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THOMPSON, Edward P. Misère de la théorie. Compte-rendu.

Publié le 14 juin 2015 par Antropologia

misere_de_la_theorieParis, L’Echappée, 2015. 387 p. 19 euros.

Il est dommage que le CR du livre de Christopher Lloyd ait été publié sur le blog avant que je lise celui de Thompson car ils parlent du même sujet, la place des « structures » dans les sciences sociales, le premier mal, le second bien.

Selon l’habitude, ce pamphlet de 1978 contre Althusser a mis 37 ans pour traverser la Manche et n’arrive alors que lorsque l’image du philosophe a bien pâli. Pour en voir sa portée, il faudrait présenter le prestige dont Althusser a pu disposer lors de la publication de ses livres avant 1968, par une coalition stalino-cléricale. Pensons à la chronique de Jean Lacroix (philosophe catholique 1900-1986) dans Le Monde lors de la sortie de Pour Marx en 1966.

Le livre de Thompson est pourtant un livre important non pour son propos, décalé, mais par sa démarche. Son auteur fut à l’origine avec Williams et Hoggart des Cultural Studies au fulgurant succès mondial dans les Universités de langue anglaise.

Ensuite, Thompson est l’auteur du fameux Formation de la classe ouvrière anglaise (publication 1963, traduction française 1988, 25 ans plus tard) qui s’intéressait aussi au « folklore ». Je l’avais croisé en 1977 mais il y a peu que je me suis aperçu que c’était la même personne.

Enfin, il critique Althusser au nom du « matérialisme historique », de Marx et même d’Engels.

Mais le plus intéressant reste sa démarche puisque il oppose la théorie aux pratiques et refuse d’admettre qu’un discours abstrait même autoproclamé scientifique puisse permettre de décrire la réalité. Pour lui qui amalgame histoire et anthropologie, seule les enquêtes dans les archives ou auprès des acteurs et témoins conduisent à la connaissance de la réalité. Dès lors, se pose la question de l’articulation avec son « matérialisme historique ».

Thompson met en avant la même question que Lloyd soulevait il y a bien longtemps même si je n’ai fait que récemment le compte-rendu de son livre. Comment articuler la singularité des pratiques avec les structures nécessairement collectives ? C’est au nom du Marx que Thompson refuse de « considérer les hommes comme porteurs de structures » (Thompson, 2015 : 264). Dès lors, chassons l’idéal-type (Weber), l’homme moyen (Durkheim) ou l’habitus (Bourdieu). Mais pourtant, au nom du marxisme Thompson garde l’idée de société réelle. Comment concilie-t-il tous ces éléments ? Lisons comment il justifie l’intérêt du « concept », c’est le mot qu’il utilise, de mode de production. Il le pose à la page 287 comme une totalité, « une structure intégrale » au sein de laquelle peuvent se déployer des « contre-tendances », des « résistances ». Thompson peut ainsi concilier la fidélité à Marx avec les enquêtes des historiens et des anthropologues. La « science » et la « coupure épistémologique » ne peuvent imposer un discours, car au contraire la suprématie revient toujours à l’« observation ». Cette virulente critique du théoricisme et du structuralisme qui se fait au nom de Marx et de la méthode historique a pour effet de relativiser ces « structures » abstraites que certains considèrent comme d’évidents objets d’étude ou pire, comme des réalités empiriques parce qu’établies par la science.

Bernard Traimond



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