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« Les Français vont prendre conscience que le prochain président sera élu à l’automne 2016 »

Publié le 05 juin 2015 par Délis

Délits d’Opinion : La situation à droite semble s’être cristallisée. Pensez-vous que le scenario peut encore évoluer d’ici la primaire de l’automne 2016 ?

Ludovic Vigogne : « Les 75 semaines qui nous séparent de la primaire à droite seront un long marathon à l’issue inconnue. Même l’affiche finale est loin d’être actée. A ce jour un candidat fait la course en tête, renforcé par le nouvel outil dont il dispose. C’est Nicolas Sarkozy avec Les Républicains. Cette machine politique n’a plus les moyens d’antan, comme on l’a vu à l’occasion de la faible mobilisation du congrès. Cela demeure un outil non négligeable mais moins déterminant que par le passé.

A ses côtés, Alain Juppé fait figure de concurrent numéro un même s’il connaît un indéniable faux-plat. Il a deux cartes maîtresses : il incarne le contraire de Nicolas Sarkozy, il s’engagera à ne faire qu’un seul mandat et donc avoir comme préoccupation unique le pays plutôt que sa réélection. Mais lui et son équipe sont trop peu réactives, comme cela s’est vu lors de l’épisode de la réforme du collège. Le maire de Bordeaux reste aussi encore raide, techno, désincarné, comme lors de son discours au congrès des Républiques. Ces deux éléments font que, s’il a de bons sondages, il n’a pas de vraie dynamique de campagne.

En seconde ligne, il y a enfin un groupe de prétendants qui refuse de se rallier, convaincu que la messe n’est pas dite et qu’ils peuvent légitimement prétendre à la fonction suprême. François Fillon, bien qu’affaibli, est toujours là, NKM croit en son potentiel, tout comme Xavier Bertrand ou Jean-François Copé. Enfin, il y a Bruno Le Maire qui, après sa bonne percée de l’automne lors de l’élection pour la présidence de l’UMP, a réussi un très joli coup en prenant la tête contre la réforme du collège. Il agrège les soutiens et perce chez les militants. Tous sont à l’affût, conscients de l’instabilité forte qui règne. Il y a du jeu. Les favoris sont plus fragiles qu’il n’y paraît».

Délits d’Opinion : Où pensez-vous que se situera le centre de gravité de cette primaire ?

Ludovic Vigogne : « Le centre de gravité ne sera pas idéologique mais arithmétique. L’élément clef pour ce scrutin sera le niveau de participation. Je l’imagine bien supérieur à celui de la primaire socialiste car une frange croissante de l’opinion va petit à petit prendre conscience que le prochain président de la République sera en réalité élu à l’automne 2016 plutôt qu’en mai 2017 ! Cet élément est crucial et aura un impact très fort sur les stratégies de chacun et le profil des votants. Ceux-ci peuvent d’ailleurs tout autant venir du centre que de la droite de la droite».

Délits d’Opinion : Le ralliement des « quadras » et des députés peut-il avoir une influence sur le résultat de la primaire ?

Ludovic Vigogne : « La logique personnelle prime désormais sur tout. Il semble révolu le temps où les jeunes lieutenants de droite n’osaient pas s’inscrire dans les pas du Général de Gaulle ou de Pompidou. Désormais, chacun nourrit l’ambition secrète de parvenir à l’Elysée, sans même attendre 2022 ou 2027. Et même s’ils n’ont guère de chance de gagner, ils ont en tête l’exemple de Manuel Valls. A peine 6% à la primaire et deux ans et demi après à Matignon ! Quant aux élus de l’opposition, qu’ils soient députés, maires ou sénateurs, ils vont être fidèles à leur légendaire prudence et patienter le plus tard possible pour rallier finalement celui qui aura le plus de chances de gagner. A ce jour, le seul qui a su se constituer une vraie petite armée c’est Bruno Le Maire. Il a autour de lui une bande de jeunes loups endurcie par le combat avec Sarkozy, prêts à mourir pour lui».

Délits d’Opinion : Comment expliquer l’incapacité de François Fillon à refaire son retard en dépit d’une ligne politique qui répond aux attentes d’une partie de la droite ?

Ludovic Vigogne : « La vie politique est cruelle : quand vous loupez le coche, il est difficile de se rattraper. François Fillon avait un rendez-vous crucial à l’automne 2012. Il devait prendre le parti, s’imposer comme le leader et mener l’opposition tout au long du quinquennat. On connaît la suite. Une mauvaise campagne, des errements stratégiques et un rival plus coriace qu’envisagé ont eu raison de son ambition. Pourtant, malgré une chute spectaculaire, l’ancien Premier ministre demeure dans le jeu et il sait, comme les autres, que rien n’est figé dans l’opinion ».

Délits d’Opinion : Les Français sont-ils prêts à rejouer le match de 2012 ?

Ludovic Vigogne : « Les Français ont toujours le dernier mot. En 2002 ils ne voulaient pas d’un duel Chirac-Jospin ; ils ont trouvé le moyen d’y échapper. Si en 2017 ils ne veulent pas retrouver le même trio que cinq ans plus tôt ils trouveront à nouveau un moyen de changer l’affiche. Il est encore difficile d’imaginer aujourd’hui comment. Cela se passera-t-il à la primaire ? Y aura-t-il une place centre, à la société civile lors de la présidentielle ?

Même à Gauche, contrairement à ce qui est dit, le profil du candidat n’est pas encore certain. Si François Hollande connaît un regain de popularité, celui-ci reste très relatif, et les catastrophiques résultats sur le front du chômage montrent que les résultats sont loin d’être acquis. François Hollande prendra t-il vraiment le risque d’être le premier président de la République à être exclu dès le premier tour de la présidentielle ? Ce serait une humiliation considérable. Et comme ses prédécesseurs, il pense à sa place dans l’histoire. Même s’il reste le candidat naturel, prendra-t-il le risque de sortir par la petite porte ?»

Délits d’Opinion : Peut-on imaginer une précampagne et une campagne qui s’organisent autour d’une thématique majeure ?

Ludovic Vigogne : « Il est sans doute trop tôt pour le dire mais cela devrait tourner autour de la place et du destin de la France dans un monde qui change trop vite pour elle. A ce propos il est intéressant de noter l’absence totale de discours des responsables politiques sur ce monde qui change. La révolution du numérique, le rapport homme-machine, les inégalités incroyables que vont engendrer les progrès de la science… Trop peu de dirigeants ont su faire évoluer leur discours en fonction ces problématiques, alors que les Français voient bien que tout est en train de changer. C’est regrettable ».


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