Magazine Humeur

Un anglophone durant octobre 70

Publié le 09 juillet 2015 par Raymondviger

Crise d’octobre

Vision d’un jeune anglophone

Nous sommes en octobre 1970. Une douce brise pousse les feuilles tombées vers le bas de la petite colline, traverse la chaussée de la Côte-St-Antoine et se rend vers la pelouse de l’autre côté, parfaite comme un vert de golf. Un jeune garçon, inconfortable avec sa cravate et son blazer de laine qui pique, regarde par la fenêtre de sa classe le tank stationné à l’entrée de l’école.

Colin McGregor dossiers Chroniques d’un prisonnier.

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Il n’a jamais rien connu de tel, durant sa courte vie. À la récréation, il observera les quelques élèves plus âgés rassemblés autour du chêne, au bout de la patinoire de hockey, maintenant couverte de gravier. Ceux-là railleront le tireur embusqué dans l’arbre, assis sur une branche, une radio à la main, une mitraillette dans l’autre. Un professeur grand et sévère, habillé d’un veston de tweed, courut vers le pied de l’arbre pour en chasser les élèves, dans un accent écossais rude et prononcé.

Nous sommes en octobre 1970, à Westmount, dans l’école privée Selwyn House School où primaire et secondaire sont sous un même toit de cuivre. En haut de la colline, le croissant de route devant un large manoir de pierre est couvert de voitures de police et de reporters. C’est la résidence de James Cross, un diplomate britannique qui est aux mains du Front de libération du Québec (FLQ).

Personne ne sait au juste ce qu’est le FLQ, mais mes professeurs de la Selwyn House doutent des présomptions des autorités. Selon ces dernières, une armée de milliers de séparatistes québécois, entraînés par des officiers cubains, se cacherait dans un camp secret des Laurentides. Beaucoup de nos élèves sont partis rejoindre leurs familles dans les États de New York et du New Jersey, pour y attendre à l’abri la révolution attendue, à distance sécuritaire de la frontière canado-américaine.

Pour un garçon de 8 ans, cela n’a rien de terrifiant. C’est, au contraire, excitant. Les hélicoptères et les véhicules blindés ne sont que des versions agrandies des modèles réduits que j’assemble durant de longs week-ends. En observant par la fenêtre de ma classe de français le tank stationné devant le 95 chemin de la Côte-St-Antoine, je réalise que le vert que j’utilise pour peindre mes modèles est trop clair. Je fais le vœu de harceler mes parents jusqu’à ce qu’ils m’achètent la bonne nuance à la boutique de l’avenue Victoria.

Sauf que mes parents sont trop tendus pour que je puisse les pousser à acheter de la peinture à modélisme. Comme mes professeurs, ils ne croient pas les reportages des médias à propos d’une invasion imminente québéco-cubaine.

Mes parents possèdent un petit commerce, une agence de voyages. Ils craignent que les seuls billets vendus par la McGregor Travel à ses clients de l’avenue Greene soient des allers simples hors Québec. Ils craignent la dévaluation des propriétés, l’éducation obligatoire en français pour leurs enfants, et les hausses d’impôts et de taxes. Ils s’inquiètent de ce que les sociétés déménagent leurs pénates vers la stable et terne Toronto, entraînant leurs amis avec elles.

Mais il se trouve des occasions d’affaires dans les fausses guerres comme dans les vraies. Un de mes camarades de classe, Freddie, amène son berger allemand Fang devant le manoir Cross, et vend du café aux reporters et policiers à 75 cents la tasse, une fortune à l’époque. Plus les 25 cents pour le sucre et le lait qui ne sont pas optionnels; sauf si vous voulez que Fang approche ses crocs de votre mollet.

Les journalistes tirent au sort pour voir qui va traiter avec Freddie. Il devient célèbre sous le nom de Fast Freddie, Freddie le rapide, avec une photo pleine-page de lui en uniforme scolaire – cravate jaune et noire, veston de laine piquante, pantalon gris piquant – ornant le cahier week-end d’un quotidien.

Par cet après-midi d’automne, alors que je rêvasse en regardant par la fenêtre, un messager arrive à notre classe de français. Freddie doit se rendre au bureau du principal.

Notre classe est au rez-de-chaussée. Freddie comprend. Il se faufile par la fenêtre, s’enfuit en descendant la colline, fendant les feuilles mortes glissantes et courant vers la pelouse parfaite. Mais pour les enfants, la loi des mesures de guerre n’est qu’un jeu comme tout le reste. Les médias sont cruels; infâme pour un jeune de 8 ans.

À la fin de la journée, je marche vers chez moi. Notre maison se trouve sur le terrain de l’école. Nous sommes locataires. C’est une courte promenade. La fenêtre de ma chambre donne sur la cour de récréation, la patinoire et le chêne. Je regarde le soleil se coucher, les feuilles arrachées des arbres par le vent. Le jour s’éteint lentement, comme le monde anglophone dans lequel je suis né.

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Les livres de Colin McGregor

Journaliste dans divers médias à travers le pays; Halifax Daily NewsMontreal Daily NewsFinancial Post et rédacteur en chef du Montreal Downtowner. Aujourd’hui, chroniqueur à Reflet de Société, critique littéraire à l’Anglican Montreal, traducteur et auteur aux Éditions TNT et rédacteur en chef du magazine The Social Eyes.

Parmi ses célèbres articles, il y eut celui dénonçant l’inconstitutionnalité de la loi anti-prostitution de Nouvelle-Écosse en 1986 et qui amena le gouvernement à faire marche arrière. Ou encore en Nouvelle-Écosse, l’utilisation répétée des mêmes cercueils par les services funéraires; scoop qui le propulsa sur la scène nationale des journalistes canadiens.

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Ce guide est écrit avec simplicité pour que tout le monde puisse s’y retrouver et démystifier ce fléau social. En français. En anglais.

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