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Le jour où le rêve européen s'est éteint (424ème semaine politique)

Publié le 20 juin 2015 par Juan

Le jour où le rêve européen s'est éteint (424ème semaine politique) L'hystérisation médiatique bat son plein, souvent sur le vide. Mais parfois, l'actualité politique, la vraie, prend le dessus. Ces moments, rares, sont souvent les plus graves. Cette semaine, il fallait oublier les commentaires sur la présidentielle de 2017, le remaniement ministériel discret, les éructations fascisantes contre le droit du sol. Il y avait plus grave, l'Europe, une belle conception politique de l'après-guerre, pouvait sombrer sous nos yeux ébahis.


La finance contre la démocratie
C'est un vrai sujet, si vrai et grave qu'il parvient péniblement à occuper quelques minutes du débat politique en France. La Grèce arrive au bord du gouffre, à tel point que la presse nationale française s'est trouvée contrainte d'en faire ses premières pages. Cette semaine était la dernière pour négocier un compromis entre les autorités grecques et les créanciers institutionnels du pays. La Grèce doit rembourser 1,6 milliards d'euros le 30 juin, et obtenir encore 7 autres milliards pour assurer la suite. La faillite n'est plus un tabou, mais une option. C'est l'issue la plus probable des quelques heures qui séparent l'Europe et le pays de l'échéance fatidique.
Les éditorialistes libéraux raillent le jeune premier ministre Tsipras, s'énervent contre l'impétrant qui aurait voulu faire croire que "tout était possible". Dans les colonnes du Monde, Arnaud Le Parmentier est un modèle de ces critiques. Il y aurait eu, estime-t-il, "maldonne sur tout, ou presque": Tsipras aurait eu tort de "jouer au plus fin"; il aurait naïvement cru qu'il pourrait négocier; il aurait hypocritement tenté de faire croire que "la solidarité européenne (avait) été détournée par les banques". 
Contre Tsipras, le mépris était palpable. "La fin de la récréation a sonné pour le gouvernement grec" ose lâcher le premier ministre belge, un pays qui a mis 541 jours à se doter lui-même d'un gouvernement. Quel Grec pense qu'il est en récréation ? Ce trop petit ministre belge a-t-il conscience de la situation sanitaire en Grèce ? Christine Lagarde, la directrice générale du FMI, au sortir des réunions du 18 juin, n'est pas moins insultante: "L'urgence est de rétablir le dialogue, avec des adultes dans la pièce". Cette dame était ministre des finances de Nicolas Sarkozy quand la dette française explosa de 600 millions d'euros supplémentaires.
Sans commentaires.
Jusqu'au boutiste, Lagarde l'est assurément. Au point d'énerver un éditorialiste peu suspect de "vrauchisme", Jean Quatremer, l'envoyé spécial à durée indéterminée de Libération à Bruxelles: "Il faut licencier Christine Lagarde !" s'exclame-t-il sur son blog: "Ses exigences de nouvelles et sévères coupes budgétaires sont politiquement inacceptables pour la Grèce, ce qui rend de plus en plus probables un échec des négociations en cours et un défaut de paiement à la fin du mois ou dans les semaines qui suivent".
Qui dit mieux ? 
Un nouveau rapport, publié à l'initiative du parlement grec et réalisé par quelques experts internationaux, rappelle pourtant ce que l'on sait déjà: avec la complicité du gouvernement conservateur d'antan, la dette grecque, principalement contractée auprès de banques privées, a été transférée aux Etats en contrepartie de réductions sociales assez inouïes. Pour ce dernier round, le FMI et la BCE, qui a injecté quelques 1.000 milliards d'euros de liquidités sur les marchés boursiers depuis un an pour faire baisser, en vain, le cours de l'euro, réclament une baisse des retraites en échange d'un nouveau prêt.
La fin de l'Europe
Toute la semaine, les créanciers ont même orchestré la aissé fuite suffisamment d'informations alarmistes pour effrayer la population et provoquer un "Bank run", une ruée vers les banques et faire ainsi pression sur le gouvernement hellénique: lundi, c'est une rumeur de fermeture des banques et de blocage des comptes, que publie un quotidien allemand; jour après jour, la BCE fait fuiter le montant des retraits pour mieux entretenir le feuilleton. Mercredi, elle publie un rapport alarmiste sur le "Grexit", la sortie de la zone euro du pays. Jeudi, Benoît Cœuré, membre (français) du directoire de la BCE, émet des doutes sur la réouverture des banques grecques lundi 22 juin, jour d'un ultime conseil européen décidé en "urgence". Sur les réseaux sociaux, l'ancien ministre (flemmard) français Pierre Moscovici, devenu commissaire européen, conclue chaque journée ou réunion de tweets métaphoriques ou lunaires.
"Il s'agit de maintenir la pression sur le gouvernement grec pour qu'il finisse par capituler devant les exigences des créanciers, pas de conduire à la faillite avant cette capitulation du système financier grec, car, alors, le Grexit deviendrait inévitable." Romain Godin, La Tribune, 20 juin 2014
En Grèce, les épargnants ont donc fini par se précipiter et retirer leurs économies des établissements bancaires, 5 milliards d'euros en moins d'une semaine. Ce "Bank run" qui s'accélère nous rappelle d'autres temps, d'autres lieux. Les années 20, la République de Weimar surendettée, la montée des extrêmes, et l'issue nazie. L'Histoire ne repasse pas les plats. Mais où est passer la solidarité européenne ? Où est passé le grand dessein, cette vision de l'Europe qui rapprocheraient les peuples ? Bref, comment ne pas s'étonner que les chants européistes en faveur de "l'Europe-paix" se soient transformé aussi vite en couinements grinçants de créanciers inquiets ? 
Est-ce déjà la fin du rêve européen ? 
L'Europe n'est pas plus en forme quand il s'agit de traiter des afflux de migrants. A l'échelle du continent vieillissant, ces arrivées, dans la souffrance et le drame, sont économiquement et socialement anecdotiques. Mais une coalition improbable et inconsciente a décidé d'en faire un objet de manipulation médiatique abjecte. Les chefs d'Etat européens se divisent sur les modalités d'accueil. La France et quelques autres refusent des "quotas" de migrants par pays. Hollande et Valls le répètent encore cette semaine.
En France, quelque part dans l'opposition, Nicolas Sarkozy en meeting compare ces drames migratoires à ... une fuite d'eau dans une cuisine sous les applaudissements et les rires gras de l'assistance. "On ne peut pas traiter les migrants n’importe comment pour se faire applaudir en meeting" s'indigne le centriste UDI Yves Jego. 
"Il n’y a plus d’argent, plus d’emplois, plus de logements, mais ils ont trouvé un truc (…), ils ont considéré que la solution au problème d’immigration c’était pas de réduire, c’était de répartir . (...) Dans une maison (…), il y a une canalisation qui explose, elle se déverse dans la cuisine. Le réparateur arrive et dit j’ai une solution : on va garder la moitié pour la cuisine, mettre un quart dans le salon, un quart dans la chambre des parents et si ça ne suffit pas il reste la chambre des enfants." Nicolas Sarkozy, 18 juin 2015
Nicolas Sarkozy a dissimulé quelque 17 millions d'euros de dépenses électorales lors de sa dernière campagne présidentielle, aux frais du contribuables.
Une fuite de cerveau ? 
L'emprise des distractions
C'est un faux sujet, une distraction médiatique, une excitation politique. Nicolas Sarkozy, excité par quelques pontes des Laidsrépublicains tels Eric Ciotti, s'auto-contredit en remettant la question du droit du sol dans son agenda politique. Le "petit Français au sand mêlé" - flashback 2007, campagne réussi avant un quinquennat libératoire pour la parole des salauds - a remis en cause ce droit du sol qu'il chérissait d'une simple phrase, le 13 juin dernier: "Faut-il remettre en cause le droit du sol ? Cette question, incontestablement, peut se poser". Le pauvre homme omettait de préciser que la législation française est plus complexe - le droit du sang existe déjà, et depuis longtemps. Pire, que pouvait on comprendre et retenir de ces éructations frontistes de la part d'un homme aux commandes de la législation migratoire pendant une décennie sans quasiment d'interruption ?
Rien.

Plutôt que de plancher sur l'état social ou la vie économique, l'actualité officielle nous saoule encore sur quelques provocations frontistes ou islamistes.
Pourquoi la Raison se laisse-t-elle ainsi abuser par la Bêtise ? 
Nicolas Sarkozy est en campagne, et sa campagne se transforme en one-man-show à la Jean-Roucas. Ce show "bébête" se déroule de ville en ville. Et Sarkozy, comme emporté par les rires de l'assistance, détruit un à un ses propres convictions passées. Cette semaine, voici le droit du sol exécuté sur l'autel de la primaire UMP.
L'élection présidentielle a lieu dans deux ans et pourtant elle occupe sondagiers, journalistes et éditorialistes. On commente comment Juppé écrase Sarkozy dans les sondages. François Hollande jure qu'il n'y pense pas. Mais ses conseillers travaillent à ses discours; le président multiplie les déplacements - encore onze la semaine  dernière. Il se défend d'avoir changé, justifie qu'après le temps du redressement des comptes, qu'il a aggravé par la plus massive des politiques de baisses de cotisations sociales, viendra celui de redistribution. Ses soutiens, proches ou éloignés, n'en finissent plus de promettre "le croisement de la courbe qui s'inverse", bref la baisse du chômage et autres reprises de la croissance... l'année suivante. Les sarkozystes se félicitaient de l'agitation immobile de leur monarque et prenait sa vulgarité bling bling pour du charisme. Les "hollandistes" préfèrent commenter des succès qui n'ont pas eu lieu (sic!), comme ce retour de la croissance que l'INSEE annonce... pour l'an prochain.
Bref, ce quinquennat n'a pas fini d'être raté qu'il faudrait déjà penser au suivant.
Oui, la question de l'échec définitif de François Hollande en 2017 se pose.
C'est un vrai sujet, occulté depuis des lustres sous des cris d'orfraie et de mauvais arguments que l'on connait bien. Notre régulation des conditions et incitations au travail est-elle obsolète ? La question, tel un pavé dans la marre, a été lancée par un figure du socialisme moral, Robert Badinter, aidé d'un professeur. Son propos était simple, mais le débat actuel commence toujours par la caricature.

Loin de promouvoir la suppression de droits essentiels, il repart de l'essentiel, les droits du travail, des droits basiques dont certains, à force d'en réclamer des ajustements ou la suppression, ont oublié ce qu'ils étaient véritablement. Badinter prononce sur une onde radiophonique publique le mot honni - simplification - et voici "l'halali de gauche de gauche".
Mais il est impossible de débattre, la rage se lâche, elle utilise toujours les mêmes ressorts - disqualifier le messager, s'arrêter à une formule, dénoncer les soutiens, etc... les "hamsters de la Twittosphère" s'en donnent à coeur joie.
C'est un autre vrai sujet, plus grave qu'un voile mal placé pour provoquer les consciences laïques, l'avenir de la planète. Deux semaines de négociations préliminaires avant la grand conférence sur le climat en fin d'année à Paris, "COP21", se sont déroulées dans la plus grande indifférence. La technologie aidant, des clichés saisissant d'une Terre qui perd son eau défilent sur nos écrans connectés, mais le sujet a moins de succès que d'autres. Il s'agit pourtant d'obtenir un accord, qui est possible, pour limiter le réchauffement en deçà de 2°C d’ici à la fin du siècle. Rien que ça ...
N'oubliez pas que vous allez mourir.
"La terre devient sombre, les eaux se libèrent, et deviennent capteurs de la chaleur au lieu de la réfléchir. Ce qui accélère encore la fonte de la glace et réchauffe la terre et l’atmosphère". Jean-Louis Etienne, 3 juin 2015

Bref.
N'oubliez pas l'essentiel.


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