Deux études viennent d’être publiées sur les niveaux des grands réservoirs d’eau souterraine dans le monde. Leurs évaluations basées sur les données du duo de satellites GRACE montrent que 21 des 37 grands systèmes aquifères sont en voie d’épuisement et 13 d’entre eux sont jugés dans un état de détresse. Les scientifiques s’alarment de la situation qui, conjuguée au changement climatique et la croissance démographique menace plusieurs régions de graves pénuries d’eau et de crises socio-économiques et politiques…
Vue de l’espace, que ce soit à quelques milliers ou des centaines de millions de kilomètres, notre Planète apparait bleue. « A pale blue dot » (un point bleu pâle en français) selon l’expression de Carl Sagan. Mais nous ne devons surtout pas nous fier pas aux apparences. L’eau ne représente en effet que 0,023 % de sa masse totale. En réalité, « (…) la Terre est une brune qui se teint en bleu » résume avec justesse Pierre Barthélémy dans Le Monde.
Il est vrai que concentrée en un endroit, toute l’eau terrestre tiendrait dans une sphère de 1.385 km de diamètre (soit un volume global d’environ 1.338 milliards de km3). Si on ne considère que l’eau douce, il reste environ 35 millions de km3 (2,5 % du total)… mais en retirant les glaciers, le pergélisol ou encore l’humidité, l’eau dont nous dépendons — et l’ensemble de la vie sur Terre —, ne représente plus que 94.000 km3 (c’est-à-dire 0,001 % du volume d’eau total). Bref, ce n’est plus qu’une petite bille bleue de quelque 56 km de diamètre. A titre de comparaison, Europe ou Ganymède, deux satellites naturels de Jupiter, possèdent chacun plus d’eau que la Terre… Cette molécule que l’on retrouve (presque) partout dans le Système solaire et la Galaxie est malheureusement appelée à devenir de plus en plus précieuse dans notre monde.
Selon des estimations de 1993, toute l’eau terrestre pourrait tenir dans une sphère de 1.385 km de diamètre. L’eau douce uniquement (_freshwater_) représenterait une sphère d’environ 272 km de diamètre et enfin, l’eau douce liquide de surface (lacs, rivières, etc.) occuperait une bille de 56 km. Sur la Planète bleue, 97,5 % de l’eau est salée (océans…). Sur les 2,5 % d’eau douce, presque un tiers est souterraine (30,1 %) et seulement 1,2 % est disponible en surface. 68,7 % sont dans les calottes polaires ou des glaciers
13 des 37 plus grandes réserves aquifères terrestres sont en voie d’épuisement
Une équipe internationale qui a travaillé sur des données des satellites jumeaux GRACE (Gravity Recovery and Climate Experiment) a constaté que« environ un tiers des grands bassins d’eau souterraine (ils représentent environ 30 % du volume total d’eau douce, NDLR) sont en voie d’épuisement rapide par la consommation humaine ». Les chercheurs précisent qu’il est encore difficile d’évaluer les quantités restantes. « Les mesures physiques et chimiques disponibles sont tout simplement insuffisantes » a déclaré Jay Famiglietti, professeur à l’université de Californie, soulignant que« étant donné la rapidité avec laquelle nous consommons les réserves mondiales d’eau souterraine, nous avons besoin d’un effort global coordonné pour déterminer combien il en reste ».
C’est en étudiant la distribution des masses d’eau par leurs effets sur la gravité terrestre — mesurée par les deux satellites —, que l’équipe a relevé que 13 des 37 plus grands systèmes aquifères terrestres sont en train de s’épuiser, ne se rechargant pas suffisamment. Parmi eux, huit ont été signalés comme étant en stress majeur (overstressed, en anglais). L’eau puisée pour notre consommation y est en effet très peu compensée par des approvisionnements naturels comme les pluies et les rivières. Cinq autres ont été jugés très proches de cette situation critique.
Les scientifiques s’alarment que plusieurs d’entre eux sont dans des régions très sèches. Le changement climatique en cours et l’augmentation de la population mondiale n’arrangent rien à tout cela. Alexandra Richey qui a dirigé les deux études publiées dans la revue Water Resources Research (ici et ici), le 17 juin, s’inquiète : « Que se passe-t-il quand un aquifère très stressé est situé dans une région avec des tensions socio-économiques ou politiques qui ne peuvent pas compenser assez vite les baisses de l’approvisionnement en eau ? Nous essayons de monter les drapeaux rouges maintenant pour préciser où une gestion active aujourd’hui pourrait protéger des vies et des moyens de subsistance dans le futur. »
Les bassins d’eau souterraine les plus touchés
C’est le bassin d’eau souterraine d’Arabie qui est le plus menacé selon leurs recherches sur la période 2003-2013. Une source aquifère dont dépendent pas moins de 60 millions de personnes rappelle la Nasa dans son communiqué. En second, vient celui de l’Indus, situé dans le nord-ouest de l’Inde et au Pakistan. Le troisième plus vulnérable est le bassin de Murzuk-Djado, en Afrique du Nord.
Les Américains, très inquiets de la sécheresse en Californie qui sévit depuis plusieurs mois en Californie (plusieurs années de suite), ont relevé que les réserves d’eau souterraine de cette région sont, sans surprise, surexploitées (irrigation massive, consommation humaine…). Une situation critique compensée cependant par quelques apports qui font défaut aux trois premiers cités.
« Comme nous le voyons en Californie en ce moment, nous comptons davantage sur les eaux souterraines durant la sécheresse » souligne Jay Famiglietti, spécialiste des questions de l’eau au JPL qui a cosigné ces recherches. « Lorsque nous examinons la durabilité des ressources en eau d’une région, nous devons absolument tenir compte de cette dépendance. »
Dans le second article publié, les auteurs signalent que le volume d’eau douce restant dans ces réservoirs est incertain. En ce qui concerne les projections sur leur épuisement, les scientifiques ont constaté que les écarts sont trop importants entre les mesures et évaluations effectuées à partir des satellites et les autres données disponibles (qui, dans certains cas, ont plusieurs décennies). Dans le système aquifère du Sahara, par exemple, son tarissement est annoncé au pire dans 10 ans, au mieux dans 21.000 ans.
« Dans une société où l’eau se raréfie, nous ne pouvons pas tolérer plus longtemps ce niveau d’incertitude, surtout depuis que les eaux souterraines sont en train de disparaître si rapidement » conclut Alexandra Richey.
La pollution de l’eau en surface et le tarissement des cours d’eau sont des facteurs aggravants à cette situation. Les chercheurs rappellent que ces ressources aquifères sont très difficiles d’accès, donc très couteuses à explorer.