L'islam a envahi la scène politique. Mais les Français en ont ils vraiment quelque chose à faire ? La première manifestation post-Congrès des Républicains porte sur l'islam. Quelle surprise ! La France politique agonise autour de l'islam. Combien d'articles, combien de commentaires, combien de reportages audio ou radiophoniques pour nous convaincre, nous asséner que l'islam est au centre de la République laïque ?
La saison des congrès bat son plein.
Celui des Républicains ("LR") fut un semi-échec. Le vote sur le nouveau nom du parti a laissé plus de 55% des militants UMP indifférents. La salle même du Congrès, trop grande, apparaissait presque vide. Pire, les rivaux Juppé et Fillon furent copieusement hués à leur passage sur l'estrade. Un photographe du Point a même saisi dans l'instant Sarkozy éructant vers son ancien ministre des affaires étrangères.
"Comme homme politique, Sarko est formidable, mais, comme homme tout court, il est pathétique." Nathalie Kosciusko-Morizet, le 30 mai 2015Un instant, on a cru que Nathalie Kosciusko-Morizet s'était assuré un poste dans la nouvelle direction. Mais Sarkozy a finalement décidé de la virer. Pire encore, la semaine se poursuit avec de nouvelles révélations sur le Kazakhsgate, cette affaire de pots-de-vin versés par des proches de l'ancien monarque pour faciliter la vente d’hélicoptères français au Kazakhstan en 2009. Le Canard Enchaîné affirme qu'une avocate du dossier aurait touché plus de 7 millions d’euros de commissions, qu'elle a ensuite partiellement reversées à d'autres intermédiaires et hommes politiques.
L'UMP a changé de nom, et il n'a pas fallu attendre plus longtemps qu'un Congrès pour réaliser que rien n'avait changé.
A Poitiers, le Parti socialiste ouvre le sien dans la plus grande indifférence générale. Même le patron du Parti, Jean-Christophe Cambadélis, s'en inquiète: "c'est trop calme". L'objectif de 500.000 adhérents en 2017 fait beaucoup rire.
Et le Front national a décidé d'un autre congrès, extraordinaire celui-là, pour "tuer le père". Un congrès dématérialisé, c'est-à-dire sur Internet avec vote électronique, pour éviter les frais, qui changera les statuts et, notamment, supprimera la Présidence d'honneur occupée par le patriarche nauséabond. A quelques jours de ses 87 ans le 20 juin, Jean-Marie Le Pen, qui a porté plainte contre son éviction, a ironisé: "C'est une méthode stalinienne ce n'est pas très courant à droite".
De ces trois opérations, on ne retient qu'un point commun, leur pauvreté politique. C'est-à-dire l'absence d'idées nouvelles et de débats contradictoires sur le fond, au profit d'agitations d'appareils et de slogans marketing. Les citoyens ne s'y trompent pas. Les cohortes militantes de LR paraissent déjà démotivées, si l'on en croit l'incroyable abstention lors des votes de la semaine passée. Celles du PS sont rabougries à leur plus simple étiage - on évoque 60.000 cotisants, derrière le Front national (80.000).
En fait, le vrai débat, le pire, était encore fois ailleurs, sur l'islam.
Obsession à droite
"Nous serons Les Républicains avec toutes celles et tous ceux pour lesquels l’héritage de la civilisation chrétienne n'est pas une option !" clamait Nicolas Sarkozy lors du Congrès. Il ne manquait que Clovis, Charlemagne et Jeanne d'Arc pour que le discours soit complet.
Deux jours plus tard, le président des LR a convoqué, à huit-clos, quelques élus et responsables du culte pour une journée de travail sur ... Devinez quoi... l'islam bien sûr. Le "nouveau" parti n'a que deux jours, un nouveau logo, et une boutique en ligne avec des photos de mannequins retouchés, qu'il secoue encore un peu les peurs et les phobies sur la seconde religion de France. Pour certains, ce conclave à huit-clos est en fait un "recul" puisque Sarko avait un temps annoncé l'organisation d'une grande convention sur le sujet. En d'autres termes, nous avons échappé à pire, "l'occasion pour Nicolas Sarkozy de marquer les esprits en ne buttant pas sur un tabou, six mois après les attentats de janvier", regrette le Figaro (sic!). LR est divisée: Juppé, Fillon ou NKM ont critiqué l'initiative sarkozyste. Le Conseil français du culte musulman a refusé de participer, mais quelques-uns de ses membres ont fait une courte apparition. Et aucune communication publique ne fut faite dans l'immédiat.
Le nouveau premier des sarkozystes, le jeune Darmanin, petit-fils de harkis et catholique pratiquant et revendiqué, explique : "notre méthode privilégie la réflexion aux réflexes."
Sans rire ?
Plus risible, le numéro deux du FN, Florian Philippot, s'invite sur tous les plateaux pour brailler à la persécution. Le Qatar vient de porter plainte contre lui à cause d'une de ses déclarations ("le Qatar finance l'islamisme qui tue" a-t-il déclaré dans la foulée des attentats de janvier). Valeurs Actuelles, l'hebdomadaire de la droite furibarde, consacre son numéro de la semaine à la "police de la pensée". "On ne peut plus rien dire" clame-t-on en couverture. Philippe Tesson rappelle sa "grande solitude" en janvier dernier quand il fut l'objet d'une plainte après sa saillie rabougrie, à chaud, trois jours après les attentats, contre l'islam tout entier ("C’est les musulmans qui amènent la merde aujourd’hui ! "). Philippot joue à Salman Rushdie, s'amuse le commentateur Bruno Roger-Petit.
Philippot est-il menacé de mort ou d'une quelconque fatwa ? Non. Le Qatar porte plainte pour diffamation, rien de plus, rien de moins.
Obsession à gauche
Huit-clos ou pas, cette "journée de travail" consacrée à l'islam révèle la persistance d'une obsession réelle au coeur de la classe politique.
Cette obsession agit de manière inversée auprès d'une gauche minoritaire mais agissante qui s'est décidée à négliger le combat laïc au profit d'une défense du "musulman discriminé". Elle s'offusque de la moindre critique contre l'islam alors qu'elle n'avait pas de mots assez durs contre les conseils de vie des papes catholiques; elle s'indigne quand on pointe son aveuglement; elle peut même récusé l'existence de l'islamisme au motif que les fous de dieu seraient trop divers pour constituer une menace unifiée. Le totalitarisme religieux existe, mais cette gauche-là ne le voit plus que chez les catholiques anti-mariage gay.
Un récent exemple a été fourni par le sociologue Emmanuel Todd. Trop affairé à critiquer le parti socialiste et la présidence Hollande, il a juxtaposé quelques cartes à plusieurs décennies ou siècles de distance pour conclure que les quelques millions de manifestants après les attentats de janvier étaient les descendants politiques de Pétain ou des "catholiques zombies" (ie les héritiers défroqués des grands bastions du catholicisme français). Qu'ils "avaient en tête un tout autre programme bien éloigné de l'idéal proclamé", que "leurs valeurs profondes évoquaient plutôt les moments tristes de notre histoire nationale: conservatisme, égoïsme, domination, inégalité."
Bref.
Cette obsession sur l'islam est aussi alimentée au sommet de nos institutions. On ne mentionnera plus Manuel Valls, ni son ministre de l'intérieur. Faute de résultats socio-économiques probants, l'équipe vallscienne est toute entière engagée à agiter d'autres diversions. Il n'est pas sûr que François Hollande, qui concourt déjà pour sa réélection en 2017, abuse du sujet religieux. Il a d'autres chats à fouetter - éviter toute candidature autonome des écologistes et pourrir la vie de l'opposition. Mais d'autres de nos politiques entretiennent le feuilleton.
A l'Assemblée, la commission d'enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes vient d'adopter, à une très large majorité de ses membres de droite comme de gauche, un rapport de recommandations pour "lutter contre la radicalisation en prison", renforcer les services d'enquête et le contrôle aux frontières et "déradicaliser" les djihadistes en retour.
La guerre en Libye, la résistance de l'Etat islamique aux offensives arabes et occidentales, les naufrages de migrants fuyant les conflits et la persécution, les atrocités sanglantes et culturelles filmées et publiées par Daesch sur le YouTube de la planète sont également autant d'éléments d'un spectacle qui entretient la peur et facilite les diversions. Mercredi, le Monde consacre encore deux pleines pages intérieures au conflit, après les chutes de Ramadi et de Palmyre. Mardi, la loi sur le Renseignement déboule "en urgence" au Sénat. La démocratie s'est faite vigipirater sans débat ni recul.
Coincé entre ces deux bêtises - une naïveté qui refuse de combattre le totalitarisme religieux sous prétexte qu'il s'agirait de la religion des faibles face à une islamophobie obsessionnelle qui dépasse la frontière du racisme - le débat politique et nos médias s'enfoncent dans la médiocrité.
Cette obsession sur l'islam paraît déconnectée de la réalité. Dans un sondage publié cette semaine, quelque trois quarts des Français interrogés déclarent avoir une "image positive" de cette religion. On ne compte plus pourtant les sujets plus graves, plus sérieux, plus concernants dans cette Vème République finissante: le désintérêt citoyen pour le vote, les préoccupations de la "France d'à-côté", la progression du chômage (encore 26.000 sans-emplois supplémentaires en avril), l'échec de la politique de l'offre version Hollande et ses milliards d'exonérations fiscales), la lutte contre le réchauffement climatique, ou même la guerre économique faite à la Grèce. La guerre contre la finance se joue là-bas, devant nos yeux.
La France vit un mauvais cauchemar. Elle ne vit pas la crise terrifiante que quelques voisins latins comme la Grèce ou l'Espagne subissent.
Mais elle agonise politiquement, à petit feu.
Tchip.
Crédit illustration: Dozone Parody