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Max | Chatilège

Publié le 23 juillet 2015 par Aragon

sequoia_sablieres-r18088.jpgAprès avoir été la chef de la rue des Fleurs, tu es chef de la forêt. Tu restes au pied de mon séquoïa pour des temps que je ne connais pas. Boule de poil trouvée par Maya dans la haie du voisin un soir de Noël mille neuf cent quatre vingt dix-huit. Quand nous vendîmes en mai deux mille deux la maison posée au flanc de la colline ensauvagée de feuillus, broussailles et fleurs nous te laissâmes avec, pensant que c'était ton domaine, que tu serais bien.

Huit mois comme la Blanchette de monsieur Seguin à vivre libre, à te battre sans doute contre des loups réels ou imaginaires. Noël deux mille deux, désespérés, les nouveaux propriétaires nous disent qu'ils ne t'aperçoivent presque jamais. Tu n'as pas eu besoin de t'ensauvager comme la colline, tu l'étais déjà, plus esprit vif des bois que chat. Mon toutou.

Noël deux mille deux donc, je reviens vers la maison quittée, je marche dans la forêt, je t'appelle, je veux savoir. Bruit de broussailles fracassées, j'entends tes miaulements dans la combe, ils se rapprochent et je te vois au bout d'un long moment. D'un bond tu franchis le fossé qui sépare le sentier de la forêt. D'un autre bond, d'un seul, tu me sautes dessus. Je n'en reviens pas. Jamais vu ça de ma vie. Tu me sautes au cou, tes deux pattes avant de chaque côté de mon cou, ton museau contre ma joue. Tu ronronnes. Je ne te vois plus, mes larmes brouillent ma vue. Je te fourre dans le sac à chat que j'avais emmené au cas où et retour...

Tu viens avec nous à Mayotte où tu seras la chef des makis et des brousses alentours. On rentre en France. Mon toutou d'amour. Tu sembles ne jamais grandir. Tes miaulements n'en seront jamais de vrais. Toujours au aguets de ces temps de forêts marqués, gravés en toi. Toujours aimante avec nous. Caressante, discrète, pas chiante pour un sou... sauf pour les chauve-souris que tu chopais d'une seule patte sur le rebord de la haute terrasse. Comment faisais-tu toutou équilibriste ?

Cette dernière année passée tu fus la chef heureuse, épanouie, de la rue des Fleurs. Les greffiers ne passaient plus qu'avec ton assentiment, les clebs aussi. Chef, capo di tutti capi des matous du quartier. Clap de fin. "Cut" comme dirait Nicholas Ray face à la caméra de Wenders. Bouleversant "Cut" pour moi...

Vendredi dernier, t'ai posée en un lieu connu de moi seul, sans murs, sans terre, sans limites. Tu veilles désormais. Chef des sangliers bougons, chevreuils, biches, renards roux, et autres lapins doux et joueurs. Tu demandes à tous de montrer patte blanche pour passer devant mon grand arbre rouge qui est aussi le tien à présent.

Haut, si haut mon séquoïa. Tu fais tes griffes sur son écorce douce et rouge. Je ne te vois plus, mais toi tu me sais comme je te sais à présent. Pérenne, là, forte et chef de la forêt pour des temps sans fin. Lé holam comme il est dit dans le Zohar...


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