Value at risk vs Expected Shortfall

Publié le 11 juin 2015 par Lionelo @investirblog

Pourquoi le risque est-il si dur à mesurer ?


Jon Danielson et Chen Zhou de la London School of Economics viennent de publier en avril 2015 un white paper intitulé : Why risk is so hard to measure? qui remet en cause les idées préconçues sur la value-at-risk (VaR) et l'Expected Shortfall (ES). Contrairement à l'idée reçue, les auteurs tentent de démontrer que l'expected Shortfall n'est pas une meilleur mesure du risque que la VaR. Nous allons détailler les grands points de leur démonstration après avoir posé quelques définitions.
Rappelons que cet article s’inscrit dans une série sur les  mesures du risque financier:
- Introduction à la VaR
- Production de l'indicateur de VaR
- Risque de contrepartie: EEPE
- la CVA

Définitions


L'expected Shortfall (ES), parfois appelée conditional VaR (CVaR) est l’espérance mathématique des pertes d'un portefeuille qui excédent en valeur la VaR de degré de certitude P. Dans le graphique en entrée de cet article, V représente une VaR, et la section grisée du graphique l'ES.
Comme expliqué dans mes précédents articles sur la VaR, L'ES est considérée depuis longtemps comme supérieur à la VaR, car la VaR n'est pas une mesure cohérente du risque. De sorte que la littérature depuis 2001 recommande son usage dans les textes prudentiels. Ces textes envisagent à terme de remplacer la Var à 99% par l'ES à 97,5%.
Si il est facile de comprendre l'ES une fois compris la VaR, trouver une formulation élégante de la définition de l'ES est plus compliqué.  Pour cet exercice, je me réfère à Carlo Acerbi et  Dirk Tasche
 Expected Shortfall: a natural coherent alternative to Value at Risk (2001):
Soit X la variable aléatoire associée aux fluctuations de notre portefeuille. Si X est inconnu, mais que l'on peut construire des réalisations des valeurs de ce portefeuille, on parle de variable aléatoire empirique.
Si nous définissons la fonction de répartition F de notre portefeuille, on a :
On définit la fonction inverse généralisé:
On a alors:
Il est par contre relativement simple de construire un estimateur de notre Expected Shortfall. Supposons que nous construisions N observations des valeurs de notre portefeuille et que nous les trions de manière croissante XN,1≤XN,2 ≤...≤ XN,N
Alors l'estimateur êF de notre ES est:

Nous appellerons qF l'estimateur de la VaR:

Nous allons maintenant nous attacher à caractériser la relation entre l'expected shortfall et la VaR grâce aux outils de l'Extreme Value Theory (EVT). Alors que les statistiques générales s’intéressent aux valeurs moyennes des distributions statistiques (proches de l’espérance), l'EVT s’intéresse aux queues des distributions de probabilité: les événements extrêmes. Plus particulièrement, il s'agit ici d'une notion de block maximum:
Pour mieux illustrer cette démarche, considérons par exemple les précipitations tombant sur Dresden (voir notre section source pour plus de contexte). Considérons X1,...,XN, N observations de pluies. On s’intéresse à la quantité Mn=max {X1 ,.., Xn}. Le théorème de Fisher–Tippett–Gnedenko nous assure que la loi de Mn est approximée par la distribution suivante:

En particulier, Jon Danielson et al. postulent que notre queue de distribution suit une loi de Fréchet (ξ=1/α), telle que:
Ici α est un indicateur de l'"épaisseur" de la queue de notre distribution.Pour les valeurs 0<α<2, la variance est infinie. Plus α est grand, moins la queue de distribution est "épaisse": elle est de +∞ pour la loi normale.

Comparer les estimateurs de la VaR et de l'ES


Une fois ces définitions posées, il est maintenant temps pour nous de reprendre notre étude du travail réalisé par Danielson. Nous allons dans un premier temps nous intéresser au rapport entre les estimateurs de la VaR et de l'ES. il est montré que:
ou c est une constante telle que c>0.
En particulier pour la VaR à 99% et l'ES à 97,5% on a :
Cette formule montre que l'ES sera toujours supérieure à la VaR. Pour des valeurs de 3<α<5, ce ratio prendra des valeurs comprises entre 1.041 et 1.105. Ce ration est décroissant avec α: plus la distribution de notre portefeuille est dispersée, plus ce ratio est élevé.
Pour confirmer numériquement ce résultat, nous allons lancer une simulation de Monte Carlo sur une loi de student à α degré de liberté. Avec un nombre différent d'itération, on observe une convergence du ratio des estimateurs ES/Var vers notre limite pour différentes valeurs de α:

Jusqu'ici tout va bien, mais il faut aussi considérer l'intervalle de confiance de ces deux mesures et la relation entre les valeurs des paramètres statistiques que sont la VaR et L'ES et leur estimateurs.
Prenons notre VaR, la quantité:
représente le ratio entre  la VaR théorique et son estimateur sans biais. Cette quantité statistique va évoluer en fonction du nombre d'observations n et de la variance de notre variable aléatoire. Si on considère la variance de cette quantité:Elle nous permettra de considérer la valeur de notre erreur sur l'ensemble de notre espace probabilisable. Si on s’intéresse à l'erreur relative entre l'ES à 97,5% et la VaR à 99%, on a :
Si on résout l'équation en fixant g(α)=1, on montre que ce ratio est supérieur à 1 pour α<6 et inférieur à 1 pour α<6. Or comme on l'a vu, le tail index α que l'on peut observer sur des portefeuilles réels est en général compris entre 3 et 5. Dans cette intervalle, l'erreur relative de l'ES par rapport à la VaR est supérieure à 1: Le degré d'incertitude associé à l'ES est supérieur à celui de la VaR.
Danielson en conclut l'ES à 97,5% est une mesure moins fiable que la VaR à 99%. Par ailleurs, le degré d'erreur augmente quand le nombre d'itérations d'une méthode de Monte Carlo est réduit.

Sources


Fat Tailed Distributions: Data, Diagnostics,and Dependence
Roger M. Cooke et al.
An Introduction to Extreme Value Theory
Petra Friederichs
Meteorological Institute
University of Bonn