Mondanités anthropologiques
Nous ressemblons à une mauvaise blague qui commencerait comme ça : « Quatre anthropologues boivent des bières à une terrasse d’Arrecife… »
Il est très bavard, il me parle de son terrain au Brésil. Difficultés d’accès, il a abandonné au bout d’un an : « Es un coñazo », conclut-il. Je pense qu’il aurait sans doute pu rebondir, mais c’était un projet programmé par l’université, un groupe de recherche. Son sujet de thèse ? Incompréhensible : ça commençait par un mot en « tion » dont je ne me souviens pas. De toute façon, il a laissé tomber.
Elle nous raconte qu’elle se lève tous les matins à 5 heures 30 pour travailler à sa thèse, dont le sujet comporte un autre mot en « tion ». Décidément, on ne s’en sort pas. Un lien avec un monde médical qui ne voudrait plus être médicalisé, quelque chose comme ça. Je m’interroge, mais n’ose trop questionner : je la trouve admirable. Elle a réussi à parler de son travail sans en parler, et bien entendu, mon compagnon et moi n’y comprenant rien faisons semblant de comprendre. Mais je me demande combien de temps nous pourrons tenir comme ça.
Hochements de têtes, sourires complices, soupirs entendus et bruits de fond… Je vis notre conversation comme j’en ai vécu des centaines, en pensant que si j’avais enregistré, j’aurais dû réécouter 20 fois pour comprendre. Déphasée et dépassée par cette anthropologie des mots en « tion », je vais me chercher une glace. Eux aussi. On va parler de nos bébés, ce sera plus simple.
Julie Campagne