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Mariage annulé : la parole, le corps et l’acte. (II/II)

Publié le 02 juin 2008 par Cdsonline

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Et si, nonobstant l’engouement croissant parfois jusqu’à l’excès pour certaines manifestations sportives (prenant rapidement un tour “projectif/identitaire/identificatoire”), l’indignation était devenue aujourd’hui l’un des rares modes de communion/communication d’une société atomisée, éclatée, hyper-individualisée?
Si la plupart d’entre nous, déconcertés d’avoir vu s’effondrer les derniers repères symboliques auxquels les raccordaient il y a peu les signes d’une certaine “identité d’appartenance”, trouvaient désormais dans l’indignation l’un des seuls moyens pour se “ressentir” comme faisant partie d’un “collectif minimum” rassurant?
L’indignation semble bien apparaître dans nos sociétés postmodernes comme le plus petit dénominateur commun d’une émotion partagée…
Comment ne pas soupçonner alors dans cette “synchronisation émotionnelle” une sorte de catharsis destinée à purger une partie du “refoulé” produit par la pesante tyrannie du “politiquement correct”?
En effet, (comme il a déjà été précisé) cette décision de justice, rendue par la présidente d’un TGI réputée pour son expérience et son sérieux, ayant satisfait pleinement les deux parties, pourquoi cette persistante bouffée d’indignation… de tous ces “autres” n’ayant rien à voir avec l’affaire (politiques de tout bord, journalistes, personnalités, etc.)?
L’hypothèse est que la “tolérance multiculturelle“, étendard falot d’une gauche sans idées ni projets — qui est en vérité l’idéologie sous-jacente du capitalisme mondialisé — constitue le plus grand des mensonges socialement organisés. En effet, l’Autre (le musulman en l’occurrence) n’est pas intégré pour ce qu’il est, c’est à dire dans son altérité véritable incluant les spécificités constitutionnelles de sa culture, non, ce doit être un “autre” abstrait, un autre sans aspérités, sans aucun “danger d’étrangeté” (et donc sans altérité) comme il y a déjà du café sans caféine, de la bière sans alcool et des cigarettes sans nicotine. Un Autre privé de ce qui justement le fait Autre, l’essence-même de sa culture.
Ignorant royalement l’aphorisme dostoïevskien “L’amour abstrait de l’humanité est presque toujours de l’égoïsme“, les tenants de la “tolérance multiculturelle” soutiennent donc en réalité une sorte de racisme “light” inversé, qui a le mérite de les gratifier d’une “bonne conscience” acquise à peu de frais, tout en laissant les plus cyniques se vautrer dans les excès du libéralisme post-politique généralisé…

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Pour revenir au plus près du sujet, le mariage ne constitue-t-il pas l’une des rares occasions de percevoir la fonction performative de la parole? Autrement dit l’une des principales occasions de constater les effets sur soi de la parole comme acte? Dire “oui” (ou “non“) c’est engager en un instant la totalité de son être.
Ainsi peut-on imaginer une jeune femme se trouvant dans la même situation (peut-être moins “contrainte” et plus cultivée) oser dans l’alcôve la question posée chez Marivaux et reprise par les Marx Brothers “Que préfères-tu croire? Ce que tu vois ou ce que je te dis? Tu préfères croire tes yeux ou mes paroles?” et elle aurait parfaitement raison car c’est de cette manière que se met en place l’ordre symbolique sur lequel s’érige toute société responsable, sur la base d’un engagement qui crédite à priori la parole de l’autre, indépendamment de tous les ressentis possibles, des fantasmes projectifs et autres objets imaginaires. Car sinon, que vaudrait la parole? Et donc quelle serait la valeur de ce mariage? Aux antipodes du business en expansion des hymens refaits à neuf, la virginité ne devrait-elle pas être considérée plutôt du point de vue symbolique que de la réalité brute?
Le jeune Wagner mettant en scène dès Tannhaüser l’identité spéculative de Vénus et d’Elizabeth, avait déjà révélé que la séductrice dissolue et la vierge sacrée constituaient le recto et le verso du même être. Restait à franchir ce dernier pas, pas si difficile en vérité : quoi qu’elle ait fait et vécu, une femme aimée ne reste-t-elle pas éternellement… vierge?

Pour conclure, c’est ainsi qu’une décision de tribunal, accusée de flagrant délire par l’économie libidinale de la bonne conscience, vient nous rappeler, au plus près de notre accès au langage, que notre parole, lorsqu’elle ne peut plus “acter”, lorsqu’elle ne vise plus l’Autre et la réalité, dévale dans l’hystérie du commentaire, dans la surenchère émotionnelle, où nous devenons tous les consommateurs résignés de la bien-pensance, les geôliers pseudo-éclairés de nos prisons imaginaires, où l’indignation n’est autre que l’expression du narcissisme inhérent au libéralisme post-politique : le sujet indigné est le sujet qui s’éloigne de soi en projetant sur l’Autre ses fantasmes, lui permettant ainsi de contourner l’angoissante responsabilité de sa parole propre.


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