Pour la première fois depuis la Seconde guerre mondiale, le Japon
pourrait trahir le pacifisme de la Constitution et intervenir dans une
prochaine « guerre américaine ».
Voté jeudi à la Chambre basse du Parlement, le projet de loi de
défense du premier ministre, Shinzo Abe, vise à renforcer le rôle
militaire du Japon dans l'arène internationale. Cette réinterprétation
de l'article 9 de la Constitution pacifiste rendrait possible l'envoi à
l'extérieur des Forces d'autodéfense (FAD) pour venir en aide à un
allié, en premier lieu les Etats-Unis. Pour le gouvernement, il s'agit
de répondre à « un environnement sécuritaire qui a fondamentalement
changé autour du Japon », en raison de « l'évolution de l'équilibre des
forces ».
Mais dans les rues de Tokyo et d'autres villes — c'est une petite
révolution. Environ 60.000 personnes ont manifesté mercredi devant le
siège du Parlement, dans la capitale. « Non à la guerre », peut-on lire
sur les pancartes des manifestants qui craignent de voir le pays pris au
piège dans un conflit lointain au côté des Etats-Unis. Jean-François
Sabouret, directeur de recherche au CNRS, spécialiste du Japon, nous
parle du projet de loi de défense, de ses implications et du débat qu'il
suscite au sein de la société japonaise.
« De plus en plus de voix s'élèvent contre la politique de Monsieur
Abe. Cela a commencé avec le relancement des centrales nucléaires après
Fukushima, explique l'expert. Aujourd'hui, la population ne veut pas
changer la Constitution de 1947 qui avait été imposée par les Américains
et qui dit que le Japon renonce à la guerre. Les Japonais sont très
attentifs et très attachés à cette Constitution pacifique grâce à
laquelle, disent-ils, le Japon a pu se développer et devenir la seconde
puissance économique du monde. Si le pays ou certains hommes politiques
retrouvaient leurs vieux démons d'un Japon militarisé avec une armée
beaucoup plus forte, il n'est pas certain que l'économie japonaise n'en
pâtisse pas. »
Shinzo Abe a beau évoquer le danger provenant de la Chine. Bien que
l'armée chinoise soit l'une des plus puissantes du Pacifique, ce sont
les Américains qui ont les forces les plus importantes dans la région. «
L'armée américaine est présente sur tout l'océan Pacifique, au Japon, à
Okinawa et au Yokosuka », précise Jean-François Sabouret. De ce fait,
il est peu probable que la Chine passe des paroles aux actes et attaque
les îles Senkaku, pierre d'achoppement dans les relations Pékin-Tokyo. «
Ils préféreraient développer les BTP en Afrique, dans l'Océanie et le
Pacifique que faire la guerre. Cela dit, les résultants économiques de
la Chine font que, dans 15-20 ans, ils vont avoir une Marine puissante,
ils ont déjà un porte-avions. Est-ce qu'il faut attendre 15-20 ans à la «
solution » de Monsieur Abe? »
La réaction du Pékin ne s'est faut pas attendre. C'est un « acte
sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale. Nous exhortons le
Japon à tirer les leçons de l'histoire, à demeurer sur la voie du
développement pacifique, à respecter les préoccupations majeures de
sécurité de ses voisins asiatiques et à s'abstenir de menacer la
souveraineté de la Chine », a déclaré la porte-parole de la diplomatie
chinoise, Hua Chunying. Selon elle, l'adoption des projets de loi
rapprochait le Japon et ses voisins d'un « scénario cauchemardesque ». «
Il est parfaitement légitime de demander si le Japon va renoncer à sa
politique exclusivement tournée vers sa défense, et quitter sa
trajectoire de développement pacifique », a conclu Mme Hua Chunying.
Jean-François Sabouret pointe du doigt la généalogie de Shinzo Abe,
qui est le petit-fils d'un criminel de guerre de catégorie A, Monsieur
Nobusuke Kishi, qui devait être pendu, mais libéré par les Etats-Unis,
en 1952, et six ans plus tard, devenu premier ministre. « Il y a
l'honneur perdu de son grand-père que Shinzo Abe a effacée mais sur le
dos du peuple japonais », fustige notre expert réputé.
Bien que le paysage politique soit très « étrange » au Japon, on ne
peut pas dire avec certitude si le projet de loi soit adapté. Pour le
moment, Shinzo Abe a la majorité presqu'absolue, parce qu'il n'y a pas
d'opposition dans le pays, depuis 10-15 ans. Le parti communiste qui
critique le premier ministre ne compte que 10 députés.
L'illusion d'une victoire facile du premier ministre est balayée par
les récents sondages réalisés par la presse japonaise. Pour la première
fois depuis des mois, Shinzo Abe est passé dans le rouge du taux de
soutien des Japonais, il est en-dessous de 40%. « Au Japon, les journaux
fons régulièrement des enquêtes, met en avant Jean-François Sabouret. A
un certain moment, si sa popularité baisse, Shinzo Abe devra remettre
son titre. Cela dit, il se fiche de ce que l'on pense. Il pense qu'une
fois cette loi passée, les Japonais se tourneront vers le quotidien,
vers l'économique, vers les Jeux Olympiques, vers le coût exorbitant de
sites sportifs, etc., bref, qu'ils auront oublié de quoi il s'agit. Je
n'en suis pas certain », conclut l'expert.
N'oublions pas que, selon l'Institut international de recherche sur
la paix de Stockholm, les dépenses militaires du Japon sont les
importantes au monde, en 2014, 45,6 milliards de dollars ont été
consacrés à la défense. Qui plus est, la Marine japonaise est la plus
puissante dans le Pacifique.
Source : SputnikNews