Il suffit (...) de connaître ce que nous voulons. Et ce que nous voulons justement c’est ne plus jamais nous incliner devant le sabre, ne plus jamais donner raison à la force qui ne se met pas au service de l’esprit.
C’est une tâche, il est vrai, qui n’a pas de fin. Mais nous sommes la pour la continuer. Je ne crois pas assez à la raison pour souscrire au progrès, ni à aucune philosophie de l’Histoire. (...) Nous savons que nous sommes dans la contradiction, mais que nous devons refuser la contradiction et faire ce qu’il faut pour la réduire. Notre tâche d'homme est de trouver les quelques formules qui apaiseront l’angoisse infinie des âmes libres. Nous avons à recoudre ce qui est déchiré, à rendre la justice imaginable dans un monde si évidemment injuste, le bonheur significatif pour des peuples empoisonnés par le malheur du siècle. Naturellement, c’est une tâche surhumaine. Mais on appelle surhumaines les tâches que les hommes mettent longtemps à accomplir, voilà tout.
Sachons donc ce que nous voulons, restons fermes sur l’esprit, même si la force prend pour nous séduire le visage d’une idée ou du confort. La première chose est de ne pas désespérer. N’écoutons pas trop ceux qui crient à la fin du monde. Les civilisations ne meurent pas si aisément et même si ce monde devait couler, ce serait après d’autres. Il est bien vrai que nous sommes dans une époque tragique. Mais trop de gens confondent le tragique et le désespoir. “Le tragique, disait Lawrence, devrait être comme un grand coup de pied donné au malheur.”