Par ma blogueuse invitée, Isabelle Guitton Bernet, avocate en droit de l'environnement.
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A l’occasion de l’exposition universelle, l’OCHA (l’Observatoire CNIEL des Habitudes Alimentaires) a organisé à Milan une conférence sur le thème « Se nourrir demain ; Critique d’une uniformisation annoncée ».
La modernité alimentaire vue sous l’angle de la mondialisation et de la circulation de produits globalisés fait peur. Elle est brandie comme une menace, celle de la perte de nos particularités culturelles, celle de la désocialisation, de la déstructuration des repas, avec pour conséquence la progression du grignotage, de la junk food, etc. Ainsi, selon l’INSEE, les français passent de moins en moins de temps derrière les fourneaux. En 14 ans, le temps de préparation des repas a baissé de 18 minutes (soit 53 mn/jour).
Dans l’assiette, la proportion de plats préparés est de plus en plus élevée par rapport aux produits frais, sans compter les livraisons de repas directement à domicile.
Le naturel dans notre alimentation néanmoins en pleine progression
Le développement des Labels AB, Demeter, Ecovert, etc. en est une illustration. Le marché du BIO est structurellement en augmentation. De 2007 à 2012, le marché a doublé. Il a progressé de près de 20 % entre 2012 et 2014.
Cliquez sur l'image pour afficher en grand (source : Agence BIO / ANDI)
Une méfiance des mangeurs face à l’industrialisation de l’alimentation
Selon Olivier Lepiller, Docteur en Sociologie à l’Université de Toulouse II-Le Mirail et auteur d’une thèse sur les critiques de l’alimentation industrielle et des valorisations du naturel, la progression du naturel est liée à un problème de confiance entre mangeurs et industriels.
Cette méfiance des consommateurs a connu un essor marquant lors de la crise de la vache folle. Cette crise a relancé la critique de l’industrialisation de l'alimentation. Depuis, la thématique est alimentée par des scandales, des inquiétudes sérieuses et des considérations éthiques et environnementales : plats préparés pur bœuf contenant du cheval en 2013, étude révélant la toxicité des OGM en 2012, additifs et colorants, perturbateurs endocriniens, nanoparticules, huile de palme, injustices envers les petits paysans du Sud et du Nord, déforestation, mauvais traitement des animaux, etc.
La nature au secours des mangeurs
Olivier Lepiller constate un « travail de naturalisation ». La nature est convoquée comme une instance morale sanctionnant les actions humaines. Ce travail de naturalisation serait de deux ordres:
- explicite : les aliments sont qualifiés de naturels et investis d’une valeur et
- implicite : les arguments avancés relient l’aliment à la nature (ex. un aliment issu d’une production non polluante ou un aliment dénué d’éléments artificiels sera considéré comme «naturel»).
Pour Olivier Lepiller, la naturalité témoigne d’une recherche d’accord et de confiance dans l’identification des produits alimentaires. On constate néanmoins des tendances inverses qui peuvent surprendre. C’est notamment le cas de la viande in vitro.
La viande in vitro : une réaction à la naturalité ?
Fabriqué à partir de cellules souches de muscle de bœuf, le professeur Mark Post, de l'université de Maastricht (Pays-Bas) a présenté son "Frankensteak" en 2013 : "Ce n'est pas un substitut. C'est de la viande comme on la connaît, elle a juste été produite en dehors d'une vache".
"Nous prenons juste les cellules souches, nous les mettons dans un gel qu'on répartit autour d'un tube. Et en trois semaines, elles se contractent tout autour pour former des fibres musculaires. Ensuite on les récolte pour faire un hamburger" (ndlr: bon appétit).
La progression du marché des produits biologiques nous le montre. La tendance actuelle va vers plus de naturel. Les français ont pris conscience que ce qu’ils mangeaient pouvait avoir des impacts sur leur santé. Les initiateurs du projet de la viande in vitro ont-ils une vision futuriste à très long terme compte tenu du changement climatique et de l’épuisement des ressources ? L’artificiel sera la tendance du futur car produit en laboratoire dans un environnement propre, alors que les produits naturels le seront dans un milieu pollué et appauvri ?
Arrêtons de nous faire peur, ce mini steak a couté environ 250 000 euros. Les développements seront longs. Et l’acceptation du consommateur pour ce type de produit est loin d’être acquise !
Aller plus loin: www.lemangeur-ocha.com