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Par Aelezig

Article de Elle - novembre 2014

Aujourd'hui les directeurs artistiques des maisons de coutrue ne peuvent plus se contenter d'être créatifs. L'époque leur demande d'être charismatiques, connectés, gestionnaires et... gentils !

Les directeurs artistiques n'ont jamais été aussi à la mode. Alors qu'ils étaient plutôt discrets dernièrement, ils sont devenus des stars. Ils n'ont même plus besoin de VIP pour booster l'audience de leurs shows : c'est eux qu'on veut voir. Faut-il les appeler "directeur artistique", "directeur de création" ou "creative leader" ? Cette dernière appellation semble être la bonne. Après le scandale Galliano en 2011, on s'était dit que faire le show n'était pas leur business. Puis la récent nomination de ce même Galliano chez Maison Martin Margiela nous a fait douter - pour cette griffe où le créateur était un homme invisible, nommer le roi de la provocation peut surprendre, effectivement. Mais John Galliano façon Phénix, ça fait le buzz. Insuffler du charisme dans une marque qui joue sur la discrétion créative, c'est bien pensé. Du coup, le défilé couture Maison Martin Margiela programmé pour janvier 2015 est devenu l'événement mode à ne surtout pas manquer. Galliano, habituellement maître en robes drapées asymétriques, saura-t-il exceller dans l'ultra-concept de MMM ? Qu'importe, l'essentiel est qu'on en parle. "C'est une très belle opportunité pour John Galliano, note le créateur Roland Mouret, également directeur artistique de Robert Clergerie. C'est bien qu'il reprenne une place. Cependant, en mode, ce qui compte maintenant, c'est d'être le "bon produit" du moment. Aujourd'hui, un directeur artistique est plutôt recruté pour ce qu'il représente et pour ce qu'il peut apporter comme buzz, mais pas forcément pour son adéquation avec la griffe. C'est tout de même dommage."

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Reste que les coups médiatiques ne sont pas forcément le meilleur moyen d'accrocher les clientes. "Beaucoup d'entre elles ne connaissent pas les noms des directeurs artistiques, avance une vendeuse d'une boutique multimarques. Prenez Burberry, par exemple. Je vous défie de trouver en France une femme lambda qui puisse citer le nom de Christopher Bailey." Alors, quelles doivent être les quallités d'un "creative leader" ? "Il doit avoir le sens de l'équilibre entre une idée, une image et un produit, analyse Jean-Jacques Picart, consultant dans la mode et le luxe. Jusqu'à ces dernières années, on attendait qu'il donne le ton et booste la marque pour laquelle il travaillait. Aujourd'hui, non seulement on lui demande d'être créatif, mais aussi de s'impliquer dans les produits. On lui demande d'avoir le sens du podium et du commercial." Le modèle du "tout à l'ego" a vécu. Celui de la totale discrétion aussi. "Un directeur artistique doit être un leader créatif global, analyse Floriane de Saint Pierre, fondatrice de FSPSA, un cabinet de recrutement spécialisé dans le luxe. Le produit est bien sûr l'élément central, mais la responsabilité créative ne s'arrête plus à cela. Une marque est forte si le contenu et les signes qu'elle émet sont en synchronie avec leur époque. Des griffes de mode telles que Saint Laurent ou des entreprises de tehcnologies telles que Apple allient une profonde compréhension sociologique de l'époque et de ses modes de vie à une approche holistique du design." Aussi, voir des pros de la mode entrer dans le monde de la technologie n'est pas étonnant : Paul Deneve, l'ex-P-DG d'Yves Saint Laurent, est devenu vice-président des projets spéciaux chez Apple, et Angela Ahrendts, ex-P-DG de Burberry, est devenue cette année vice-présidente en charge des boutiques et des ventes en ligne chez Apple. Un creative leader doit s'adapter à l'air du temps, quel que soit le domaine. Il doit penser plus loin que le bout de son crayon.

C'est le nouveau casse-tête chinois des recruteurs : choisir un créatif qui comprenne son époque et n'oublie pas d'être charismatique. Cette saison, la valse des créateurs n'a pas fait exception. Guillaume Henry quitte Carven pour Nina Ricci, Peter Copping quitte Nina Ricci pour Oscar de la Renta. Il reste donc une place à saisir chez Carven. Pas facile quand on sait que c'eset Guillaume Henry qui a intauré tous les nouveaux codes de la maison. Emmanuel Ungaro ne semble pas encore tout à fait avoir trouvé un directeur artistique qui sache mettre la maison au goût du jour. Au contraire, chez Sonia  Rykiel où est arrivée Julie de Libran, ex de Louis Vuitton, l'esprit de la maison a pris un coup de fraîcheur. Dernier excellent recrutement : David Koma pour Mugler. Il a réussi à moderniser les codes Mugler sans en faire une caricature. La preuve ? Les meilleures boutiques dans le monde ont toute commandé du Mugler, à commencer par le site net-a-porter.com, considéré comme LA référence. "Quand j'ai commencé chez Mugler en 2013, ma première mission était de trouver un directeur artistique, raconte Virginie Courtin-Clarins, directrice du développement de la communication et du marketing chez Mugler. Je voulais quelqu'un qui réagisse comme si c'était sa propre marque. C'est Thierry Mugler qui avait donné l'envie à David de faire ce métier. Mettre un peu d'affect dans ce genre de poste, c'est plutôt positif. J'aimais aussi l'idée qu'il avait sa propre griffe et cela m'indiquait qu'il savait gérer des contraintes budgétaires."

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Julie de Libran - Rykiel

Savoir compter, ça aide, même en mode. Connaître les bases du commerce est une nécessité pour entrer dans le fashion business. L'exemple le plus parlant ? Christopher Bailey chez Burberry. Après avoir explosé les objectifs de vente durant des années, il a été nommé CEO (Chief Executive Officer) de Burberry cette année après le départ d'Angela Ahrendts chez Apple, cumulant ainsi les mandats avec son rôle de directeur de la création. "Il est logique de voir la responsabilité globale de marque ocnfiée au creative leader, poursuit Floriane de Saint Pierre. Ce qui est extrêmement moderne dans la nomination de Christopher Bailey à la tête d'une société cotée en Bourse telle que Burberry, c'est le choix de son titre : Chief Creative & Chief Executive Officer, mettant en premier la fonction créative, reconnaissant ainsi son importance." Ce genre de directeur de la création qui soit également un pro du business va bientôt devenir la norme. On murmure que certains DA (directeur artistique) contactés lors des récents transferts ont refusé des postes parce qu'on ne leur permettait pas de s'intéresser au chiffre d'affaires. "Interagir avec les boutiques est absolument nécessaire aujourd'hui" avance Laure Heriard-Dubreuil, fondatrice de la boutique multi arques maxi branchée The Webster à Miami. "J'ai refusé plusieurs fois des postes de DA quand on me faisait comprendre que je ne serais qu'une marionnette qui insuffle du style sans contact avec la réalité du business, confie Roland Mouret. Avoir un regard sur le commercial est une condition sine qua non pour faire du bon travail. Je fais régulièrement des trunk shows où je présente la collection directement aux clientes." Le directeur artistique version 2.0 a intérêt à savoir jouer les hommes-orchestres. Il doit incarner la marque. "En plus d'avoir un talent hors pair saison après saison et d'être d'astucieux gestionnaires, ces nouveaux créateurs doivent également être des porte-parole charismatiques" constate Pamela Golbin, conservatrice en chef du Musée de la Mode et du Textile à Paris. "Le creative leader n'a plus besoin d'être une star, mais il doit quand même apporter de la matière à la marque en prenant parti" note Nathalie Franson-Pavlovsky, fondatrice de NFP, une société de conseil spécialisé dans la structure des marques de mode et de luxe. Un directeur artistique comme Olivier Rousteing pour Balmain remplit parfaitement ce rôle. Il nourrit régulièrement son compte Instagram où il a plus de 690 000 followers fidèles à ses aventures très stylées à travers le monde avec ses amis célèbres. Ce genre de directeur artistique tout-en-un est capable de faire le show, le fashion show et même des vêtements qui se vendent.

Reste une qualité absolument nécessaire pour survivre dans le monde impitoyable de la mode aujourd'hui : la gentillesse. Dans les studios de style, de nombreuses petites mains s'étonnent de voir des creative leaders ouverts à la discussion et disposés à travailler en équipe. Le modèle de la tour d'ivoire a pris un coup dans l'aile. "Un directeur artistique doit avant tout être équilibré, car, pour fournir au minimum quatre à six collections par an, il faut être bien dans ses baskets." considère Laure Heriard-Dubreuil. Pour Virginie Courtin-Clarins "le point qui a été déterminant dans le choix de David Koma, c'est qu'il était tout simplement sympa. Il a le respect des autres et sait faire des compromis." Même si, parfois, certains DA jouent les VIP en se baladant sur de gros yachts en mer Méditerranée, il vaut mieux ne pas en faire trop. Bernard Arnault, P-DG du groupe LMVH, saluait récemment (dans une interview sur RTL), l'humilité de Frank Gehry, l'architecte de la Fondation Louis Vuitton. "Les artistes les plus talentueux sont ceux qui écoutent le plus", a dit Monsieur Arnault. A bon entendeur.


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