Où bouge en nous la foule des êtres qui nous ont faits, parents enlacés dans les chambres, aïeux incertains dans les albums, et jusqu’à ceux dont le visage et l’idée même sont perdus ? Passeurs de vie, qui sait où gisent les vestiges de vous dans nos corps, les témoins si ténus relayés jusqu’à nos battements par vos amours ? Plus rien de votre sève au monde, qu’infiniment diluée dans nos veines ?
Rustres ancêtres sous Louis XV, dans les carrioles vous cahotant par les chemins pierreux, vos plus extravagantes songeries ne nous devinaient pas. Trisaïeux de mille huit cent trente ébahis dans les trains à vapeur, conceviez-vous qu’un peu de votre flux volerait avec notre audace par-dessus les monts et les mers, en des oiseaux de vacarme que vous ne pouviez pas nommer ?
Et nous aussi, qui parlons à cette heure, croyant rire et courir à jamais, nous serons d’infimes fumées dans les têtes, des airs de déjà vu au coeur des filles et fils de nos filles et fils puissance quatre, ardents à leur tour sous les ombrages tricentenaires des arbres que nous plantons. Puis l’histoire quittera le vaisseau , et sur le pont la paix scellera le retour de l’absence humaine en longues traînées de jours sans parole.
Arion