Magazine Côté Femmes

Sur quelle mode gouverner ?

Par Aelezig

Article de Marie-Claire - Mars 2015

Les hommes, c'est simple, portent le costume. Pour les députées, ministres et autres politiciennes, l'affaire s'avère - encore et hélas - plus délicate, au risque de se retrouver épinglées sur les réseaux sociaux ou dans les médias à cause d'un jean ou d'une veste portée trois fois. Peut-on rester soi-même lorsqu'on exerce le pouvoir ? Jusqu'à quel point l'apparence est-elle un outil de communication ?

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Merkel

L'ensemble vert menthe de Margaret Thatcher, l'éternelle veste colorée d'Angela Merkel, le tailleur-pantalon d'Anne Hidalgo le jour deson élection comme maire de Paris... Le Design Museum de Londres accueille, jusqu'au 26 avril, une exposition dédiée à la garde-robe de femmes puissantes au cours des deux derniers siècles. Le sujet invite à s'interroger sur le look des politiques : comment utilisent-elles leurs vêtements pour affirmer leur pouvoir, incarner une fonction, des idées, ou séduire les électeurs ? Des questions incontournables car, à l'heure des réseaux sociaux, les looks de ceux qui nous représentent sont désormais disséqués, décryptés, comme ceux des actrices foulant le tapis rouge à Cannes. Gare au faux pas qui peut être buzzé à l'infini et... hérisser les électeurs.

Personne n'a oublié les critiques acides contre Rachida Dati, alors garde des Sceaux, posant en 2007 en robe Dior et bottes talon aiguille dans Paris Match, ni les piques contre l'ex-ministre de l'Ecologie Nathalie Kosciusko-Morizet en bottes Hermès à 1700 €. En période de chômage, les excès de bling-bling époque Nicolas Sarkozy ont été très mal perçus.

Le dilemme du look à accorder avec le rôle se pose dès l'entrée en fonction : "J'éprouve rarement l'angoisse du "je n'ai rien à me mettre" devant ma penderie, raconte Pascale Boistard, secrétaire d'Etat chargée des Droits des Femmes. Mais quand j'ai appris ma nomination, j'ai dû improviser pour trouver une tenue adaptée à mon premier Conseil des Ministres. Le casse-tête : marquer par ma tenue une certaine forme de respect pour la fonction qui est la mienne, les gens que je représente et ceux que je rencontre. Bref, comment être classique, mais ni trop stricte, ni trop ostentatoire."

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Kosciusko-Morizet

"Ca fait partie de ma responsabilité, de me demander quelle image je renvoie lors de mes interventions publiques, admet Clémentine Autain, porte-parole d'Ensemble ! (composante du Front de Gauche). Parce que la tenue, elle aussi, raconte la politique, et la distance plus ou moins grande avec les catégories populaires, qui doivent être représentées avec élégance et dignité. C'est pourquoi, à la télé, je ne porte jamais la jolie veste griffée qui m'a été offerte pour mes 40 ans. Cette pièce un peu trop chic pourrait brouiller mon message." D'où ses vestes Monoprix rouges, "simples et joyeuses. Et la veste à fleurs Chattawak que je portais chez BFMTV hier soir, 18 € chez Emmaüs !"

Mais trop ressembler à Madame Tout-le-Monde ne paie pas non plus... Cécile Duflot, alors ministre du Logement, en a fait la cuisante expérience en arrivant en jean à son premier Conseil des Ministres, en mai 2012. Un crime de lèse-solennité que Nadine Morano, ex-ministre UMP, avait fustigé dans un tweet réprobateur : "Quand on représente les Français, il faut faire la différence entre la dilettante du week-end et la tenue du Conseil des Ministres. C'est un moment protocolaire."

Une féminité dangereuse

"C'est un fait, les femmes politiques sont assignées à leur apparence, constate Jamil Dakhlia, chercheur en communicatino politique. Il y a plus de vigilance, d'exigence, de sévérité, envers leur tenue vestimentaire qu'envers celle des hommes. Leurs collègues, les médias, le public (femmes et hommes) ne leur pardonnent rien. Et plusune femme affiche sa féminité, plus elle risque un "procès" de ses adversaires en incompétence et illégitimité". On se souvient des quolibets visant la robe à fleurs portée par Cécile Duflot, encore elle, quelques mois plus tard, devant l'Assemblée Nationale.

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Une police du style existe-t-elle à l'Assemblée ou à l'Elysée ? Des consignes sur la bonne longueur, le décolleté ou la hauteur des talons ? Pas de règlement intérieur, non, mais tout est bon pour faire passer une adversaire politique pour ce qu'elle n'est pas. Exemple : le tweet de Franck Keller, conseiller municipal divers droite de Neuilly-sur-Seine, contre la ministre de l'Education Nationale : "Quels atouts Najat a utiliss pour convaincre Hollande de la nommer à un grand ministère ? " Avec, à l'appui, une photo de la ministre vêtue d'une jupe courte...

Dans ses précédentes fonctions, Fleur Pellerin, alors ministre déléguée aux PME, à l'Innovation et à l'Economie Numérique, a elle aussi fait la joie des réseaux sociaux en gravissant le perron de l'Elysée avec une robe qui remontait (malgré elle) haut sur ses cuisses, façon minirobe. "Un politique, femme ou homme, ne peut se permettre toutes les excentricités en public, commente, anonymement, une conseillère en communication. Celles qui s'affranchissent des signes extérieurs de respect dus à la fonction doivent ensuite assumer les conséquences, et ne pas crier au sexisme quand elles bousculent les codes."

Certes, mais face aux photographes, le moindre détail qui cloche peut déclencher un bad buzz. "Un jour, j'ai porté la même robe dans deux déplacements et j'ai été critiquée pour cela", se souvient Aurélie Filippetti, ex-ministre de la Culture. Quant à Nadine Morano, elle s'est énervée contre Les Guignols de l'Info sur Canal+, pour les mêmes raisons : "Ma marionnette portait une veste imitant celle que j'avais portée plusieurs fois de suite dans des manifestations publiques. Eh oui, une ministre ne s'achète pas une tenue par jour et n'a pas que ça à faire !"

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Filippetti

"Qu'on soit trop ou pas assez (au choix) élégante, chic, féminine... on est critiquée, s'agace Aurélie Filippetti. Donc la pente naturelle pour ne pas avoir de problème, c'est le tailleur-pantalon noir ou bleu marine et les chaussures plates." "Elles s'autocensurent car couleur, bijoux, coiffure, maquillage... tout ce qui sort de l'ordinaire est surinterprété", comment Jamil Dakhlia. Exemple : le look d'ado quasi gothique de Nathalie Kosciusko-Morizet en cuissardes et mitaines, en 2009, décodé par certains comme un manque de maturité.

Dès la fin des années 90, Elisabeth Guigou, première femme Garde des Sceaux, avait bien compris que le style est un outil de communication. S'emparant des codes masculins, elle a popularisé le tailleur-pantalon noir ou anthracite + chemise blanche, équivalent symbolique du costard-cravate des hommes. Un "uniforme" passe-partout, discrètement féminisé par une écharpe, également porté par Valérie Pécresse, ex-ministre du Budget, Anne Hidalgo et Najat Vallaud-Belkacem. Le message subliminal : "L'important c'est de m'écouter, pas de me regarder." Bref, zéro prise de risque. Variantes : Christiane Taubira et Angela Merkel, toutes deux abonnées aux vestes, noires ou colorées, déclinées dans tous les tons.

"Le tailleur-pantalon, c'est une assurance tranquillité, mais quel ennui !" sourit Aurélie Filippetti, pour qui "la mode est un art qu'il faut aimer et valoriser". L'ex-ministre et députée PS de la Moselle, fait partie de cette nouvelle génération de politiques qui joue avec la mode, particulièrement dans les grandes occasions. "Lors des passages télé, j'évitais de faire de la publicité à telle ou telle marque. En revanche, lors des festivals et cérémonies officielles, je veillais toujours à valoriser des jeunes créateurs français ou installés en France : Rabih Kayrouz, Christophe Josse, Maurizio Galante, Alexis Mabille, Bouchra Jarrar, Céline Meteil, Vanessa Bruno, Barbara Bui... Pour une occasion exceptionnelle, Chanel, Balenciaga et Saint Laurent m'ont prêté des robes." Son couturier préféré ? "Courrèges pour son style inimitable, à la fois futuriste et féminin, et parce que ce sont des amis qui dirigent l'entreprise, avec le souci de la qualité et de la production en France."

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Pellerin

Maîtriser le message du luxe

"Le luxe français s'exporte bien, et les ministres savent qu'elles servent mieux le pays avec une robe de créateur empruntée qu'avec du prêt-à-porter", observe Isabelle Dubern, créatrice de la société de luxury consulting 10 Vendôme. Ses stylistes conseillent cadres sup et politiques, comme Fleur Pellerin. Ainsi, pour aller dîner à la Maison-Blanche, en février 2014, cette dernière portait une robe longue kimono Gucci, griffe italienne qui appartient à un groupe français. Carven une maison française, lui prête aussi des pièces. "Mais il faut que les ministres communiquent plus sur leur tenue, afin d'éviter les malentendus, qu'elles parlent de savoir-faire français, des emplois générés..." C'est toute la différence avec les people : "Les ministres ne sont ni des actrices ni des égéries qui "vendent" des cosmétiques. Et la robe est rendue vingt-quatre heures après... comme dans l'histoire de Cendrillon." (rires)

Fleur, Najat, Aurélie, Marisol, Nathalie... "Elles représentent la Parisienne type dans l'imaginaire des étrangers, poursuit Isabelle Dubern : l'urbaine active, élégante sans efforts, grâce à des pièces structurées, dans des marques tendance etpas trop chères." Exemple : Fleur Pellerin, qui mixe des slims Saint Laurent avec du Zara. Mais comment aide-t-on une ministre à habiller sa fonction en dépit de son agenda ultra-serré ? "Deux fois par an, nous les aidons à constituer une garde-robe de fond, explique Isabelle Dubern. Nous connaissons leurs goûts, leurs attentes, et nous leur ouvrons notre carnet d'adresses : Rossano Ferretti, coiffeur star, ou le coloriste Christophe Robin." Pour une ministre, comme pour toute élégante, l'accessoire est essentiel : "Nous conseillons chaussures et sacs de marques françaises et européennes - Longchamp, Balenciaga, Saint Laurent, Céline - et des jeunes créateurs." Mieux vaut rester "low profile", car une belle pièce colle mal avec le discours sur le déficit budgétaire. Donc pas le Birkin d'Hermès (entre 5000 et 7000 euros). "Mais nous leur recommandons d'investir dans un sac classique qu'elles garderont longtemps."

Mais beaucoup de ministres se débrouillent seules pour remplir leur dressing. Marisol Touraine, la ministre de la Santé, a ses "marques fétiches comme Tara Jarmon". Et pousse la porte des grands magasins. Pour aller au plus vite, au plus pratique, certaines achètent en ligne et ont leurs habitudes dans des boutiques de leur circonscription, comme Aurélie Filippetti, à Metz. Ou Pascale Boistard : "Je n'ai pas changé en passant de députée à ministre. Quand j'ai un peu de temps, je fais les boutiques dans le centre d'Amiens. En particulier chez une créatrice de chaussures, Florence Kooijman." Un point commun avec... Nadine Morano : l'achat multiple. "A l'automne dernier, confie la députée européenne, dans une boutique du 6e arrondissement, j'ai trouvé une petite robe très bien coupée, pas chère, infroissable, impeccable pour siéger à Strasbourg en sortant du train. Je l'ai achetée en quatre couleurs ! J'ai aussi deux tailleurs-pantalons noirs identiques Gérard Darel, ultra-confortables." Pas très excitant pour les blogueuses mode, mais ça devrait plaire aux électeurs.


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