Au salon de l'aéronautique qui se tient au Bourget jusqu'à demain, la star des stars des engins volants est cet avion sans pilote, commandé à distance ou de matière automatique, baptisé drone. Technologiquement fascinant, le drone est un instrument effrayant qui pose d'abyssales questions d'ordre morale et métaphysique tout autant que militaire. Un débat intense s'est amorcé aux États-Unis et en Israël entre ceux qui font valoir que le drone est la plus " humaine " des armes et ceux qui en dénoncent l'utilisation. A l'heure où la France souhaite, à son tour, se doter de drones, le livre de Grégoire Chamayou, philosophe, chercheur au CNRS, au laboratoire Cerphi de l'ENS Lyon, " La théorie des drones " qui vient de paraître à La Fabrique, porte son regard sur le sujet, et la réflexion qu'il développe, pertinente et argumentée, s'avère nécessaire voire indispensable à qui s'intéresse un minimum à ce qui représente une grave dérive sécuritaire.
Il existe plusieurs types de drones, tous équipés d'une caméra haute résolution, les drones " guerriers " sont aussi équipés de missiles et portent le doux nom de Predator. Les Etats-Unis possèdent environ 6000 drones de tous types. Tous les quatre jours, un drone américain frappe une cible désignée, le plus souvent dans un pays qui n'est pas en guerre avec les Etats-Unis. Il y aurait, pour l'administration américaine, deux manières de désigner les cibles. La fameuse " kill list ", établie à Washington tous les mardis par des spécialistes du renseignement et de la sécurité, validée par Barack Obama. Les drones sont ensuite lancés pour rayer les noms de la liste, et ceux qui les portent de la surface du globe... Ce sont les frappes de personnalités. Quant à l'autre mode de désignation, elle est rapportée par le Washington post : à partir d'indices, de traces, de signes d'appartenance, sont établies les cartes des déplacements, des relations, des emplois du temps d'un individu repéré... ces données compilées dessinent un profil dont les spécialistes du renseignement et de la sécurité définissent s'il corresponde à des comportements déviants en matière de sécurité ou non. Si le comportement est estimé déviant, un drone est envoyé tuer l'inconnu sur lequel ont été amassées des masses de données le désignant comme coupable potentiel (pire que dans Minority report).
Le drone est une arme de terreur. Les États-Unis tentent de faire réviser le droit sur la guerre au motif qu'ils sont impliqués dans une poursuite internationale centrée non plus sur la zone géographique mais sur la localisation de la proie. Le champ de bataille se réduit à une poignée d'individus, il devient mondial, mobile et permanent. L'usage du drone tueur revient à s'octroyer le droit d'assassiner à l'échelle mondiale, le droit de se livrer à des exécutions extra judiciaires.
Mais à ce jeu-là, nous serons l'arroseur arrosé. Le drone est une arme low cost de basse technologie appelé à proliférer qui peut être acquise par des civils et groupes en tout genre, et les attentats aux drones ne sont aucunement inenvisageables.... La prolifération de ces armes et de bien d'autres nous enferme dans un engrenage sécuritaire qui tout en prétendant préserver des vies, aggrave les tensions, l'insécurité et les injustices.
Grégoire Chamayou a creusé le sujet de manière exemplaire, il serait bon de se nourrir de ses réflexions pour au moins comprendre certains enjeux qui nous concernent tous et sont à l'opposé d'une philosophie de la vie. Débattons-en...
Gégroire Chamayou : La théorie du drone ...