux créanciers, notamment sur les privatisations. Mais ce mouvement pourrait ne pas forcément annoncer un accord prochain...
La Grèce est-elle sur le point de céder aux créanciers ?
La Grèce est-elle sur le point de céder aux créanciers ? (Crédits : Forex)
L'annonce ce vendredi 15 mai de la relance de certaines privatisations (le Port du Pirée et les aéroports régionaux) par le gouvernement grec a été présentée par le porte-parole de ce dernier comme « une concession faite aux créanciers. » Lundi 11 mai, le ministre hellénique des Finances Yanis Varoufakis avait aussi beaucoup insisté sur le fait que les négociations avançaient grâce aux « importantes concessions » faites par la partie grecque. De plus en plus, le gouvernement grec s'attache donc à montrer qu'il est prêt à avancer et à céder pour obtenir les 7,2 milliards d'euros encore disponibles, jusqu'au 30 juin du programme de 2012

Des concessions « conditionnelles »

Mais ces mouvements sont surtout tactiques. Certes, le but d'Alexis Tsipras est bien d'obtenir cet argent et de parvenir à un accord et, bien plus encore, d'obtenir de la BCE une levée de la décision du 4 février 2015 sur la suspension de la dérogation acceptant les bons grecs comme garantie pour le refinancement des banques. Mais en aucun cas, Athènes n'est encore entrée dans une logique de capitulation. Ainsi, les concessions accordées restent-elles fort encadrées. Sur les privatisations, les deux processus étaient déjà lancés avant l'arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement. La poursuite de ce processus est conforme à l'accord du 20 février où la Grèce s'était engagée à ne pas revenir sur les opérations en cours. Du reste, dans le cas du Pirée, la part cédée à la compagnie privée (sans doute le Chinois COSCO avec lequel des discussions sont engagées) ne sera que de 51 % et non plus 67 % du capital. Pour le reste, la liste de privatisations acceptées par le précédent gouvernement est gelée et Athènes entend trouver « un autre modèle pour attirer les capitaux que les privatisations à 100 %. » Bref, la logique de la troïka de privatisations rapides, souvent au rabais, qui pouvait rappeler ce qui s'est fait dans les pays de l'ex-bloc de l'est, semble appartenir au passé.Une autre concession importante semble avoir été l'acceptation par la Grèce d'une unification du taux de TVA. Mais, selon nos informations, les discussions techniques demeurent très difficiles. La partie grecque refuserait un taux unique généralisé pour éviter encore de « faire payer les pauvres » et réclame des exemptions pour éviter une aggravation de la situation sociale et le retour à des méthodes « horizontales. » Surtout, trouver un taux unique « neutre » pour l'économie semble une gageure et c'est une condition pour la Grèce. Bref, on le voit, les concessions grecques sont soumises à des conditionnalités.

Avancer en protégeant ses arrières

C'est la logique d'Alexis Tsipras : avancer, pour mettre en évidence le manque de volonté de compromis de la partie adverse, mais protéger ses « arrières. » Car on attend toujours les « concessions » des créanciers. Dans des négociations « normales », où, en théorie, les deux parties ont tout à perdre d'un échec, il faut des avancées des deux parties. Or, la seule concession d'importance européenne remonte au 20 février, c'est celle d'abandonner les objectifs délirants d'excédent primaire pour 2015 (3 % du PIB) pour accepter un objectif « en ligne avec les réalités économiques. » C'est un minimum qui n'est toujours pas réellement réglé, car la définition du nouvel objectif est toujours problématique. Mais depuis début mars, les exigences européennes sont les mêmes : réformes des retraites et réformes du marché du travail. Les créanciers attendent que la Grèce cède. Pire même, ils rajoutent parfois des exigences. Mercredi, ils auraient ainsi réclamé 3 milliards d'euros de coupes budgétaires supplémentaires. Le rapprochement, comme l'a souligné lundi Yanis Varoufakis, est unilatéral : il n'y a qu'une partie qui avance et, parfois, la partie créancière peut reculer !Or, en cas d'échec des discussions, ceci sera essentiel pour Alexis Tsipras. Il permettra de valider le fait que les Européens ont sciemment rejeté la Grèce à force de mauvaise volonté et donnera donc la légitimité au gouvernement d'agir en conséquence. En cas de succès des négociations, le premier ministre hellénique pourra toujours insister sur les points sur lesquels il n'a pas cédé auprès de sa base. Mais en réalité, les concessions grecques n'assurent nullement un succès futur des négociations. Car il existe trois éléments qui rendent encore un accord très difficile à trouver.

Les réformes impossibles

Le premier, ce sont les deux sujets qui bloquent depuis mars les discussions : les réformes des retraites et du marché de l'emploi. Tout affaiblissement du (maigre) pouvoir restant des syndicats en cas de licenciements collectifs est inacceptable pour le gouvernement dans le contexte d'un chômage qui demeurait en février à 25,4 % de la population active. Faciliter dans ces conditions encore les licenciements, ce serait encore affaiblir la société grecque. D'autant qu'il convient de rappeler quelques faits. D'abord, le marché du travail grec n'est sans doute pas si rigide puisqu'il a permis l'explosion du taux de chômage de 11,4 % en février 2010 à 25,4 % en février 2015. Il a, par ailleurs, bien réagi à la légère reprise de 2014, puisque, en un an, il a reculé de 1,8 point. La « rigidité » du marché du travail grec ne semble donc pas un problème urgent. Par ailleurs, selon le rapport de l'OAED, le Pôle Emploi grec, seulement 14,4 % des chômeurs enregistrés reçoivent une indemnité. Ceci laisse 907.623 chômeurs sans indemnités. Socialement, faciliter les licenciements est donc extrêmement risqué.Deuxième blocage : les retraites. Les créanciers réclament des coupes dans les pensions et le report de 65 à 67 ans de l'âge de départ à la retraite. Là encore, compte tenu du taux de chômage grec, cette mesure ne semble pas opportune dans l'immédiat. Mais surtout, les retraités ont déjà payé un fort écot à « l'ajustement. » Entre 2010 et 2013, leur montant a été réduit de 44,2 % dans le privé et de 48 % dans le public. La retraite moyenne en Grèce est de 664,7 euros, selon les chiffres de l'organisme de gestion, auquel s'ajoute 168,4 euros de retraite complémentaire. 44,8 % des pensionnés ont des revenus inférieurs au seuil de pauvreté de 665 euros défini par Eurostat. Surtout, les retraites ont joué et joue encore un rôle d'amortisseur social important dans des familles touchées par le chômage sans indemnisations. Difficile donc pour le gouvernement de céder aux pressions des créanciers sur ce point. Si le système est encore coûteux (16,5 % du PIB), il n'en demeure pas moins un pilier de la survie de l'économie grecque. Sa réforme ne peut intervenir qu'une fois la croissance repartie, ce qui, en passant, le rendra moins coûteux.

La grogne au sein de Syriza

Si Alexis Tsipras ne peut guère reculer sur ces deux points, c'est aussi que c'est une ligne rouge pour une grande partie de Syriza. Jeudi 14 mars au soir, une réunion houleuse a eu lieu au parlement entre les élus de Syriza et le vice-premier ministre Yannis Dagrasakis. Les parlementaires et, selon le quotidien To Vima, la présidente du parlement Zoé Kostantopoulou, ont fortement critiqué la stratégie du gouvernement, notamment l'accord du 20 février et l'ensemble des concessions faites jusqu'ici. L'accusation aurait été l'abandon du programme de Thessalonique défini en septembre dernier. Le secrétariat politique de Syriza a même adopté un communiqué très offensif, jugeant « inacceptables » les demandes des créanciers et leur « volonté obsessionnelle de déconstruire l'Etat-providence. » Et le parti d'appeler à la mobilisation populaire. « Il est temps que les gens participent à la bataille », conclut le communiqué qui se termine par un « nous gagnerons. » Un ton très offensif qui tranche donc avec la volonté d'apaisement du gouvernement.Cette mise en garde montre que si le gouvernement acceptait les conditions européennes, Alexis Tsipras perdrait le soutien d'une grande partie de sa propre formation politique, peut-être au-delà même des seuls éléments d'extrême-gauche de Syriza, jusqu'ici mis en avant. Or, il lui est impossible de prendre un tel risque. Pour deux raisons.D'abord, parce que ce serait saborder sa propre œuvre, lui qui est parvenu non sans peine à construire un parti d'une coalition assez incohérente en maintenant l'équilibre entre les radicaux et les « réalos. » Ensuite parce qu'Alexis Tsipras devrait s'allier avec des partis centristes, sans être sûr que cette coalition soit stable, ni suffisante (les deux partis centristes, le Pasok et Potami ne comptent que 30 sièges réunis). Il pourrait même être contraint de chercher l'appui des Conservateurs, ce qui ruinerait sa crédibilité. En cas de nouvelles élections, sans doute alors incontournables, il subirait une défaite assez cuisante puisque, d'abord, sa base politique sera réduite et qu'il devra, ensuite, assumer l'abandon de ses promesses. Les personnes favorables au mémorandum se tourneront naturellement vers le parti le plus proche des créanciers, la Nouvelle Démocratie d'Antonis Samaras ou To Potami. Les adversaires du mémorandum vers la gauche de Syriza, le Parti communiste ou les néo-nazis d'Aube Dorée. A ce jeu, Alexis Tsipras est sûr de perdre la main.Au final, la volonté de concessions affichée par le gouvernement grec ne semble certainement pas le signe d'un « fléchissement. » Le pari du premier ministre reste le même qu'au soir du 25 janvier 2015 : tester la volonté d'un accord des créanciers dans un cadre acceptable par son parti. Si les créanciers ne saisissent pas cette occasion et restent arc-boutés sur leurs demandes de « réformes », il est peu probable qu'Alexis Tsipras puisse prendre le risque politique d'une capitulation. En clair, ces concessions sont peut-être le dernier point jusqu'où Athènes peut aller. Elles n'assurent pas qu'un accord basé sur la capitulation comme le souhaitent les créanciers soit acquis. Bien au contraire.Romaric Godin  |  15/05/2015http://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/grece-les-concessions-du-gouvernement-sont-ils-le-signe-d-une-capitulation-a-venir-476504.html

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