Des violences physiques contre les précaires de l'un des nouveaux barbares du monde digital aux attentats meurtriers commis au nom de Daech, du feuilleton grec "Finance contre Peuple" à l'espionnite américaine contre ses alliés français et européens, la démocratie souffre mais ne se rend pas. En fin de semaine, il y avait une note d'espoir, à Athènes.
Espionnite contre démocratie
Une "folie américaine", s'indigne le Monde. La révélation par le site Wikileaks animé par Julien Assange, et, en France, les journaux Mediapart et Libération, combien la NSA américaine avait espionné nos présidents et ministres français a fait grand bruit dans ... le microcosme. Ses écoutes massives abiment encore davantage la démocratie américaine.
Qu'y apprend-t-on ? Que la NSA dispose d'installations d'espionnage logées dans les ambassades américaines, notamment à Paris; que les numéros de téléphones de nos présidents et de leur entourage sont sur la liste des écoutes; que Nicolas Sarkozy confiait en privé qu'il se voyait sauveur du monde lors de la crise de 2008, et qu'il était convaincu que "que Washington tient désormais compte de certains de ses conseils. Qu'à peine parvenu au pouvoir, Hollande se déclare "très inquiet pour la Grèce".
Bref, il y a peu de révélations importantes dans l'affaire. Edward Snowden, cet espion américain que la France a refusé d'accueillir, avait balancé beaucoup, il y a deux ans. C'est plutôt l'emballement de la NSA à espionner tout ce qui passe, tout ce qu'elle peut, qui surprend. Pourtant, même ce dernier point n'excite plus grand monde une fois qu'on s'extrait des plateaux radiophoniques ou audiovisuels. Aurait-on collectivement renoncé à une démocratie pure et parfaite? L'indignation bruyante est devenue si contradictoire et aléatoire qu'elle n'est plus fiable. On hurle contre cet espionnage, mais les coulisses maléfiques d'un Daech ou de l'administration Poutine indiffèrent. On raille le silence officiel français contre les dérives de la NSA, mais nos médias - et leurs utilisateurs - ne protestent que très rarement, et très discrètement contre les nouveaux espions du monde moderne que sont les réseaux sociaux. Certains politiques réclament l'expulsion de l'ambassadrice américaine à Paris; d'autres qu'on dénoue nos relations diplomatiques avec les Etats-Unis; mais qui appelle au boycott de Facebook ou de Google ? En d'autres termes, le microcosme politico-médiatique, qui englobe jusqu'aux commentateurs amateurs les plus virulents de l'actualité, semble passer à côté de l'espionnage digital général qui frappent nos démocraties.
Il y a d'ailleurs fort à parier que l'immense majorité du pays est occupée à autre chose. Les dernières statistiques du chômage officiel publiées cette semaine sont exécrables - près de 3,5 millions de sans-emplois et davantage encore de familles inquiètes par cette précarité durable. Même les violences de quelques chauffeurs de taxi parisiens contre chauffeurs et clients de Uber à Paris - 7 blessés et 70 véhicules brûlés vendredi - semblaient plus proches et plus graves. Et pour une raison simple: aucun secteur économique n'est plus à l'abri d'une "überisation" rapide, violente et intégrale de sa filière. C'est-à-dire la disqualification instantanée de nos anciens modèles économiques par la mondialisation et l'innovation technologique. Cette nouvelle "économie du chacun pour sa gueule à l’ère de la débrouille", sur fond de chômage de masse et d'intoxication marketing choquent. La rapidité de ces transformations désemparent. Dans un autre secteur, la distribution de livres, le géant Amazon a annoncé ces derniers jours qu'il rémunérerait les auteurs indépendants de livres en fonction des pages lues. Ce retour généralisé aux pratiques du capitalisme naissant et ordurier des années 1850 est une autre facette d'un nouveau monde, que l'on décrit pourtant habituellement comme moderne, innovant, partageux.
La "coolness" du monde digital cache des monstruosités archaïques qui abiment la démocratie.
Ces révélations de Wikileaks coïncidaient avec le vote définitif de la Loi sur le Renseignement à l'Assemblée nationale. Cette loi est une tâche dans la démocratie à plus d'un titre. Cette loi promeut l'espionnage de nos concitoyens avec peu de contrôle et, surtout, pour des motifs sans aucun rapport avec le terrorisme comme la "prévention des atteintes à la forme républicaine des institutions, des violences collectives de nature à porter atteinte à la sécurité nationale" ou les " intérêts économiques, industriels et scientifiques majeurs de la France." Est-on choqué par l'espionnage de la NSA parce qu'il s'agit d'un espionnage ou d'un espionnage étranger ? Deux jours après ce vote funeste, un nouvel attentat islamiste frappe le pays. Un chauffeur de colis, déjà repéré par la DCRI comme islamiste radical, décapite le directeur de son entreprise, avant d'exhiber la tête de la victime, entourée de drapeaux islamistes au grillage de l'installation, puis de jeter son fourgon contre d'une usine de gaz dans l'Isère. En garde à vue, il s'est muré dans son silence. Sur BFM, le criminologue Alain Bauer évoque sur BFM un "terrorisme de proximité", un "Lumpen-terrorisme", le terrorisme du pauvre. D'autres sarkozystes accusent le gouvernement de laxisme. Cette récupération politique indigne impressionne peu. Hollande relève le niveau d'alerte Vigipirate,
En Tunisie, au même moment, un terroriste, seul avec ses armes à feu et quelques grenades, fait un carnage dans deux hôtels sur la côte, tuant jusqu'à 39 personnes, essentiellement des touristes, c'est une boucherie.
En plein Ramadan.
Sur les ondes de France info, l'ancien agent secret devenu député des Républicains Alain Marsaud s'exclame: "la France est en guerre contre l'islam". Confondre l'islam avec ses fous, c'est comme assimiler la démocratie à la NSA, c'est-à-dire stupide. A Koweit-City, le même jour, un autre attentat anti-Chiite dans une mosquée et revendiqué par Daech fait 27 morts. Islam contre Islam ? Daech est d'abord une entreprise criminelle. Les coulisses du proxénétisme guerrier de Daech sont révélées par le témoignage d'une Française revenue de Syrie.
En Grèce, ce n'est pas le terrorisme mais la finance qui oeuvre contre la démocratie. Le feuilleton "Tsipras contre Troika" joue ses derniers épisodes. Toute la semaine, on attend. La NSA ne nous apprend rien, ou très peu, sur la Grèce.
On ne sait pas ce que les dirigeants américains ont appris à l'insu du plein gré de leurs homologues grecs, dans cette période troublée depuis 2006. Il y aurait pourtant de belles révélations à faire. Après la victoire du PASOK aux élections de 2009, le nouveau premier ministre grec révélait à ses homologues stupéfaits que les comptes publics du pays avaient truqués, que les déficits et l'endettement étaient autrement plus dégradés. On apprendra plus tard que cette falsification avait été entreprise avec le concours actifs de quelques banques d'affaires américaines et européennes. La crise de la dette grecque ne fait que commencer, avec ses soubresauts multiples, jusqu'à la victoire de Syriza aux élections de janvier dernier.
En Grèce, la NSA aurait pu nous apprendre bien des choses, sur l'évasion fiscale ou la corruption des élites, ou encore le rôle trouble des banques occidentales.
En Grèce, la démocratie lutte toujours contre la finance.
Lundi et mardi, on semblait proche d'un accord entre le gouvernement Syriza et les créanciers du pays - BCE, FMI et Union européenne. Tsipras accepte d'augmenter, un peu, la TVA, et de baisser les retraites de plus aisés. Le quotidien grec Kathimerini publie le plan grec: un relèvement de la TVA pour 2,1 milliards d'euros, des cotisations salariales pour 1,9 milliard d'euros et des taxes sur les entreprises de 2,2 milliards d'euros. Comme souvent, Pierre Moscocivi, l'ancien ministre des finances de François Hollande devenu commissaire européen, déboule trop tôt sur France inter pour confier son soulagement. Mais mercredi, patatras! Ces efforts sont jugés insuffisants pour le FMI. Christine Lagarde fait la "fine bouche". Elle exige davantage de coupes de dépenses. "Si un Grexit arrive, ce sera parce que les créanciers, à tout le moins le FMI, l’auront voulu" commente Paul Krugman, prix Nobel d'Economie.
La tension est à son comble. Jeudi, de nouvelles rumeurs selon lesquelles la BCE abandonnerait les banques grecques dès le 1er juillet refont surface. Vendredi, dernier chantage euro-bancaire, une proposition de prêts supplémentaires de 15 milliards d'euros en échange d'une signature d'un accord à l'issue de la réunion de l'Eurogroupe samedi. Le plus cocasse de cette proposition est que les 15 milliards proposés pour rembourser les créanciers seront financés... par les mêmes créanciers. Un tour de passe-passe pour faire plier Tsipras. Techniquement, la Grèce est en faillite lundi 30 juin.
"La Grèce est et restera une partie de l’Europe, mais l’Europe n’est rien sans la démocratie." Alexis Tsipras, 26 juin.Vendredi 26 juin vers minuit, Alexis Tsipras donnait une leçon de démocratie à ses collègues européens. Dans une allocution télévisée, il explique qu'il convoque un référendum le 5 juillet: "La question qui sera posée au référendum dimanche prochain sera de savoir si nous acceptons ou rejetons la proposition des institutions européennes. Je demanderai une prolongation du programme de quelques jours afin que le peuple grec prenne sa décision." Jean-Luc Mélenchon, affecté par le décès d'un proche camarade et dirigeant du Parti de Gauche, applaudit. Et rappelle une évidence: "si, par les violences de la Banque centrale, le système bancaire grec s’effondre, si la Grèce est mise en banqueroute, les Français devront payer 40 milliards d’euros et les Allemands 60 milliards."
La démocratie est toujours plus imparfaite dans le respect de ses principes que les dictatures dans les leurs. Mais jusqu'où allons-nous supporter d'aller ?
En Grèce, Alexis Tsipras montre un chemin.
Crédit illustration: Dozone Parody