Alors, là ! ma mère jusqu'ici silencieuse ne put s'empêcher d'envoyer un coup de rond de serviette en bois sur les phalanges de mon père en guise de réprimande ( ma mère a toujours protégé le seigneur par la violence physique )
- ceci était ma main, Marie-Ange, répondit-il pour clore la plaisanterie. Je ris et même si je ne comprenais que la surface de son humour, j'étais content de le revoir cet Antoine, ce père, cette âme égarée et rebelle face à l'éternel.
Les trois années passèrent doucement sans réelles séquelles psychologiques et
je repris ma scolarité tout à fait normalement ; j'obtins mon BAC scientifique avec mention " super fort en dissection amphibiens " et me dirigeai vers une profession d'étude, de recherche peut-être, mais avec une certitude : il fallait qu'elle soit liée à la biologie environnementale. J'adorais la bio' ! Il est vrai que plus jeunes, avec méla', nous nous étions pas mal entraînés sur des grenouilles lors de nos ballades aux alentours de Bligny. J'aiguisais spécialement des cartes téléphoniques pour ces chirurgies minutieuses et m'étais procuré une paire de gants latex que je nettoyais à l'eau du robinet puis dissimulais dans un de mes pulls camionneur. Je cachai beaucoup de choses dans l'armoire à glace de ma chambre : des cartes téléphoniques donc, mais également mon carnet intime bleu dont j'avais perdu la clé. Je la retrouvais quelques mois plus tard sous le radiateur poussiéreux en fonte blanc. À l'intérieur, j'y notais à peu près tout ; des attitudes cyclothymiques d'Antoine (Ah ! mon père ce lombric fatigué ! ) à mes constipations récurrentes dûes peut-être à mes déjeuners et dîners chocolat-coca. C'eût été plus sain de manger des bananes mais mon père s'en servait comme modèles pour ses tableaux. (Aaah ! mon père, ce peintre maudit n'ayant même pas eu les couilles de sombrer dans la drogue ou l'absinthe comme ses confrères du XIXe siècle)