Alors oui,
bon, je vais répondre précisément, ce n’est pas de mettre des culottes sur la tête qui serait binaire, mais que de mettre des culottes sur la tête tue, c’est-à-dire de faire quelque chose alors
qui ne répond à rien, de court-circuiter les fonctions, que ça tue, là oui ça s’articulerait dans quelque chose, même pas simplement de binaire, là on serait dans le monde de la volonté,
précisément du pouvoir magique de la volonté, un monde où la parole aurait pour effectuations des actes, des actes binaires, organisées et organisables. Le rêve de l’humanité, sa folie, son
désespoir.
Il se trouve que la volonté humaine est impuissante. Vous pouvez porter en vous la volonté de mourir par exemple, vous pouvez le souhaiter de toutes vos forces, bander vos muscles,
contracter vos diaphragmes, bloquer vos pensées pour ne plus les concentrer que sur ça, mourir, faire que le cœur s’arrête, ça n’aura aucun effet sur le rythme de ses battements. Que l’activité
du cœur soit myogénique, qu’elle échappe à la volonté, c’est bien le malheur du monde humain. Vous pouvez prier les dieux pour qu’il pleuve, vous agiter, pousser vos corps dans leurs transes ;
vous pouvez recouvrir le monde de vos fabrications, ne plus jamais voir ni le ciel ni la terre, étourdir la réalité, ça ne balaiera jamais la marche de la puissance d’effectuations. Et même le
monde magique et volontaire que vous imaginez ne retombera jamais parfaitement sur ses pieds, dépassé, débordé par cette puissance qui continue de s’effectuer.
Le verbe ne crée pas le monde, le verbe crée le monde humain et le monde humain dans le monde reste quand même quelque chose d’assez précaire. Sans doute parce que c’est complètement
inventé. Vous voyez les idéaux, la beauté, la perfection, le bien, le mal, etc. vous voyez dans quel fantasme de contrôle absolu ils s’inscrivent. C’est le rêve de pouvoir tout organiser : faire
pleuvoir, ne jamais mourir ou mettre ses sbires à la tête des dictatures du tiers-monde… Vous voyez deux points se dessiner : l’humanité a inventé un monde qui fonde et se fonde sur sa volonté et
d’autre part sa volonté est toujours impuissante, rattrapée par la puissance d’effectuations qui reste merveilleusement incontrôlable. Là, à un moment, l’humanité a eu besoin d’inventer cette
idée d’inconscient pour expliquer cet achoppement de sa volonté, son débordement par les effectuations de sa puissance. Regardez comme le court-circuit est savoureux : c’est parce qu’il y a
volonté qu’il y a impuissance, c’est parce qu’il y a impuissance qu’il y a volonté.
Parce que bon, qu’est-ce que l’humanité pourrait faire d’autre que de délirer un monde sur lequel elle aurait enfin un pouvoir ? Un monde dans lequel elle appuierait sur un bouton pour
qu’il fasse jour ; un monde dans lequel elle se brancherait à une machine pour retarder l’heure de sa mort ; un monde dans lequel tout se passerait exactement comme elle veut. Que sa volonté
porte en elle sa haine féroce du monde, cela va sans dire, parce que pour l’humanité, le monde, c’est dans sa terre que son corps finit par pourrir après tout. Que la volonté humaine, ce ne soit
jamais que la volonté de détruire le monde, ça reste quand même assez comique tellement c’est sans espoir.
Alors j’ai été interrompu, c’est très bien, j’ai complètement perdu le fil. Je l’ai relu. Bon.
J’aimerais qu’on arrive à démêler ces choses-là, la volonté, la parole, l’impuissance, d’une part, et d’autre part la puissance d’effectuations. Il faut voir que je les nomme et j’en
déroule les fils pour les suivre dans leurs mouvements, leurs précipices et leurs émois, mais bien sûr ces noms-là : « volonté », « puissance », ce sont deux bouts par lesquels je prends les
choses pour les faire se confronter. Comprenez ma démarche, parce que je ne suis pas du tout en train de les installer, ces choses, ni de les situer, ce serait une immense erreur dans mon
articulation. Pourquoi ça ? C’est particulièrement savoureux… Parce que précisément, ce ne sont pas deux entités situées de part et d’autre, hermétiques et réfractaires l’une à l’autre, suivant
chacune son cours. Ce serait merveilleux parce que rien ne viendrait jamais donner tort à la volonté, rien ne viendrait jamais la faire buter ni l’effondrer. Là alors on serait dans le contrôle
absolu du pouvoir magique de la volonté, un truc complètement spontané comme ça, une sorte de monstre venu de nulle part qui ne marcherait que par la volonté humaine : une ville, une société.
Non non, vous avez le mouvement de la puissance d’effectuations et puis connectée à ça, dans des bouts, dans des embranchements, vous avez la volonté quelque part. La volonté d’abord, elle
est connectée à la puissance, parce qu’elle est impuissante, c’est ce qui fait qu’on est toujours dans des logiques de rapports situationnels avec la volonté et de délire du monde, elle est
impuissante à contenir la puissance, à la prévoir, à l’organiser. Il y a un moment où la puissance passe sur le corps de la volonté et la terrasse. Et parce que la volonté aussi impuissante
qu’elle soit, dans une certaine mesure elle s’effectue. Alors là c’est discutable, il faut voir, c’est assez amusant. Par exemple si vous décidez de ne plus manger, que vous vous affamez, que
vous en mourrez, alors est-ce qu’on peut dire que vous êtes mort par volonté ? Vous voyez, c’est drôle. Vous saisissez la marge d’action de la volonté quand même assez ténue, accompagner,
interférer ou retarder le cours d’effectuations de la puissance. Alors ce n’est pas rien, bien sûr, mais ce n’est pas tout et l’humanité rêve que c’est tout, elle fonde son monde là, dans cette
petite marge minuscule.
Alors que ça ne tue pas de mettre sa culotte sur la tête, que la volonté ne soit qu’une marge et ne puisse pas étouffer le monde de son contrôle absolu, vous voyez que c’est très
réjouissant. La résistance, la force obstinée de la puissance qui s’effectue coûte que coûte et contre laquelle, à un moment, la volonté ne peut rien.
Est-ce à dire qu’il faut se laisser abattre comme les psys l’ont laissé entendre, préoccupés qu’ils étaient à organiser la volonté, la structurer, la rendre cohérente, la polir, sans
comprendre que leur inconscient, c’était la puissance qui leur pétait dans les mains et vouait leur démarche à l’échec ? Est-ce à dire qu’il s’agit, avec les structuralistes, de se lamenter et de
geindre, n’utilisant la parole que pour ce qu’elle est, une vocifération nulle et déficiente - ils avaient au moins compris ça – ? Non, alors… non, parce qu’on n’a pas fondé la volonté d’une part
et la puissance de l’autre comme ils ont pu fonder la conscience et l’inconscient ou l’individu et la structure, non alors pas du tout.
Non, non, non. Il y a quelque chose d’ahurissant avec la volonté, c’est que c’est forcément une volonté de mort, une volonté de détruire le monde donc, et une volonté d’être déjà mort.
Regardez cette vague de fond sourde qui tend à tout aseptiser, à tout mortifier. Bien sûr, c’est de l’organisation, c’est une volonté d’efficacité, oui c’est certain, il n’y a quand même jamais
rien dans l’activité humaine qui ne soit pas fait dans un souci organisationnel, même quand ça lui complique complètement la tâche. Et puis, la volonté c’est une révolte folle de l’humanité
contre un cours qui lui échappe, qui ne cesse de lui échapper, et qui la mène à sa mort et cette lutte-là, évidemment, elle est bouleversante. Et moi je dis, avec toute l’arrogance de mon audace,
que la marge qu’elle dégage pour repousser la mort, la volonté qu’elle fonde dans cette marge minuscule, la bulle qu’elle développe et dans laquelle elle s’étourdit, je dis que l’humanité
s’organise vraiment n’importe comment – vous savez que l’humanité, comme tous les trucs généraux, ça n’existe pas, je ne parle de rien là, vous le mesurez j’espère – . Et elle s’y prend n’importe
comment parce que, j’aimerais faire une pause dans cette phrase pour retarder la détonation de l’énormité de la provocation qui arrive, ralentir le décompte du coup d’envoi de l’énigme, parce que
ce qu’il faut voir, ce dont vous pouvez être sûr et certain, c’est que la mort n’existe pas.
Je m’arrête là, je suis fatigué et je ne voudrais pas affaiblir la portée des outils très techniques que je mets au point l’air de rien.