L'Atelier est probablement un des secrets les mieux gardés de Cusco. C'est au bout d'une de ces rues étroites, si typiques du quartier de San Blas, qu'on découvre ce petit local à deux étages. Sur la façade trônent un balcon en bois bleu et une pancarte : " L'atelier café ◦ concept ". Le nom français n'est pas un hasard, c'est Ingrid Thieblemont, Française, et Cuzquénienne d'adoption, qui est derrière le projet.
Dès qu'on passe la porte, on découvre un univers douillet, tout de bois, avec une multitude d'accessoires et d'objets de déco. C'est si rafraichissant de découvrir des produits uniques et de qualité, alors que la majorité des souvenirs semblent être faits à la chaîne, directement envoyé de Chine. " C'est moi qui les fais à la main " entend-on souvent. Mais oui, bien sûr, bien sûr...
On emprunte le petit escalier qui craque pour découvrir l'espace café, aux touches vintage, avec seulement trois petites tables et des volets ouverts qui offrent une vue charmante sur la rue animée en laissant entrer une lumière chaude.
À mon " bonjour! ", Ingrid, penchée derrière le comptoir -manifestement en recherche active de quelque chose-, remonte soudainement la tête et répond en souriant : " bonjour! ".
Je suis justement ici pour en apprendre plus sur son histoire d' "expat". Un thé et un cappuccino à la main, on discute.
Tu es propriétaire de L'Atelier, une boutique qui a aujourd'hui deux locaux. Raconte-nous comment en es-tu arrivée là?
J'étais styliste à Paris pour une grosse boîte de production. J'allais en Chine tous les mois, j'ai voyagé beaucoup. Un jour, j'ai voulu partir au Pérou pour changer d'air. Je me suis inscrite dans un voyage sportif alors que je n'étais pas du tout sportive. Ça a été difficile, mais le voyage a été génial. Durant 3 semaines, on a marché à travers des paysages fantastiques, des petites routes, des villes sympas. Bien sûr, on a fait les " classiques " mais assez rapidement, c'était surtout un voyage axé sur le plein air.
Je me souviens parfaitement d'un moment marquant : je prenais un café sur la Place de San Blas, avec une belle vue sur Cusco et je me disais " je dois revenir ici ".
Le lendemain, je pleurais dans mon avion de retour.
J'étais en France, mais j'avais Cusco en tête. Mes pauvres amis en avaient marre de m'entendre parler tout le temps de Cusco. Au bout d'un moment, j'ai décidé de vendre tout ce que j'avais et je suis revenue.
Et donc, tu es revenue pour de bon?
Je suis revenue une première fois de façon " prudente ". C'est-à-dire que j'avais un visa de 6 mois et j'avais pris une sorte package de 4 mois durant lesquels j'allais faire du volontariat, prendre des cours d'espagnol et séjourner dans une famille locale.
J'ai énormément appris de cette expérience et c'est dans ma famille d'accueil que j'ai rencontré celui qui est devenu mon mari.
Aujourd'hui, on trouve de nombreux cas où les soit disant associations sont surtout là pour faire des profits. Mais à l'époque, du moins où j'étais, ils avaient vraiment besoin de gens. Celui qui était à l'origine du projet avait essayé de comprendre pourquoi il y avait autant de délinquants dans son quartier et en avait conclu que c'était parce qu'ils étaient pratiquement tout le temps dans la rue. Il avait donc construit une école pour leur donner un cadre. Il m'a dit : " bon, tu vas être prof ".
Elle explose de rire.
Je ne parlais pas espagnol! Heureusement, il y avait une américaine qui était plus avancée que moi et on se débrouillait à deux en faisant des dessins. Ces jeunes étaient des cas difficiles. En plusieurs mois, je les ai toujours vus avec les mêmes vêtements, mais ils étaient adorables. J'en aurais bien adopté quelques-uns.
Finalement, je suis restée 9 mois. J'ai voyagé avec mon copain en Équateur et ailleurs, puis je suis rentrée en France. Je n'avais absolument pas envie de trouver du travail, alors j'ai dit " non, je reviens! ".
Comment les gens de ton entourage ont réagi?
Les gens sur le coup ne t'encouragent pas vraiment parce qu'ils angoissent pour toi. Ça doit être le reflet de leur propre peur qui ressurgit. Mais mon père m'a appuyée : "si tu ne le fais pas maintenant, tu le feras jamais. "
C'est là que tu as ouvert l'Atelier?
Ça n'a pas été aussi facile. J'ai fait plusieurs petits boulots, j'ai été prof à l'Alliance Française, j'ai fait du freelance en dessinant pour une collection, jusqu'à finalement ouvrir la boutique. Ça a mis du temps, mais ça a été toute une expérience!
J'ai ouvert d'abord la première succursale qui se trouve un peu plus bas dans la rue. C'était à la fois mon atelier et la boutique, donc rapidement j'ai manqué de place. En plus, j'avais une idée qui me trottait en tête, j'avais envie d'un espace où les gens restent, prennent un café.
Soudainement elle sort de ses pensées. "Vous ne voulez pas un autre café et quelque chose à grignoter? "
Je prendrais bien un espresso.
Dans ce joli petit univers, difficile de résister à une douceur. On partagera aussi le gâteau vegan noix et banane, et la tarte au citron. Une tuerie, en bon français.
Entre deux bouchées, elle en profite pour nous montrer son atelier, un véritable petit univers d'artiste, entre tissus, croquis et photos.
Quels sont les produits que tu vends ici?Dans la première boutique je vendais des choses vintage et chinées, mais maintenant je travaille avec des femmes péruviennes qui m'aident à faire la couture ou les bijoux en suivant mon design. Je vends aussi d'autres marques comme Ikarus ou encore Millo, qui appartient à une Française qui vit à Urubamba. Elle fait de jolies choses en coton bio. On a aussi des cartes postales avec des photos que j'ai prises et en bas, on a des produits pour la peau. Sinon, aujourd'hui je vais installer une nouvelle collection d'habits pour bébé en coton.
Comment c'est, être Français à Cusco?
Il y a pas mal d'étrangers car comme les Péruviens sont très accueillants, il y a de bonnes opportunités ici. C'est agréable d'être Français à Cusco, les gens sont sympas avec nous.
En fait, pour moi il n'y a pas de " communauté française ". Oui, il y a il y a des " expats " français, anglais, irlandais avec lesquels on aime se retrouver de temps en temps pour échanger, mais on s'adapte à la culture péruvienne.
Comment sont les relations avec les Péruviens?
Côté intégration, ce n'est pas toujours facile car ça prend du temps de gagner la confiance des gens. Comme ils sont de nature un peu méfiante, on peut sentir une distance en ouvrant un business. Mais une fois que la confiance est gagnée, c'est pour de bon.
Bien sûr, culturellement c'est très différent. Le plus fort ici, c'est la famille avant tout. Ce n'est pas si facile de créer une amitié, mais aujourd'hui j'ai des amis proches péruviens.
J'adore l'échange avec les gens ici, particulièrement avec les chauffeurs de taxi. Ils me posent souvent les mêmes questions en pensant que je suis touriste, et quand je dis que je vis ici depuis 7 ans, ils répondent " ah, alors tu es Cusqueña! "
Quels sont tes endroits préférés à Cusco?
-J'adore " chiner " au Barratillo, un marché de troc, vintage, de vieux trucs qui se tient le samedi. Il faut fouiner mais j'adore ça.
-Manger une crêpe chez Sarah, à La Bohême.
-Aller voir Evelyn qui coud à côté, à El Hilo.
- Taco Mania, un restaurant mexicain délicieux, tenu par un couple anglo-péruvien.
- El Huarique, un bar sympa ouvert par Martina il y a seulement 3 mois
- La Cantina et La Bodega pour une bonne pizza italienne
- La Cusqueñita pour des plats typiques de Cusco
-Le Green Point pour le menu vegan à 12 soles. En plus les jus sont très bons
-Chez Lila, au Mercado San Blas qui fait des menus végétariens à 6 soles
-Le Mercado San Pedro pour manger des plats imples et très abordables, comme le riz à l'œuf
-La Cicciolina pour prendre une coupe de vin avec une bouchée
Quel conseil donnerais-tu à ceux qui voudraient venir tenter leur chance à Cusco?
Faites-le! Si on sent l'inspiration, on sent qu'on a quelque chose à faire, il faut s'écouter. On s'écoute de moins en moins et on laisse souvent les autres décider pour nous. Il faut se lancer car même si ça ne fonctionne pas, ce ne sera pas un échec.
Au fond, on sait ce qu'on veut. Moi aussi, à la veille de mon retour, je flippais. Mais c'est comme tout dans la vie, un couple, un nouveau travail, un projet, l'incertitude fait peur. Si l'envie est plus forte que la peur, il faut y aller.
Le problème ici, c'est qu'entre le soleil qui nous chauffe les joues, le bel espace, la bonne compagnie et le wifi -avis aux voyageurs branchés-, on a surtout pas envie de partir. On reviendra bientôt pour l'apéro, afin de goûter à l'assiette de tapas accompagnée d'une coupe de vin. L'Atelier by GridAdresse : Calle Carmen Alto 227 (au coin de la rue Atoqsayk'uchi)
Tél : (084) 248333
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