L’effet Droste

Publié le 13 juillet 2015 par Albrecht

L’effet Droste est un effet purement graphique, qui imite l’effet optique des miroirs en abyme (voir Quelques variations sur l’abyme), mais réplique l’image sans se soucier de l’inverser.


Couverture d’une boîte de chocolat Droste

Debut XXème siècle

La marque néerlandaire Droste est célèbre pour avoir  bâti sa communication sur l‘image récursive (comme en France La Vache qui Rit).

Ici, l’effet se complique avec une double récession, par la boîte et par la tasse : à chaque étape, il y a deux chocolatières, l’une grande (sur la boîte), l’autre petite (sur la tasse). Cette différence de taille, contrariée par  le fait que la tasse est  située devant la boîte, produit un inconfort visuel délibéré : il semble que la tasse « s’enfonce plus vite » dans  la récession que la boîte, alors que pourtant cette dernière est plus proche de nous.


Alice au travers du miroir,
Carte postale, début XXème siècle

Le miroir suggère un effet d’abyme inexistant, dans ce photo-montage obtenu en superposant la même image tirée avec une dizaine d’agrandissements progressifs.



Livre pour s’endormir (The Bed-Time Book)
Jessie Willcox Smith, début XXème siècle

L’effet Droste fascine les enfants, qui se demandent où la récession s’arrête…  Ici, celui qui possède le livre peut s’identifier avec l’enfant de l’image, qui lit sans savoir que, derrière sa page, se cache une porte directe vers le rêve.


Couverture de Vogue
A.E.Marty, 1932

Par la magie flatteuse de l’effet Droste, la lectrice de Vogue  s’identifie avec le mannequin de couverture.


Kangourous
Illustration de Andrew Teague

Démonstration astucieuse des idées d’emboîtement et d’auto-génération, qui sous-tendent l’effet Droste.

Alfred E. Newman
Couverture pour Mad

Dans cette variante amusante, le motif récursif est lui-même à deux étages : le magicien tenant un chapeau d’où sort  un lapin tenant un chapeau.



Coles Phillips
Illustration pour Life, 1909

Même procédé dans cette illustration qui, en inversant la droite  et la gauche à chaque étape, construit un semblant d’effet d’abyme, sans miroir ! Mais il s’agit toujours d’un motif à deux étages, composé d’une artiste droitière peignant une artiste gauchère.


Autoportrait, Orpen, 1924

Un autoportrait du peintre anglais Orpen, en 1924, repose sur le même principe (voir Orpen scopophile)


Calendrier Sylvania, Gil Elvgren, 1948

Ici, l’emboîtement s’arrête net : montrer une pinup s’intéressant à la récession à l’infini serait contraire au fantasme bien plus porteur de l’auto-érotisme féminin : seule une belle fille en nylons peut vraiment peindre  une belle fille en nylons.

Magritte semble s’être fait une spécialité de la  récession déceptive qui, tel le coïtus  interruptus, s’arrête juste avant l’abyme…

Les liaisons dangereuses

Magritte, 1936, Don promis au Los Angeles, County Museum of Art


La paradoxe ici  tient à ce que la jeune femme, en voulant cacher son recto, nous dévoile son verso :  le miroir-voyeur rend publique  la fille pudique, l’endroit de l’une montre l’envers de l’autre.

C’est cet effet vice-versa, typique des miroirs en abyme,  qui nous donne l’illusion qu’il s’agit d’une seule jeune fille, et donc d’une image impossible.

Or celle qui baisse les yeux n’est peut être qu’une fausse pudique, qui manipule son miroir non pour cacher son propre sexe, mais pour nous montrer le postérieur d’une compagne : celle-ci,  la vraie pudique,  se cache les seins avec les mains au lieu de tenir un miroir, interrompant la récession.

Ce tableau qui semble surréaliste est en fait physiquement possible pourvu qu’il y ait deux filles et non une seule. Ce qui mène à un conclusion étonnante : celle qui montre ses fesses au miroir en regardant par dessus son épaule… c’est nous.

Ainsi le tableau n’est ni un effet d’abyme, ni un effet Droste  : simplement le reflet d’une fille dans le miroir d’une autre.

 


Femme à la toilette

(inversée de gauche à droite)
 Picasso, 1906, 

Albright-Knox Art Gallery, New York

Nu au miroir avec un homme
Kirchner, 1912, Brucke Museum, Berlin

Pour obtenir le Magritte 1936, retournez le Picasso 1906  et rajoutez le Kirchner 1912.


Foucault a relevé ce qui ,en définitive, est   le seul  élément « surréaliste » du tableau :

« De l’ombre il manque une partie – celle de la main gauche qui tient le miroir. Normalement on devrait la voir sur la droite du tableau ; or elle n’y est pas, comme si l’ombre du miroir n’était portée par personne ». Michel Foucault, Ceci n’est pas une pipe,  Fata Morgana, 1973

Une autre remarque intéressante de Foucault :

« …dans le mince espace qui sépare la surface polie du miroir, qui capture les reflets, et la surface opaque du mur, qui n’attrape que des ombres, il n’y a rien. »

Si la conclusion est fausse (il y a parfaitement la place entre le mur et le miroir), le contraste entre le miroir et le mur est bien vu :

  • l’un de toutes les couleurs, l’autre d’aucune (gris uniforme) ;
  • l’un luisant, l’autre mat ;
  • l’un cadré, l’autre illimité.

Pour conclure philosophiquement :

  • le mur de Magritte est platonicien, en reflétant une ombre fausse ;
  • mais son miroir est cartésien, en nous montrant un reflet on ne peut plus exact.

La reproduction interdite

Magritte, 1937, Musée Boymans-van-Beuningen, Rotterdam


Le titre ne ment pas : ce n’est pas la réflexion qui est interdite, mais la reproduction à l’infini. Le dos dans le miroir amorce un effet Droste, mais le livre, en se reflétant normalement , bloque la récession dès la première itération (1).

Le choix des Aventures d’Arthur Gordon Pym de Poe, n’est pas l’effet du  hasard. On y trouve deux passages mettant en garde contre les méfaits du miroir, en premier lieu à l’encontre du narrateur lui-même :

« Lorsque enfin je me contemplai dans un fragment de miroir qui était pendu dans le poste, à la lueur obscure d’une espèce de fanal de combat, ma physionomie et le ressouvenir de l’épouvantable réalité que je représentais me pénétrèrent d’un vague effroi«  (chapitre VIII, le revenant)

Mais surtout, dans ce morceau de bravoure sur les ravages  de l’effet d’abyme :

« Too-wit fut le premier qui s’en approcha, et il était déjà parvenu au milieu de la chambre, faisant face à l’une des glaces et tournant le dos à l’autre, avant de les avoir positivement aperçues. Quand le sauvage leva les yeux et qu’il se vit réfléchi dans le miroir, je crus qu’il allait devenir fou ; mais, comme il se tournait brusquement pour battre en retraite, il se revit encore faisant face à lui-même dans la direction opposée ; pour le coup je crus qu’il allait rendre l’âme » (Chapitre XVIII, Hommes nouveaux)

(1) Le miroir et la cheminée se retrouvent à l’identique dans  un autre tableau de Magritte, La durée poignardée (voir Le train sous le pont)


Eloge de la dialectique
Magritte, 1937, Musée d’Ixelles, Belgique

Dans la maison dans la maison, la fenêtre en haut à gauche est fermée.

Clairvoyance
Magritte, 1936, Art Institute of Chicago.

Dans le tableau, l’artiste regarde un oeuf posé sur la table, mais voit un oiseau, qu’il peint sur le tableau dans le tableau.

Photographie de Magritte peignant son tableau Clairvoyance

Dans la photographie, l’artiste ne regarde rien, et fait éclore  un tableau directement de son imaginaire.

La photographie amorce un effet Droste interrompu, dans lequel Magritte se transforme en oiseau à la seconde itération.

Bill Brandt,
Photographie de René Magritte, 1963

Ici, l’effet Droste interrompu transforme Magritte en pomme.