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Double peine d’un couple de sans-abri séparé par l’incarcération

Publié le 22 mai 2015 par Asse @ass69014555

Jusqu'aux tout premiers jours d'avril, en dépit de sa situation d'homme de la rue, Bruno(1) tient plutôt bien le coup car il vit avec Pierre(1), son amoureux depuis quatre ans. Mais voilà qu'un matin, la police vient les chercher pour les auditionner : une plainte a été déposée contre Pierre. Le soir-même, Bruno se retrouve tout seul sur son morceau de carton : pour être sûre de le retrouver dans le cadre de l'enquête, la justice vient de placer Pierre en détention provisoire. Privé de sa moitié, Bruno se met en mode " survie ", comme une perruche soudainement privée de son compagnon.

Ils se sont rencontrés il y a plus de quatre ans et leur vie de couple a débuté dans le bois de Vincennes. Pierre, du haut de sa grande taille, est une personne motivée qui espère toujours sortir de la rue, répond toujours présent dès qu'on lui propose une mission d'intérim, se bat pour rester propre et traine sa douce moitié dans son sillage optimiste. Bruno, petit et replet, navigue de rechute en rechute dans l'alcoolisme, n'essayant de lâcher sa bouteille que par amour de celui qui l'empêche jour après jour de se laisser aller.

Le temps n'a pas la même élasticité pour les personnes à la rue... Pour Bruno, l'attente est insupportable. Pour la tromper, il recommence à boire... Au bout de huit jours, les habitudes instaurées par Pierre deviennent impossibles à tenir : trop difficile d'aller à la douche régulièrement, de poursuivre les démarches auprès de l'assistante sociale, de manger, même. En quelques semaines, il passe d'une à deux, puis trois bouteilles de méchant rosé. S'anesthésie pour ne pas souffrir. Ne mange presque plus... L'alcoolisme est une maladie. L'alcoolisme de celui qui vit dans la rue est une forme de suicide...

Pas possible de le laisser sombrer sans réagir ! Un groupe de bénévoles de notre association se mobilise. A tour de rôle, ils assurent une visite à Bruno tous les deux jours : un temps de soutien autour d'une livraison de repas pour 48h avec les denrées qu'il affectionne le plus pour lui donner envie de s'alimenter : tomates cerises et fromage blanc. Un accompagnement laborieux jusqu'à la douche quand l'un d'eux parvient à se libérer pendant les heures d'ouvertures. Le remplacement d'un sac de couchage volé, d'un sac égaré, de chaussures trempées... Un coup de main pour les échanges épistolaires des amoureux. Un gros coup de pouce pour les démarches administratives. Un souffle de courage qui s'éteint souvent avant de le toucher... A chaque jour suffit sa peine.

" Pour moi, c'est difficile sans toi ", écrit-il à Pierre. " Malgré ça, je tiendrai la route. Je me battrai pour nous deux ". Des promesses en contradiction avec les actes. Certes... Mais des promesses qu'il a encore envie de faire et qui témoignent de son désir de vivre et de s'en sortir même si, livré à lui-même, l'alcool est rapidement devenu une échappatoire - aussi facile que peu confortable - à une attente qui de semaines en semaines est douloureuse, invivable...

Double peine

Outre la séparation dont souffrent chacun de leur côté Bruno et Pierre, leur situation d'hommes de la rue les privent des derniers droits(2) dont peuvent jouir les personnes incarcérées et leur famille.

Sans papiers depuis des mois - pas évident de refaire ces documents quand on vit à la rue - Bruno ne peut obtenir de permis de visite. Et si les détenus peuvent donner un coup de fil de temps en temps, encore faudrait-il trouver régulièrement un lieu où charger le petit téléphone pour qu'il sonne à l'instant où, derrière les barreaux, la tentative d'appel est possible. Les premières missives sont parvenues à sa domiciliation à l'autre bout de Paris. Là où est également arrivée, ironie du sort, la carte de transport qu'il n'a pas eu la force d'aller chercher à pied...

De son côté, Pierre, qui rappelons-le est présumé innocent jusqu'à ce que l'enquête s'achève et qu'un jugement ne décide de sa culpabilité ou de son innocence , n'a pu écrire qu'à partir du moment où nous lui avons envoyé un mandat, des timbres, des enveloppes et surtout une adresse où envoyer ses courriers. Et comme en prison tout s'achète (se " cantine "), il ne pouvait même pas tromper l'attente devant la télévision (10 €/semaine)... Il a fallu que Bruno puisse nous confier une partie de son RSA et que nous postions un mandat (seul moyen et... payant) pour qu'il puisse cantiner. Et comme le courrier met beaucoup de temps à arriver, la livraison de vêtements de rechange s'est faite attendre bien longtemps.

Si vous souhaitez venir en aide à Bruno et Pierre, n'hésitez pas à nous contacter.

(1) Prénoms changés par discrétion

~ o ~

(2) La vie quotidienne en prison

Alvaro Gil-Robles, Commissaire aux Droits de l'Homme, constate de grandes disparités de prix entre les établissements.

" Dans tous les établissements visités, j'ai demandé à voir la liste des prix après avoir reçu des plaintes relatives au coût de la vie. J'ai en effet constaté avec étonnement que les prix varient très fortement. Ainsi, alors que le prix d'un paquet d'un kilogramme de sucre avoisine les 0,90 euro dans une grande surface du centre-ville de Strasbourg, il était de 1,27 euro à la Santé, 1,48 euro à Fleury-Mérogis et de 1,45 euro à Strasbourg. (...)

Je ne comprends pas pourquoi il existe une telle disparité entre les prix. Il m'a été expliqué que les prix sont fixés par le directeur d'établissement après concertation avec les prestataires de services extérieurs choisis à la suite d'appels d'offres publics. Je comprends qu'il s'agit d'une procédure régulière. Toutefois, j'estime que l'administration doit veiller à ce que les intérêts des personnes détenues soient avant tout préservés, et donc que les prix pratiqués restent les plus accessibles possibles. Des services publics peuvent être effectués par des prestataires privés (en respectant évidemment toute les procédures appropriées), mais avec l'objectif d'en améliorer la qualité dans l'intérêt des usagers et certainement pas d'en tirer le plus de profit commercial possible. "

Le rapport de la Cour des comptes constate également le manque de cohérence dans ce domaine.

Un manque de règlement d'ensemble

" Tradition de la vie carcérale, la cantine permet aux détenus d'acheter, sur leur pécule, divers produits pour améliorer leur " ordinaire ". Le Code de procédure pénale n'en prévoit que deux sortes [une cantine alimentaire et une cantine accidentelle qui comprend le tabac, les produits d'hygiène, les vêtements et les journaux] mais la réalité est plus complexe. En effet, la pratique et la tradition ont conduit à la création de cantines plus différenciées, correspondant à des types de produits variés. (...) Aucune réglementation d'ensemble n'organise le fonctionnement des cantines. "

En 2000, Jean-Jacques Hyest et Guy-Pierre Cabanel s'inquiétaient de ce système qui engendre de fortes inégalités entre les détenus.

" La système de la cantine entraîne des effets pervers, en renforçant les inégalités, en suscitant des rapports de force et en favorisant le développement du racket.

Tous les intervenants auditionnés par la commission d'enquête ont souligné que l'argent était roi en prison, alors même que sa détention et, a fortiori, sa circulation sont interdites. Conformément à l'ancien système de la " pistole ", celui qui dispose d'un pécule important pourra donc améliorer sensiblement ses conditions de détention, alors que l'indigent devra se contenter du minimum mis à sa disposition par l'administration pénitentiaire. (...) Si elle crée des inégalités, la cantine favorise aussi le développement de rapports de force, puisque le détenu " riche " va établir sa domination sur les moins argentés qui dépendront de lui pour bénéficier d'une cigarette, d'un timbre ou encore de la télévision.

La solidarité entre détenus étant ce qu'elle est, tout se paie. Celui qui n'a pas d'argent devra donc s'acquitter de sa dette en " rendant service " ."

Travailler

Elodie David et Patrick Dubechot, chercheurs au Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie, ont mené une enquête auprès des détenus en 2003 afin de connaître les raisons qui les poussent à travailler
(voir " Travailler pour survivre ou pour se réinsérer ? ", in " Prisons. Permanence d'un débat ", Xavier Lameyre et Denis Salas, Problèmes politiques et sociaux, n° 902, 2004)

Pour la majorité des détenus interrogés la première raison est matérielle. N'ayant aucun soutien à l'extérieur, il s'agit de gagner de l'argent pour pouvoir cantiner. Certains, plus rarement, souhaitent ainsi, aider financièrement leur famille. La deuxième raison avancée est le désir de s'occuper, rompre la monotonie des journées, parler avec d'autres détenus, les surveillants. Pour d'autres c'est aussi la meilleure façon d'oublier les raisons qui les ont conduits à la détention.

Il faut noter que les détenus qui travaillent régulièrement bénéficient de réductions de peine.

Le travail comme outil de réinsertion

" Le travail n'est plus conçu comme un outil de moralisation mais comme un outil de réinsertion et de préparation au retour des détenus dans la société. C'est ce que traduit l'article D 101, alinéa 2 du Code de procédure pénale : " Dans la mesure du possible, le travail de chaque détenu est choisi en fonction non seulement de ses capacités physiques et intellectuelles, mais encore de l'influence que ce travail peut exercer sur les perspectives de sa réinsertion. Il est aussi tenu compte de sa situation familiale et de l'existence de parties civiles à indemniser ".

La réalité du travail carcéral apparaît bien éloignée de cette mission. Il est avant tout un instrument de gestion de la détention. Tout en procurant des revenus aux détenus, il permet principalement à la prison d'assurer sa mission de garde. Dans la plupart des cas, l'accès et le contenu du travail pénal ne permettent pas de l'envisager réellement comme préparatoire à une vie professionnelle. Plus fondamentalement les conditions de son exercice, en dehors des règles du droit du travail, le condamnent en tant qu'outil d'insertion. "

( Rapport de Louis Mermaz et Jacques Floch, Assemblée nationale, 2000)

Le rapport de la Cour des comptes déplore les insuffisances de l'offre et des rémunérations du travail carcéral.

L'insuffisance de l'offre de travail

" Force est donc de constater que l'administration pénitentiaire n'atteint pas l'objectif qui lui est fixé par la loi : elle ne parvient pas à fournir un travail à tous ceux qui en font la demande. Cet échec se répercute sur la réalisation des missions de garde et de réinsertion. Nombre de détenus sont réduits à une inactivité forcée, toute la journée, seuls ou à plusieurs dans leur cellule et ils se trouvent dans une situation de précarité qui les empêche de procéder à l'indemnisation des parties civiles et de s'engager dans une démarche active de réinsertion.(...) "

L'insuffisance des rémunérations

" Les rémunérations en prison sont également sensiblement plus faibles qu'à l'extérieur, comme le montre la comparaison entre les taux horaires du SMIC et du SMR (salaire minimum de référence). Le SMR en maison d'arrêt représente 40,9 % du SMIC et 44,2 % en établissement pour peine. A supposer qu'un texte législatif ou réglementaire l'autorise, ce qui aujourd'hui n'est pas le cas, l'existence d'un écart n'est pas, en soi, critiquable, au moins pour la part de cet écart qui correspond au fait que la couverture des besoins vitaux des détenus est prise en charge par l'administration.

Toutefois l'écart entre le SMR et le SMIC ne donne qu'une vue approximative de la réalité des rémunérations en prison. Le SMR n'est en effet qu'indicatif et ne concerne que celles qui sont versées aux détenus qui travaillent en atelier. L'administration pénitentiaire considère que le salaire minimum ne s'applique pas à ceux affectés au service général. "

Quelques chiffres :

En atelier le SMAP (salaire minimum de l'administration pénitentiaire) est de 3,11 euros de l'heure.

En cellule les détenus gagnent plus du simple fait qu'ils aménagent leurs temps de travail comme ils le souhaitent.

Les salaires varient ainsi de 100 euros à 500 euros par mois.

(Source : d'après l'enquête du Credoc (voir " Travailler pour survivre ou pour se réinsérer ? " , in " Prisons. Permanence d'un débat ", Xavier Lameyre et Denis Salas, Problèmes politiques et sociaux, n° 902, 2004)

En 2004, 20866 détenus ont travaillé :

- 1 184 employés par la Régie industrielle des établissements pénitentiaires (RIEP) ;
- 8 875 employés par des concessionnaires ;
- 6 635 participaient au service général ;
- 1 331 travaillaient à l'extérieur ;
- 2 841 suivaient une formation professionnelle rémunérée.

Conserver les liens avec l'extérieur

L'éloignement géographique est le premier obstacle dénoncé par Louis Mermaz et Jacques Floch dans leur rapport à l'Assemblée nationale (2000).

" Le premier de ces obstacles est l'éloignement du détenu. Selon l'article D.53 du Code de procédure pénale, l'affectation dans une maison d'arrêt dépend du ressort du siège de la juridiction d'instruction ou de jugement devant laquelle le prévenu est appelé à comparaître. Cette situation obéit bien évidemment à des contraintes liées à l'instruction de l'affaire, l'autorité judiciaire pouvant demander l'extraction du prévenu chaque fois qu'elle l'estime utile. Il faut néanmoins s'interroger sur les conséquences psychologiques qu'une telle disposition implique pour le prévenu. La mission effectuée par la commission d'enquête dans les départements d'outre-mer a ainsi eu l'occasion de constater l'état de dénuement total dans lequel se trouvaient certains métropolitains, notamment des femmes, arrêtés en Guyane ou aux Antilles pour des affaires liées à des trafics de stupéfiants. La rupture totale de liens familiaux provoquée par l'éloignement constitue, particulièrement dans le cas de femmes ayant des enfants, un véritable traumatisme. Ce dernier est d'autant plus aggravé que les prévenus ou les condamnés, dans les maisons d'arrêt, n'ont pas le droit de téléphoner. (...)

Le cas des établissements pour peine est plus particulier : s'ajoute au problème de l'éloignement, la question de la durée de détention. Il semble exister de la part des détenus condamnés à de longues peines un certain fatalisme sur le sujet, conscients qu'on ne peut demander à une famille d'affronter l'univers pénitentiaire pendant vingt ans pour des visites qui exigent souvent de mobiliser une journée et requièrent des moyens importants.

Là encore, la question de l'éloignement de l'établissement est une donnée essentielle ; elle se pose avec une acuité particulière pour les femmes, aucun établissement ne se situant au sud de la Loire. "

Jean-Jacques Hyest et Guy-Pierre Cabanel dépeignent l'état des parloirs (2000).

" Tout d'abord, les " abris famille " ; les familles attendent d'accéder aux parloirs dans une salle exiguë, lorsqu'une telle salle existe.

En effet, dans un certain nombre de maisons d'arrêt, les visiteurs sont parqués dans un couloir, sans possibilité de s'asseoir, en attendant de passer sous le portique et de rejoindre leurs proches. (...) Ensuite, le parloir lui-même : il s'agit souvent d'un endroit peu pratique d'accès dans la prison, mal nettoyé, mal éclairé, voire sordide comme à Toulon. A la maison d'arrêt de Fresnes, le parloir est au sous-sol, non loin des cuisines. La lumière artificielle est la règle. Les détenus et leurs familles disposent de peu d'espace. A la maison d'arrêt de Nanterre, la direction a dû installer un petit dispensaire qui permet aux personnes de se reposer : la circulation dans les couloirs pour rejoindre les parloirs, leur caractère sombre et oppressant provoquent régulièrement des malaises chez certains visiteurs.

D'heureuses exceptions tranchent en matière d'accueil des familles, comme la maison d'arrêt de Melun qui dispose d'un local pour les enfants. "

Les unités de vie familiale

Les unités de vie familiale sont des espaces destinés aux détenus condamnés à de longues peines et ne bénéficiant pas de permissions de sortie. Ils sont créés dans l'enceinte pénitentiaire, sans surveillance à l'intérieur même de ces espaces, ils permettent à la famille dont l'un des membres est incarcéré de vivre pendant un certain temps, toutes les dimensions de la vie familiale.

Dans son rapport, Alvaro Gil-Robles, Commissaire aux Droits de l'Homme au Conseil de l'Europe, fait le constat suivant : " Je voudrais attirer l'attention des autorités françaises sur le retard pris par la France quant à la mise en œuvre des unités de vie. (...) Ce mode spécifique d'organisation des visites qui permet aux conjoints et aux enfants de préserver leur vie privée malgré l'emprisonnement de l'un d'eux est très important et se généralise dans la plupart des Etats membres du Conseil de l'Europe. Il s'agit, à mon avis, d'un très bon moyen de sauvegarder les familles, d'éviter leur éclatement et de favoriser la réinsertion du prisonnier qui sera convaincu d'être attendu. (...) J'ai été informé qu'à l'heure actuelle, il n'existait en France que 2 ou 3 unités de vie familiale à titre expérimental. Dès lors, j'appelle les autorités à combler ce retard et faire des avancées considérables dans ce domaine très important favorisant le respect de la dignité humaine et la réinsertion ".

SOURCE : la documentation française

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