Genre : Drame, Erotique (interdit aux - 16 ans)
Année : 1992
Durée : 1h47
L'histoire : A travers les errances d'une jeune femme contrainte de se prostituer, mise en perspective de la decadence de la société japonaise.
La critique :
Comme nous le savons depuis quelques temps, le fantasme du SM a envahi l'imaginaire de nombreuses personnes mais surtout des femmes attirées entre autres par 50 Nuances de Grey. Nul besoin de rappeler que cette oeuvre a d'abord été adaptée en une trilogie de trois livres au succès colossal et qui a ouvert les portes d'un monde bravant les interdits à travers une histoire d'amour assez particulière. Début 2015 (le jour précis de la St-Valentin), l'oeuvre se voit portée au cinéma tout en mettant en scène une atmosphère chaleureuse et luxueuse, sauf qu'il est inutile d'aller plus loin car le long métrage se ramasse en beauté. Néanmoins, 50 Nuances de Grey n'est pas le premier film à aborder ce type de relations tabou au cinéma et un paquet de long métrages plus ou moins confidentiels ont vu le jour bien des années auparavant.
L'une des oeuvres concernées que nous allons aborder ici est Tokyo Décadence réalisé en 1992 par Ryu Murakami et qui se veut fondamentalement différent. En effet, le long métrage prend un tournant différent et nous invite dans le quotidien d'une femme de joie s'adonnant aux plaisirs du SM (à noter que le synopsis est erronné et notre femme n'est pas contrainte de se prostituer mais effectue ce métier sans pression). Maintenant la question est de savoir si Ryu Murakami réussit son pari de nous proposer un long métrage intelligent sur le sujet. Là est toute la question.
ATTENTION SPOILERS : Ai est une jeune femme de 22 ans très introvertie dont l'unique but dans sa vie est de donner du plaisir à ses clients richissimes en pratiquant le SM. Parallèlement, Ai reste profondément accrochée à un amour du passé qui se serait terminé sans qu'on sache trop pourquoi. FIN DU SPOILER et voilà terminé pour le synopsis très léger démontrant une absence totale de scénario, mais nous y reviendrons par la suite.
Il est vrai qu'à la lecture du post précédent, on peut s'attendre à un bon petit navet obscur sorti tout droit des bas-fonds du cinéma japonais. Clairement, Tokyo Decadence est le genre de film à diviser la critique mais d'autre part, il fait preuve d'une réelle inventivité. De fait, le film se montre beaucoup plus complexe et intéressant à analyser. En effet, ici le SM ne prend pas un tournant pseudo-charnel comme dans 50 Nuances de Grey, mais s'illustre comme une perversion pure voire presque repoussante.
Il est vrai que le réalisateur fait preuve d'un véritable effort dans l'esthétique et ne sombre jamais ouvertement dans le vulgaire. Ici, Ai apparaît comme une jeune fille sensible, presque agoraphobique, qui n'a pour unique talent que de vendre son corps pour subsister. Le client apparait comme le dominant et Ai passe pour la dominée, et c'est là que le film se démarque car il parvient à instaurer une ambiance glaciale, sans issue, malgré la présence de scènes érotiques.
En fait, tout dans ce film est froid et sombre, à l'image d'une société en perte totale de repères qui va se réfugier dans la consommation de drogues et le besoin irrépréssible d'adrénaline, véhiculée par des rapports sexuels d'un genre plus particulier. Tout ceci dans le but d'oublier ses problèmes et de fuir une réalité morose. Difficile de ne pas y voir une allusion ouverte au livre "Le Meilleur des Mondes" où le sexe est mentionné comme tranquilisant social.
Ai apparait ici comme la porte ouverte aux dérives psychologiques et déviances d'hommes obligés d'assouvir leur insatiable besoin de sexe pour se sentir exister. Pire encore, le réalisateur nous dépeint un monde où les rapports sexuels sont monnayés comme un simple passe temps et la femme se montre être la monnaie d'échange pour accéder à une certaine forme de paradis. La fameuse séquence où Ai se retrouve face à la grande baie vitrée d'un immeuble donnant vue sur une grande route, souligne cet aspect de la femme véhiculée comme une simple marchandise à la vue de tous.
Concrètement, il n'y a pas la moindre trace d'amour dans ce film. Les décors sont volontairement aseptisés et froids, tout comme les scènes SM se montrent glaciales. Ryu Murakami signe là un véritable coup de maître en remplissant largement sa dénonciation d'une société perdue et décadente, obligée d'en arriver à pratiquer ses déviances les plus profondes pour subsister.
De plus, le long métrage exploite correctement son sujet et ne se veut jamais voyeuriste. Inutile ici de rechercher une orgie pornographique de soumission et de femmes aux moeurs légères. Certes, le film se veut varié dans ses différentes séquences entre un couple souhaitant forniquer face à une fille soumise, un homme psychologiquement perturbé souhaitant avoir un rapport sexuel basé sur le viol, et un magnat de l'immobilier dont le désir est de se faire dominer.
De même, le long métrage ne se prive pas de montrer quelques séquences plutôt intéressantes, mais l'ensemble est davantage suggéré que réellement montré. Tokyo Decadence est donc un film oscillant entre le drame et l'érotisme. Toutefois, l'interdiction aux moins de 16 ans est amplement justifiée, surtout dans cette séquence d'urophilie, certes plutôt "gentillette" mais pas à réserver à un public tout de même averti.
Concernant la qualité et la fluidité du scénario, Tokyo Decadence se montre ambitieux, mais n'est pas exempt de toute reproche, et c'est bien là le principal problème car nous aurions pu obtenir un vrai chef d'oeuvre. Le réalisateurse ramasse complètement dans l'écriture du scénario et c'est d'autant plus frustrant que l'on a cette impression que rien ne se passe durant tout le film.
L'histoire tient surtout à suivre les scènes avec des clients différents sans nous apporter de vrai fil conducteur. Alors oui, on a bien une histoire d'amour brisé, mais à aucun moment le réalisateur ne développe ou ne nous apporte d'explication supplémentaire. Frustrant.
De plus, si la performance d'Ai, incarnée par Miho Nikaido, apparaissant comme une jeune femme fragile et perdue est assez intéressante au début, elle en devient franchement exaspérante vers la fin. Ajoutons à cela que le rythme peut se montrer affreusement lent par moment et que les 20 dernières minutes du film n'ont pour ainsi dire aucun intérêt (un comble pour un film qui se veut choc et marquant), et nous obtenons une réalisation en dents de scie qui risque de décontenancer certains spectateurs.
Ryu Murakami signe un film difficile d'accès et un semi-échec dans la réalisation. Si le long métrage maîtrise parfaitement bien son sujet et tape dans le mille dans ce qu'il veut dénoncer, il rate sa manière de le raconter avec un scénario presque inexistant, une mise en scène assez soporifique par moments. Après, peut-être que chaque personne aura sa version des choses, mais Tokyo Decadence apparaît bien comme un film plus complexe et métaphysique qu'il en a l'air. En conclusion, j'ajouterais simplement que malgré ses défauts, le film reste à voir pour ce qu'il dénonce et se montre assez particulier dans son atmosphère générale. Un film qui risque sans doute de créer le débat, mais une curiosité qui pourrait être enrichissante, à voir pour les amateurs de cinéma expérimental.
Ma note : ???
Taratata