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L’informatique et l’administration, ça fait vraiment 10

Publié le 25 juin 2015 par H16

Aujourd’hui, je vous propose un billet prompt à susciter le recueillement, voire la componction : le quinquennat Hollande aura en effet été parsemé de nombreux enterrements, tragiques comme ceux liés aux attentats sur la rédaction de Charlie Hebdo, ou solennels comme le déplacement de résistants au Panthéon. À chaque fois, on aura multiplié les pompes, grandioses, les mobilisations du public ou des médias, mais décidément, les plus coûteux ne sont pas ces occasions-là. De loin, les enterrements les plus coûteux furent ceux des logiciels dont l’État voulait se doter pour simplifier sa tuyauterie administrative. C’est donc à une petite rétrospective que je vous convie ici.

hollande se recueille devant une bouche d'égouts

Et si les grandes entreprises privées modernes sont, informatiquement parlant, à la pointe du progrès, n’hésitant jamais à dégotter des idées géniales, à faire appel à du big data et à parfois claquer des millions en technologies avant-gardistes, en centres de calcul surpuissants et en méthodologies de développement agiles et souples, lorsqu’on parle d’informatique et de services de l’État, il sera difficile de se débarrasser de cette idée d’un marécage boueux et collant de technologies disparates, dépassées, de tubulures complexes et fragiles et d’une immonde série de processus antédiluviens que personne n’osera remettre à plat tant les connaissances attachées à ces processus ont disparu avec le départ en retraite des fonctionnaires à leurs origines.

De ce point de vue, on aura même tendance à confirmer cette impression avec les expériences plus ou moins douloureuses d’informatisation dans certains domaines, comme le RSI par exemple à tel point que certains parlementaires en sont à demander une remise à plat complète, ou plus général encore, comme Pôle Emploi lorsqu’il s’est agi de fusionner l’ANPE avec les ASSEDIC. À chaque fois, le résultat fut rocailleux, pour le dire gentiment, et les usagers en subissent encore les conséquences, parfois graves, de nos jours.

informatique du RSI

Difficile aussi de passer sous silence l’incroyable aventure de Louvois, l’applicatif dont l’objectif était au départ de gérer l’ensemble des soldes des militaires français, et dont le développement aura rapidement dépassé toutes les prévisions budgétaires pour aboutir à une facture finale de plus de 480 millions d’euros, dénoncée par une Cour des Comptes frôlant l’apoplexie. Un petit demi-milliard d’euros auquel devront s’ajouter une ribambelle de millions d’euros pour les trop-perçus, les erreurs de soldes, les coûts de corrections et de dysfonctionnements qui ont coûté à la Défense entre 150 et 200 millions d’euros par an, c’est-à-dire peu ou prou l’équivalent des économies permises par les réductions d’effectifs que le logiciel aurait dû permettre. Et pompon de l’affaire, Louvois étant déclaré incorrigible, le ministre de la Défense a finalement jeté l’éponge et enterré, purement et simplement, le monstrueux logiciel. Ce n’est pas grave, c’est l’État qui paye, n’est-ce pas.

Bien évidemment, le problème initial (celui du calcul des soldes militaires) n’étant donc pas résolu, il a fallu remettre en chantier un nouveau logiciel. Rassurez-vous, la facture s’établit pour le moment à 128 millions d’euros (ce n’est pas grave, c’est l’État qui paye), et la nouvelle application sera réalisée par SOPRA, qui vient de fusionner avec STERIA, la fine équipe qui avait produit la précédente performance artistique. Forcément, tout va bien se passer.

Et puis tant qu’on est dans les logiciels de paie, il serait dommage de ne pas mentionner l’Opérateur National de Paie (ONP), developpé par le consortium Accenture-Logica-SOPRA. Ce progiciel fabuleux devait gérer la paye de 2,5 millions de fonctionnaires à partir de 2017. Je dis « devait » parce qu’après avoir investi des centaines de millions d’euros depuis 2007, l’État a décidé, là encore, d’enterrer ce projet, en l’annonçant le 4 février dernier aux 500 personnes mobilisées à temps plein sur le dossier. L’objectif de l’ONP, qui était de réaliser 190 millions d’euros d’économies par an, se traduira donc par un trou. Et quel trou ! Le naufrage de ce logiciel-ci s’établit mollement autour de 346 millions d’euros, en pure perte donc. Ne vous inquiétez pas, ce n’est pas grave, c’est l’État qui paye.

Décidément, l’État semble abonné aux catastrophes informatiques majeures, et ce, dès qu’il s’emploie à nettoyer, remettre à plat et fusionner ses systèmes afin de faire des économies. Tout se passe comme si, justement, la simple velléité affichée de faire des économies se traduisait immédiatement par des dérapages proportionnellement plus grands que les économies espérées. Ces économies, toujours présentées comme majeures, aboutissent donc de façon paradoxale à des poubellisations de logiciels et des dépassements budgétaires bien supérieurs.

Dès lors, peut-on être rassuré lorsqu’on apprend que le ministère de la Justice s’est lancé à son tour dans une refonte de son logiciel de gestion des détenus, baptisée Genesis ? Son objectif affiché est de remplacer le fichier national des détenus et le logiciel Gide, qui recensent les décisions concernant les détenus. Malheureusement, les blocages, bugs, dysfonctionnements et anomalies s’empilent doucement au point de ralentir tout le petit monde de la Justice en France, déjà assez peu suspect d’alacrité compulsive. Pire, ce nouveau logiciel devait permettre de connaître le montant déposé sur le compte nominatif où sont inscrites les valeurs pécuniaires de chaque détenu, et d’effectuer ses virements vers les parties civiles selon les règles prévues à l’article D320, avec une « quote-part » obligatoire, versée automatiquement aux victimes comme dommages et intérêts. Las : cette opération n’est plus possible par le logiciel, ce qui pénalise les victimes, et les détenus (leurs remises de peines dépendant aussi des montants versés en dédommagement, montants devenus impossibles à connaître dans la nouvelle usine à gaz). Le logiciel, produit par SOPRA (pure coïncidence), ne fonctionne donc pas du tout.

Combien ce logiciel va-t-il nous coûter à l’État, en développement, en maintenance corrective, en cris, en grincements de dents, et surtout, en enterrement lorsqu’on verra qu’il n’est finalement pas récupérable ? Plus à propos compte-tenu de l’actualité et compte-tenu de l’historique global des grands projets informatiques gérés par l’État, peut-on raisonnablement attendre une bonne réussite du basculement de l’impôt actuel au prélèvement à la source planifié en plein milieu d’élections présidentielles ?

Pour ma part, mon avis est fait : forcément, tout ça va bien se passer.

informatique et prélèvement à la source

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