La retenue à la
source fait partie de ces projets serpents de mer dont on parle depuis des
décennies et qui ressortent fort opportunément au moment ou le gouvernement a
besoin d’occuper le terrain ou de faire diversion.
C’est le genre de projet qui donne l’impression, parce qu’il fait beaucoup
parler, qu’il s’attaque au fond des choses, qu’il est une marque de courage et
d’activisme politique. C’est retenez-moi à la source et je vais faire un
malheur.
Pourtant, au-delà des apparences d’un projet de modernisation (après tout,
la plupart des autres pays collectent l’impôt à la source), quel est réellement
l’intérêt de ce qui s’annonce particulièrement délicat à mettre en œuvre
?
Le seul réel intérêt de la retenue à la source pour le contribuable, c'est
d'éviter le décalage dans le temps entre le moment ou il perçoit des revenus et
le moment ou il paye l'impôt sur ces revenus. Décalage problématique en cas de
forte variation à la baisse de ses revenus d'une année sur l'autre (forte
variation à la baisse et non anticipée évidemment). L’autre avantage avancé
c’est que de cette manière le paiement de son impôt est lissé sur toute
l’année.
Rappelons quand même, face à ce dernier argument, que la mensualisation avec
la possibilité offerte de modifier facilement ses mensualités si le montant de
l’impôt calculé en début d’année est sensiblement différent de celui de l’année
précédente (sur lequel les prélèvements sont déterminés), permet également de
lisser l’impôt sur toute l’année. Quand au risque, en cas de baisse sensible de
ses revenus, de se retrouver dans la difficulté pour payer son impôt, il est
réel mais il ne sera pas réglé pour tous ceux qui y sont le plus exposés,
c'est-à-dire les indépendants, qui considèrent leur revenu sur
l’année.
A contrario, ce que le gouvernement oublie tranquillement de rappeler, c’est
que le prélèvement se fera plein pot pendant toute l’année, avec seulement en
fin d’année, la restitution du trop payé du fait des niches fiscales (employés
à domicile, dons aux associations et 400 356 mille autres).
Tordons d’entrée le cou à l’idée que la retenue à la source serait justement
source de simplification et d’économies.
L’usine à gaz ne va rien simplifier du tout puisque de toute façon il y aura
une déclaration à faire et que cette déclaration est, pour les salariés, déjà
pré-remplie des revenus du travail directement fournis par l’entreprise à la
DGI.
Elle ne va rien simplifier non plus en termes de calcul final de l’impôt et
de prélèvement puisque notre système fiscal est tel qu’en fin d’année un
réajustement et un paiement complémentaire ou un crédit d’impôt seront pour
beaucoup inévitables et que pour le fisc, traiter ces réajustements demandera
le même travail que celui fourni pour la déclaration actuelle.
Tout ce qui n’est pas revenu du travail, et encore, pour peu que l’on n’ait
pas plusieurs employeurs, devra faire l'objet d'une régularisation par rapport
à la retenue à la source.
A coté de ça, il restera un grand nombre de cas à traiter: Quid des non
salariés, quel employeur va prélever l’impôt d’un couple appartenant au même
foyer fiscal, quelle confidentialité par rapport à l’entreprise etc etc sans
compter le problème de la gestion du passage d’un mode à l’autre à propos
duquel toutes les hypothèses même les plus absurdes sont émises.
Compte tenu de la complexité de notre fiscalité (imposition au niveau du
foyer fiscal, niches fiscales en pagaille...) et de la modernisation de
l’administration fiscale, la retenue à la source n'apportera strictement rien
en termes d’économies, de lisibilité de l’impôt ou de simplification. Elle
risque, au contraire, de créer des difficultés et donc des couts
supplémentaires là ou il n’y en avait pas.
Donc, en contrepartie d’un avantage assez mineur, qui pourrait être traité
sans remettre en cause le système actuel, par exemple en rendant la
mensualisation obligatoire (ce que le prélèvement à la source impose de facto)
et en négociant des étalement de paiement en cas de baisse sensible des
revenus, le gouvernement décide de monter ce qui s’annonce comme une
impressionnante usine à gaz.
Alors pourquoi le gouvernement s’est-il lancé aussi soudainement et avec
autant de frénésie dans ce truc alors que jusqu'à présent, cette perspective
était considérée sans grand enthousiasme ?
La réponse est toute simple si on se souvient que l’idée a officiellement
été relancée à l’occasion du récent congrès du Parti Socialiste. La retenue à
la source a clairement fait partie des friandises distribuées aux frondeurs et
à Martine Aubry pour qu’ils ne viennent pas perturber la fête.
Plus précisément, ce n’est pas tant la retenue à la source en tant que
telle, qui intéresse nos socialistes rebelles mais le préalable qu’elle
constitue pour une fusion entre l'IR et la CSG.
Or sur cette idée de fusion, et malgré la promesse de campagne, Hollande et
son gouvernement sont pour le moins réservés. Alors, sans le dire franchement,
ils ont laissé croire qu’ils y allaient en annonçant en grande pompe qu’ils
allaient commencer par mettre en œuvre la retenue à la source premier pas
nécessaire à une potentielle fusion entre l'IR et la CSG.
Evidemment, ils savaient pertinemment que compte tenu des délais, cette
promesse ne les engageait en rien sauf à se projeter sur un nouveau quinquennat
ce qui semble pour le moins hasardeux dans l’état actuel de leur
popularité.
Faute d'avoir eu le courage de mettre en oeuvre sa grande réforme fiscale,
le Gouvernement tente de faire illusion à travers une réforme écran de fumée
qui ne fera rien gagner à personne et dont, de toute façon, il ne verra pas
l'aboutissement.
Ce projet doit donc être considéré non pas comme un projet technique de simplification et d'économies mais comme un projet politique. On comprend ainsi beaucoup mieux pourquoi il est apparu d'un coup comme un pauvre diable sortant avec empressement de sa boite dans laquelle il aurait été enfermé trop longtemps !