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Afrique : l’approche « Genre » ne peut être réduite à de la discrimination positive

Publié le 02 juillet 2015 par Unmondelibre
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Nombreux sont les projets dédiés au « genre » qui ont fleuri ces dernières années en Côte d’Ivoire. Des programmes spécifiquestels que « Crossroads », stratégie sur 5 ans de la Banque Africaine de Développement (BAD) axée sur l’émancipation économique de la femme – aux réformes législatives favorables aux droits des femmes, comme la modification en 2012 du code de la famille. Le « genre » semble s’implanter progressivement dans les priorités politiques ivoiriennes.

Toutefois, qu’entend-on par « genre » ? En parcourant les diverses initiatives et au travers des discussions, il est facile de s’apercevoir que le « genre » est essentiellement pensé comme la lutte pour l’égalité entre l’homme et la femme. Les femmes occupent une place omniprésente dans les problématiques abordées, notamment celle du développement. L’idée véhiculée par les défenseurs de ce « genre » présente l’inclusion des femmes dans des secteurs masculins, ainsi que leur accès (garanti) aux ressources, comme la solution principale aux inégalités de genre.

Il est indéniable que les avancées dans la promotion des droits de la femme sont cruciales, notamment pour pallier la pauvreté croissante. De même, leur rôle dans la sphère publique se doit d’être tout aussi influent que celui des hommes. Bien que des progrès soient encore nécessaires à accomplir dans cette direction, il s’avère que cette approche réduit le concept du « genre » à un simple substitut d’ « égalité des sexes » ou à une équation mathématique de répartition de sièges ou de postes. Elle omet le « genre » en tant qu’outil analytique et prisme au travers duquel nous devrions appréhender les réalités sociales. Dès lors, l’impératif va être perçu comme le besoin, par exemple, de remédier à la faible présence féminine dans certains secteurs d’activités, grâce à des pratiques de discrimination positive, telles que l’imposition de quotas, dans un but d’une égalité simplement arithmétique.  

Introduire des systèmes de quotas dans les sphères décisionnelles pourrait se révéler être une mesure temporaire efficiente pour pallier la sous représentation des femmes. Inclure l’expérience des femmes dans la vie politique est également un moyen de fournir des modèles de réussite motivants pour les autres actrices de la société civile. Cependant, ces procédés d’inclusion peuvent rapidement être détournés de leur dessein initial. En effet, la nécessité d’avoir, par exemple, 30% de femmes au sein d’une institution peut aboutir à des pratiques qui non seulement font impasse sur les compétences individuelles, mais laissent également libre cours au favoritisme et au clientélisme. Cette dérive est d’autant plus susceptible de se dérouler dans un contexte de mauvaise gouvernance et de corruption, phénomène marqué dans nombres de pays Africains, notamment la Côte d’Ivoire.

Dès lors, il serait nécessaire d’allier ces mesures de discrimination positive à des actions qui garantissent leur application efficace et juste. Dans un premier temps, le recrutement doit être régulé et institutionnalisé pour mobiliser un nombre suffisamment large de femmes qualifiées pour ne pas tomber dans la rente de situation. De plus, des évaluations et bilan doivent être entrepris pour mesurer les avancées et rendre redevables les femmes placées. Tous ces processus doivent enfin être sous l’attention constante des organisations de femmes et autres associations diverses.

Toutefois, qu’en est-il des facteurs qui entravent les femmes au préalable ? Il est largement établi aujourd’hui que la ségrégation professionnelle entre hommes et femmes découlent entre autre des stéréotypes associés à chaque sexe ; les emplois exercés par les femmes se situent bien souvent dans le prolongement de leur rôle traditionnel qui exige compassion et soin (infirmière, secrétaire) et les exclue des prises de décision. Les normes qui encadrent et définissent les rôles spécifiques pour chaque sexe sont loin d’avoir la même valeur. En effet, une hiérarchie sociale existe, qui privilégie la gent masculine. Ces relations de pouvoir entre hommes et femmes se renouvellent et se modifient en fonction des changements sociétaux et des contextes culturels (e.g. le « plafond de verre » dans les entreprises, terme défini aux États-Unis vers la fin des années 70, qui décrit l’inaccessibilité des positions supérieures par les femmes, malgré leur entrée sur le marché du travail).

Parvenir à l’éradication de ces relations de pouvoir inégales signifie donc que les efforts doivent être entrepris, non pas seulement au travers de quotas, mais également grâce à des initiatives incluant les hommes. Un changement durable et significatif ne peut avoir lieu sans la remise en question des valeurs qui entourent le rôle social de la femme. Cependant, ce questionnement implique à son tour une interrogation sur le rôle de l’homme et son attitude vis-à-vis des femmes. Pour reprendre le contexte de l’entreprise, il s’agirait pour l’employé de considérer sa collègue comme une autre employée, et non de projeter sur elle sa vision de la femme en tant que potentiel partenaire sexuel ou figure maternelle dévouée. Ce changement de comportement entraine non seulement des relations plus respectueuses et une évaluation objective des compétences individuelles, mais il permet également de minimiser les risques de violence et d’abus sur le lieu de travail.

Bien entendu, l’évolution des valeurs patriarcales est un processus lent, qui doit également s’ajuster aux spécificités culturelles locales. Cependant, restreindre le « genre » à une seule dimension quantitative, même si c’est une étape du processus, ne peut parvenir à une émancipation totale des femmes. De plus, le « genre » en tant que vision de nos relations humaines doit être utilisé comme l’arme principale dans la lutte pour plus de justice sociale, qui nous exhorte par la suite à prendre en compte d’autres inégalités révélatrices des structures sociales oppressantes, et à réfléchir sur nos différences, qu’elles soient physique, religieuse, ethnique ou autre. 

Chloé Mour, étudiante à l’Institute for gender, sexuality, and feminist studies à l’Université McGill (Canada), analyste pour Audace Institut Afrique. Le 3 juillet 2015.


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