“La fellation, le ciment du couple?”, “La fellation est-elle indispensable à l’épanouissement sexuel?” ou “Comment réussir une fellation?”, voilà le genre d’articles qu’on peut lire ici et là sur la pipe, plutôt bien documentée dans l’ensemble. En revanche, dès qu’il s’agit de son pendant féminin, c’est-à-dire le cunnilingus, les langues -si l’on ose dire- sont davantage liées. Manque de connaissance du corps féminin, tabou lié au plaisir et au désir de la femme ou hygiénisme ambiant, difficile de savoir précisément pourquoi cette pratique sexuelle est encore auréolée de pas mal de tabous.
85% des hommes et des femmes l’ont pratiqué
Pour faire simple, posons la question: Qui a encore peur du cunnilingus? Objectivement, pas grand monde si l’on en croit les chiffres de la dernière grande enquête sur la sexualité de 2006: 85% des hommes et des femmes auraient déjà pratiqué au moins une fois dans leur vie le cunnilingus. Pourtant, il y a une cinquantaine d’années, les choses étaient très différentes: “Avant 1960, 90% des femmes n’avaient jamais pratiqué la fellation, c’était une pratique de bordel”, rappelle Philippe Brenot, psychiatre et thérapeute de couple, auteur de plusieurs ouvrages sur la sexualité des Français(e)s. Quant au cunnilingus, même combat. D’ailleurs, “dans les textes anciens, où l’on parle sans arrêt de sexualité sans l’expliquer, on en parle pas ou très peu, précise ce spécialiste. Ce qui joue sans doute, c’est la difficulté des représentations: le pénis est représentable alors que le clitoris, non. Il peut y avoir une attitude, une position évocatrice mais j’ai rarement vu le cunnilingus mentionné dans des textes anciens.”
Chez les 25-34 ans, environ 70% pratiquent le cunnilingus régulièrement.
Pour ajouter au marasme, le plaisir féminin a longtemps été ignoré: “Dans les années 60, la période la plus austère en matière de sexualité, le mouvement nataliste avait vaincu, explique Jean-Claude Piquard, sexologue clinicien et auteur de La Fabuleuse histoire du clitoris, et la sexualité n’était représentée que par la seule pénétration vaginale.” Heureusement, cette époque est révolue. “Toutes les jeunes générations, mais pas que, pratiquent des comportements oro-génitaux car ce sont des stimulants érotiques”, souligne Philippe Brenot. Chez les 25-34 ans, toujours d’après l’enquête précitée, environ 70% pratiquent le cunnilingus régulièrement. Autrefois réservés aux maisons closes, la fellation et le cunnilingus font désormais partie intégrante de la vie sexuelle. Pour autant, les femmes et les hommes de la génération Y sont-ils à l’aise avec cet acte sexuel? Pas sûr.
On aime… Ou pas
Parce que tous les individus sont différents et que la normalité en matière de sexualité n’existe pas, il se peut qu’on aime le cunni… Ou pas. Marion, 33 ans, lui doit son premier orgasme et depuis, pour elle, c’est l’avant-goût d’une partie de sexe prometteuse. Elle considère même que “c’est un indice de la détente du mec. S’il est à l’aise dans sa sexualité, il y va spontanément en général.” Même rengaine chez Célia, 31 ans, pour qui cet acte “fait tout simplement partie du plaisir”. Elle aurait d’ailleurs du mal à imaginer une relation sans: “Une fois, un mec n’a pas osé et ça ne m’a pas plu, voire un peu vexée.” La trentenaire en a même fait un critère de tri dans ses partenaires sexuels: “Un mec qui ne fait pas de cunni, ce n’est pas un bon coup, ça veut dire qu’il est mal à l’aise et s’il est dégoûté par rapport au sexe féminin, c’est bizarre.” Puis, Célia se tait avant de demander, un brin d’inquiétude dans la voix: “Y a des nanas qui n’aiment pas ça?”
Oui, il y en a. À l’instar de Carole, 34 ans, qui assume d’ailleurs complètement de ne pas apprécier la chose du tout. Elle n’a pas testé le cunnilingus avec beaucoup d’hommes mais cette petite expérience a suffi pour qu’elle se fasse une idée: “Ce qui me déplaît vraiment, c’est d’avoir la tête de quelqu’un entre les jambes, de sentir ne serait-ce que ses cheveux sur mes cuisses, j’ai l’impression d’accoucher et ce n’est pas du tout érotique.” Sans parler “de la position dans laquelle ça me met, genre caresser la tête du mec, je ne vois pas trop ce que je peux faire d’autre, je pourrais m’accrocher aux barreaux du lit mais bon…”
“Il y a des filles qui m’ont déjà fait comprendre, alors que j’étais en train de descendre, que ça n’allait pas le faire, et qui m’ont remonté la tête.”
D’ailleurs, c’est déjà arrivé à Benoît, 26 ans, de se retrouver avec une jeune femme qui n’avait pas envie: “Si jamais je tombe sur quelqu’un de réticent, si je sens un malaise, ça peut foutre un froid et casser le rythme. Il y a des filles qui m’ont déjà fait comprendre, alors que j’étais en train de descendre, que ça n’allait pas le faire, et qui m’ont remonté la tête.” Dans l’ensemble, ce vingtenaire à la vie sexuelle plutôt bien remplie assure que ça plaît à “une majorité” de ses partenaires, avant d’ajouter qu’une “minorité y est hostile et certaines plus ou moins sensibles”. Lui voit le cunnilingus comme “une manière d’exciter et aussi de temporiser dans les préliminaires et puis, dans une relation durable, ça devient un préalable comme un autre.” Gaël, 30 ans, est du même avis, il fait “facilement des cunnis”, en pensant surtout à sa partenaire: “Je le fais dans un souci d’excitation commune.”
Pour Julien, 33 ans, ce préliminaire ne va pas de soi. il le répète pourtant plusieurs fois: le cunni, “c’est un des trucs qui (l)’excite le plus”. Pourtant, il ne va pas s’y adonner systématiquement: “C’est un peu animal, il y a des nanas auxquelles j’adore faire des cunni et d’autres pas du tout!” Et quand on lui demande pourquoi, le trentenaire a un peu de mal à s’expliquer: “C’est difficile à dire, ça va dépendre de sa peau, de sa bouche, de son odeur, de plein de choses mais je le sais tout de suite. Il y a une fille avec laquelle je suis resté un an et jamais, je n’ai eu envie. Au pieu, elle ne m’a jamais beaucoup excité.”
Pas le premier soir
Étrangement, il se pourrait bien que le cunnilingus soit considéré comme plus intime que la pénétration. Il faut dire que les pratiques oro-génitales ont longtemps pâti d’une réputation sulfureuse: “Beaucoup de traditions les ont interdites pendant longtemps, la bouche ne devait jamais rencontrer le sexe”, rappelle Philippe Brenot, psychiatre. “Dans le Kâma Sûtra, la fellation est d’ailleurs prohibée, certaines populations du nord de l’Inde pratiquaient ce contact mais c’était écrit qu’il ne fallait surtout pas les suivre.”
“Le plus important, c’est que la fille soit assez transparente dans ses émotions, au début, on n’a pas vraiment envie de mettre des sous-titres.”
Pour Benoît, l’intimité n’y est pas pour grand chose, c’est surtout que la première fois, ça ne s’y prête pas, tout simplement: “Avec un coup d’un soir, c’est pas toujours le contexte mais à partir du moment où je couche trois fois avec une meuf, c’est un passage obligé.” Une retenue peut-être liée à cette “part d’inconnu, une certaine pression de bien faire” décrite par le jeune homme: “On sait qu’il n’y a pas de règles, qu’il y a des choses qu’il ne faut pas faire mais c’est difficile de savoir comment bien faire.” “D’ailleurs, ça me paraît plus simple pour une femme que pour un homme”, lâche-t-il. Avant de préciser, en souriant: “Le plus important, c’est que la fille soit assez transparente dans ses émotions, au début, on n’a pas vraiment envie de mettre des sous-titres.” D’ailleurs, c’est l’un des conseils donnés par Coralie Trinh Thi dans son ouvrage intitulé Osez…le cunnilingus: “Le premier obstacle d’un cunnilingus réussi, souvent ignoré: le manque de communication… des femmes.”
Pour sa part, Célia, 31 ans, aime le cunnilingus et lorsqu’elle était en couple, “c’était un truc très naturel” mais elle ne sait pas si elle serait “très à l’aise avec un mec d’un soir”. D’après Julien, lors de “la première partie de sexe”, il y a rarement un cunni, alors que “souvent il y a fellation”: “Parfois, j’ai le sentiment que les nanas se sentent obligées. Moi, je m’en fiche, je ne me force pas. Et de toute façon, je ne peux pas mentir corporellement, si je ne veux pas, je ne peux pas”, conclut-il.
Le côté donnant-donnant
Qui dit pipe dit obligatoirement cunni? Les pratiques sexuelles s’inscrivent-elles dans un rapport donnant-donnant? C’est ce que constate parfois Benoît, avec regret: “Il y a beaucoup de filles qui vont te faire une fellation pour la première fois juste après que tu leur aies fait un cunni. Ce côté donnant-donnant, je le trouve très con, perso.” La faute à qui? Aux idées préconçues, à en croire ce vingtenaire: “Certaines imaginent qu’on les lèche dans le but de se faire sucer.” Et dans ces cas-là, il faut repasser pour le plaisir: “Une nana qui n’a pas envie de le faire et qui le fait quand même, ça me glace et je l’arrête direct.”
Marion, elle, estime que le plaisir doit, quoi qu’il arrive, être procuré des deux côtés: “Un jour, je suis tombée sur un mec qui aimait bien que je le suce, qui ne se gênait pas pour me le signifier clairement mais qui, de son côté, ne voulait pas me faire de cunni.” Un jour, la jeune femme finit par mettre les pieds dans le plat: “Je lui ai demandé cash pourquoi et il m’a répondu qu’il n’aimait pas ça, que ça le dégoûtait.” De quoi la refroidir direct.
Le rapport des femmes à leur sexe
Difficile d’évoquer le cunnilingus sans parler du rapport des femmes à leur sexe. Quand Marion est tombée sur ce type qui n’aimait pas ça, elle s’est posé des questions: “Comme je ne m’épile jamais intégralement le sexe, je me suis dit que c’était peut-être à cause de ça, puis j’ai repensé à tous les autres mecs auxquels ça n’avait pas posé de problème et je n’ai pas changé.” De l’esthétique à l’hygiène en passant par les odeurs, les femmes se posent souvent toutes sortes de questions. “Certaines d’entre elles n’aiment pas leur sexe, confirme Jean-Claude Piquard, sexologue clinicien, elles ont du mal à le trouver beau. À l’inverse, d’autres le revendiquent.”
“Quand je suis excité, j’en ai rien à faire que ça sente la chatte ou que ça sente le Dove!”
“La plupart des femmes qui sont réticentes aux pratiques bucco-génitales le sont par rapport à l’hygiène et aux odeurs”, estime Philippe Brenot, qui voit passer pas mal d’entre elles dans son cabinet. Gaël reste persuadé que “d’un point de vue de l’intimité et d’un point de vue hygiénique, ce préliminaire peut être perçu comme intrusif” mais que “ce sont davantage les nanas qui ont un problème avec ça que les hommes. Elles veulent toujours sentir bon, alors que nous, on s’en fout; quand je suis excité, j’en ai rien à faire que ça sente la chatte ou que ça sente le Dove!” Les odeurs font partie de l’acte sexuel, assure également Benoît, qui tempère toutefois: “Il y a des moments où c’est agréable, excitant et d’autres où, oui, en effet, c’est plutôt répulsif, c’est une histoire d’alchimie.” Lui fait toujours très attention car il s’est déjà “projeté” : “Si je couche avec une fille qui a tendance à faire des fellations, je vais faire gaffe, autant pour un premier rendez-vous que pour le 21ème! Ce qui m’a d’ailleurs amené un jour à me laver la bite à la Volvic dans la rue, en pleine nuit, derrière une voiture, juste avant de monter chez une nana!”, se rappelle-t-il en se marrant franchement.
“On vit dans un monde qui lisse tout, il n’y a rien qui dépasse, il n’y a plus d’odeur. Je pense que ça inhibe, que ça complexe vachement les femmes.”
Pour Marion, plutôt détendue de ce côté-là, “toutes ces odeurs corporelles ont un côté excitant”. Et si certaines y pensent comme Carole -“Je me suis déjà demandé si ça sentait bon, si c’était joli mais à partir du moment où tu fais des fellations, c’est la même chose, une bite, c’est pas forcément plus beau et ça ne sent pas nécessairement meilleur…”-, elles évacuent vite le truc. Avec la sensation de se battre contre l’hygiénisme ambiant, à l’image d’Anne, 30 ans: “On vit dans un monde qui lisse tout, il n’y a rien qui dépasse, il n’y a plus d’odeur. Je pense que ça inhibe, que ça complexe vachement les femmes.” Un constat partagé par Gaël qui insiste: “Un corps sent le corps, les odeurs et les goûts sont hyper consensuels aujourd’hui et du coup, la moindre effluve naturelle est mal perçue.”
Vers une libération de la parole?
Tel un reflet de la réalité, le cunnilingus est peu représenté dans la fiction, à l’écran. Souvenez-vous, en novembre 2013, l’actrice Evan Rachel Wood avait exprimé sa colère sur Twitter alors qu’une scène de cunnilingus avait été coupée au montage du film Charlie Countryman par l’équivalent américain du CSA: “C’est un symptôme de notre société qui veut faire honte aux femmes parce qu’elles aiment leur sexualité (…) Nous sommes autorisées et faites pour avoir du plaisir nous-mêmes, il est temps de s’affirmer.” Le message était clair.
After seeing the new cut of #CharlieCountryman I would like 2 share my disappointment with the MPAA, who thought it was necessary to…
— #EvanRachelWould (@evanrachelwood) 27 Novembre 2013
…remained intact and unaltered. This is a symptom of a society that wants to shame women and put them down for enjoying sex, especially…
— #EvanRachelWould (@evanrachelwood) 27 Novembre 2013
…We are allowed and entitled to enjoy ourselves. Its time we put our foot down… — #EvanRachelWould (@evanrachelwood) 28 Novembre 2013
Iris Brey, journaliste et universitaire, s’intéresse de près à la représentation de la sexualité féminine à l’écran, et plus particulièrement dans les séries. Masters of Sex, Orange is The New Black, Transparent ou Broad City, pour elle, le changement viendra peut-être de là: “Faire jouir la femme sans le sexe de l’homme, c’est quelque chose qu’on voit peu et qui est assez révolutionnaire. Les choses évoluent et depuis une dizaine d’années, ça passe beaucoup par les séries: elles ont une portée universelle, elles peuvent se regarder chez soi et c’est un moyen de montrer des pratiques sexuelles qu’on ne voyait pas avant, à l’image du cunnilingus. Qu’on puisse voir un concours de cunnilingus sur Netflix, ça a quelque chose de très décomplexant (Ndlr: dans la série Orange is The New Black)”. Persuadée que les séries “peuvent avoir une portée éducative”, Iris Brey est convaincue que ces dernières “permettent un nouveau regard” et peuvent même apporter un contrepoids au porno: “Il sera toujours là mais la série interrompt d’une certaine façon son discours.”
Enfin, les mots sont importants: le langage manque pour évoquer la sexualité féminine. Rien pour que écrire cet article, il a fallu écrire 29 fois le terme “cunnilingus” -et son dérivé “cunni”-, faute de trouver des synonymes. Alors oui, il existe pas mal d’expressions -“se faire brouter le minou” et on en passe- mais elles ne permettent en aucun cas de mettre en valeur cette pratique sexuelle. Même si Colette Renard aurait certainement assuré le contraire.
Julia Tissier
Source Cheek Magazine.