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Ameublement, de Julien Maret

Publié le 25 juillet 2015 par Francisrichard @francisrichard
Ameublement, de Julien Maret

Le point-virgule, selon Danièle Sallenave, de l'Académie française, "laisse à la phrase le temps de s’épanouir, il évite de rompre l’unité de la pensée par la multiplication des phrases courtes. Il respecte la phrase, mais il la construit, au lieu d’en juxtaposer les éléments comme le fait la virgule":

"Le point-virgule est le signe de ponctuation par lequel on peut donner à la phrase une certaine ampleur, autrement que par la molle et paresseuse succession de virgules. Le point-virgule confère à la phrase une rigueur sans excès, il en module le ton, et fait ainsi entendre la voix de l’auteur."

Eh bien, Ameublement, de Julien Maret, est une illustration de ce que dit l'académicienne, avec laquelle je ne partage pas grand chose, si ce n'est son amour de la langue française et de ce fichu point-virgule, tombé, hélas, en grande désuétude. En effet, voilà un livre qui ne comporte pas d'autre signe de ponctuation.

Evidemment c'est pousser les choses à l'extrême que de n'employer ni virgules, ni points d'aucune sorte, de n'employer non plus ni guillemets, ni parenthèses. Car, de ce fait, il n'y a pas d'autres majuscules que celles des noms propres. Même le début du texte n'en comporte pas. Cela tiendrait du pur procédé et ce serait lassant si, au bout du compte, l'on ne se prenait pas à ce petit jeu littéraire.

En tous les cas, cela fait bien "entendre la voix de l'auteur"; c'est indéniable. Cela donne bien une unité à sa pensée; c'est indéniable également. Danièle Sallenave a raison sur ces points. Au début d'une telle lecture, il faut toutefois vaincre un certain agacement. Car un livre d'une seule  phrase, ample, et rigoureuse sans excès, cela semble bien artificiel et pourrait rebuter.

Julien Maret a tout de même le bon goût, pour permettre au lecteur de respirer un peu, de couper de paragraphes, et de la répartir en sept parties, cette phrase qui n'en finit pas puisqu'elle se termine, comme de juste, par un point-virgule et qu'elle comporte de nombreux bouts commençant par "c'était à" suivis d'un inifinitif et de nombreuses subordonnées commençant par "quand"...

Quoi qu'il en soit, ce procédé, ou cet artifice, si l'on veut, est une  singulière façon de plonger dans ses souvenirs d'enfance, mais, en définitive, c'est une façon appropriée, puisque ces souvenirs apparaissent peu à peu sous sa plume, comme progressivement les détails d'une photographie argentique sous l'effet du révélateur.

Cette enfance se passe dans les lieux et alentours d'un village, composé de mayens, à proximité du "Rhône contenu entre les digues rassemblé serré comme une atelle fermé comme des oeillères; avec les berges sablonneuses encore sauvages;"

Un village avec ses lieux, donc: la place du Petit-Pont, le canal. Avec ses bâtiments: "l'immeuble au ruban blanc en face de chez madame Irma la femme du vieux Conrad"; le hangar de la Coopérative fruitière; le garage Opel; les bâtiments locatifs Charnot.

Un village avec ses alentours: "entourée de roseaux; il y avait la gouille de Verdan; c'était au bout d'un petit ruisseau;"; "c'était comme au lac en bas dans le Creux; à la colonie de Sorniot; aux abords à se frayer un passage; le bâton planté devant à chaque pas pour s'assurer; pour ne pas enfoncer trop profond;"

Un village avec ses commerces: le Café de l'Avenir, le Café des Alpes et le Café du Commerce et leurs piliers de bistrot; le salon de coiffure des Marmelin et les bigoudis de madame Truchez, sous cloche; la Coop; la boucherie et ses rôtis du dimanche; chez Feulard et ses gros pains de seigle.

Un village avec ses personnages d'un autre temps: monsieur Soret et son magasin d'Ameublement éponyme; la dame aux robes Chanel et son maillot de bain; l'oncle René et son tracteur, "ses caisses à pommes pour les poires"; monsieur Tindet, patron du garage Opel, et sa salopette.

Des souvenirs d'époque avec des petits détails qui la datent: la plume de la marque Pelikan, le cendrier Tapisano, les hélicoptères Super Puma et Alouette III, la tire-lire Raiffeisen, les exercices de grammaire du Bled, les contes du grand livre vert, le Spirou feuilleté dans les couvertures, les vélomoteurs, le Malabar à vingt centimes...

Une fois le livre refermé, le lecteur se rend compte qu'il s'est prêté bien volontiers à l'humeur vagabonde de l'auteur et que, sans en avoir l'air, celui-ci l'a fait pénétrer à sa suite dans un monde peut-être enfoui et épars, mais bien présent à sa mémoire, l'obligeant gentiment à en suivre les méandres, pour accomplir le tour qu'il voulait lui voir emprunter.

Francis Richard

Ameublement, Julien Maret, 112 pages, Éditions Corti


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