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Auteur : Aurélie Wellenstein
Édition : ScrinéoParution : 2015
Pages : 284Prix : 16,90 €
Genre : Fantasy
P
oussés par une famine sans précédent, trois amis, Kaya, Ivar et Oswald, prennent le risque de braconner sur les terres de leur seigneur, mais son fils les surprend. Au terme d’une lutte acharnée, ils laissent le noble pour mort. Capturés et jugés pour tentative de meurtre, les trois amis sont condamnés à ingérer un parasite qui va les transformer en « berserkirs ». Au bout de sept jours de lente métamorphose, ils seront devenus des hommes-bêtes, et leur raison s’abîmera dans une rage inextinguible. Le temps de cette transformation, ils sont enfermés dans Hadarfell, un ancien royaume abandonné, dont le passé et l’histoire ont été engloutis par le temps…
E
n général, j’aime beaucoup les romans que Scrinéo choisi d’éditer en matière de fantasy (Gabriel Katz et Marie Pavlenko, j’adore ! Sans compter Estelle Faye qui a rejoint aussi le catalogue l’année dernière). C’est donc sans hésiter que je me suis lancée dans la lecture de ce nouveau roman de fantasy, superbement illustré par Aurélien Police.
Premier bon point, on ne patiente pas longtemps avant d’entrer dans le vif du sujet : l’intrigue est tout de suite au cœur du récit, et il suffit de quelques pages pour plonger dans l’ambiance sombre et étrange du roman. L’auteur ne s’embarrasse pas de détails sur son univers, on en sait finalement très peu : on comprend que la famine ravage le village des trois principaux protagonistes Ivar, Kaya et Oswald, et que ceux-ci décident alors de chasser sur des terres qui ne leur appartiennent pas. Cette décision, motivée par la faim et l’envie de protéger leurs familles, aura des répercussions énormes… et changera leur vie à jamais.
C’est à peu près tout ce qu’on apprend sur l’environnement de nos trois jeunes affamés : très peu d’indications sont données sur le monde qui les entoure, que ce soit la géographie, l’époque, le niveau technologique, le fonctionnement social, politique ou religieux. Mais un peu comme dans une nouvelle, l’absence de détails sur le fonctionnement du monde où prend place l’action n’a que peu d’importance et ne gêne pas la lecture, même si le roman aurait sûrement gagné à être un peu plus étoffé sur quelques points du background.
Les seuls éléments véritablement connus sont la sanction que les personnages vont subir pour avoir braconné sur les terres d’un jeune seigneur avide de pouvoir, et le lieu de leur supplice : la forêt d’Hadarfell. Leur châtiment : se transformer en berserkir en l’espace de sept jours, et devenir des monstres mi-hommes mi-animaux consumés par la colère et la haine. Le roman constitue ainsi une lente descente aux enfers et devient de plus en plus sombre et dérangeant à mesure que les derniers jours des trois personnages principaux s’égrènent.
L’ambiance du récit est très proche de ce qu’on retrouve dans les bons romans de fantastique : l’étrange, l’horreur et la folie s’insinuent petit à petit dans l’univers, et les personnages ne savent plus ce qui relèvent du réel ou non. Je m’attendais à trouver une sorte de lutte de tous les instants entre l’humain et la bête, mais ce n’est finalement pas ce que propose Le Roi des fauves. J’avoue que j’ai été un peu déçue sur ce point, parce que c’est ce que j’avais envie de lire, mais le chemin choisi par l’auteur est loin d’être mauvais, et il m’a surprise, notamment sur la fin du roman. Ainsi, bien que l’intrigue soit finalement assez simple, le plaisir de lecture se trouve surtout dans l’atmosphère du récit. J’ai aussi beaucoup apprécié que ce roman soit un one-shot, qui ne s’embarrasse pas d’une introduction à rallonge, et avec une vraie fin.
En revanche, ce qui manque selon moi à ce roman, ce sont des personnages charismatiques et attachants, et un peu d’émotion pour faire vibrer le lecteur. Je n’ai pas vraiment accroché avec les trois personnages principaux, et les sentiments d’Ivar n’ont pas réussis à me toucher. Et pourtant, j’admire le choix de l’auteur, qui dépeint des personnages très humains, et donc bourrés de défauts. Dans ce roman, vous ne trouverez pas d’héroïsme typique des romans de fantasy "classique", pas de romance pleine de bons sentiments, de fraternité entre camarades ou de personnage bienveillant apportant son aide aux trois héros lorsqu’ils sont dans le besoin. Non : ici, on est dans la vraie vie, celle qui est injuste, celle où les meilleurs amis se retrouvent ennemis par la force des choses, celle où chacun veut sauver sa peau au détriment des autres, où les tentatives désespérées pour survivre ne sont pas auréolées de gloire et de bravoure.
Ce réalisme assez dur, même s’il dérange, même s’il rend les personnages moins attachants, c’est ce qui donne toute sa force au récit. Donc oui, il y a des bémols à cette lecture, mais j’ai aimé les choix de l’auteur, et j’espère qu’elle nous proposera d’autres romans dans la même veine, et qu’ils seront encore meilleurs.
Le Roi des fauves est un one-shot sombre et dérangeant, qui raconte la lente descente aux enfers d’un trio d’amis condamnés à une transformation douloureuse en homme-bête pour avoir braconné sur les terres d’un noble. L’intrigue est simple et le fonctionnement de l’univers très peu développé, mais le plaisir de lecture réside surtout dans l’ambiance étrange teintée d’horreur que l’auteur maîtrise de bout en bout. Je regrette de n’avoir pas eu plus d’atomes crochus avec les personnages principaux, mais l’auteur a choisi d’en faire des humains plein de défauts auxquels il est donc difficile de s’attacher. Ce bémol est pourtant aussi la force du récit, implacable de réalisme, dans lequel l’héroïsme et la bravoure chers à la fantasy s’effacent devant l’instinct de survie et la dure loi de la nature. Un roman différent, qui a ses défauts mais aussi de bonnes idées, et qui font du Rois des fauves une lecture à la fois étrange et surprenante.
7,5/10
un animal sauvage
20/48