Le Monde.fr | 28.07.2015 Par Samuel Laurent
Xavier Beulin à la sortie du ministère de l'agriculture, le 21 juillet. JACQUES DEMARTHON / AFP
Retour de boomerang pour le patron de la toute puissante fédération nationale des exploitants agricoles (FNSEA). Xavier Beulin, qui était en tête des mobilisations d’éleveurs, est désomais contesté par sa base, et notamment par les éleveurs en colère.Critiqué pour son train de vie et ses multiples casquettes, M. Beulin a dû se fendre de deux courriers en quelques jours pour tenter de s’expliquer, non seulement sur sa gestion de la crise, mais surtout sur sa propre situation. Car outre son rôle de patron du plus puissant syndicat agricole français, Xavier Beulin est aussi un businessman, à la tête de plusieurs sociétés, qui sont parfois bien loin des préoccupations des éleveurs.
Un grand céréalier
Lorsqu’il accède à la tête de la FNSEA en 2010, M. Beulin est le premier céréalier à prendre cette fonction, qui était jusqu’ici occupée par des éleveurs. Il l’emporte d’ailleurs d’une courte tête (cinq voix) devant un éleveur laitier.Enfant d’agriculteurs, Xavier Beulin exploite avec son frère et deux cousins 500 hectares de cultures, mais aussi un atelier de lait, dans les environs d’Orléans. Propulsé très jeune à la tête de cette exploitation, il s’engage également dans le syndicalisme agricole, d’abord aux Jeunes agriculteurs, puis à la FNSEA.L’un de ses mentors, Jean-Claude Sabin, figure de l’agriculture du Sud-Ouest, est aussi le fondateur de Sofiprotéol, un groupement de céréaliers créé en 1983. Xavier Beulin lui succède à la tête de cet empire de l’agroalimentaire français, dont le nom est peu connu des consommateurs mais qui détient des marques d’huiles comme Lesieur ou Puget, ou d’œufs (Matines).L’empire Avril-Sofiprotéol
Xavier Beulin préside depuis 2000 la société Avril (ex-Avril-Sofiprotéol), un groupe créé en 1983 par les producteurs d’oléagineux, et devenu un acteur majeur de l’agriculture en France.Avril travaille dans deux domaines : la fabrication d’huiles végétales (colza, tournesol) et ses déclinaisons (biocarburants, sauves condimentaires, chimie…) ; et l’alimentation animale (tourteaux issus du colza et du tournesol et destinés à nourrir le bétail, mais aussi transformation et commercialisation des œufs, du porc ou de la volaille).Sa filiale, Sofiprotéol, « intervient financièrement tout au long des filières des huiles et protéines et de secteurs connexes comme la transormation laitière ». Sofiprotéol prête en fait de l’argent à des agriculteurs et à des industriels des filières agroalimentaires.Au sein du conseil d’administration du groupe Avril, on trouve Jean-Pierre Denis, ancien secrétaire général adjoint de Jacques Chirac à l’Elysée et actuel président de Crédit Mutuel Arkéa et Crédit Mutuel de Bretagne, deux des plus gros pôles régionaux de la banque, mais aussi l’ancienne patronne d’Areva, Anne Lauvergeon.Avril compte plus de 8 000 salariés et réalise un chiffre d’affaires annuel d’environ 7 milliards d’euros. Le groupe est numéro 1 des œufs et de la nutrition animale en France, mais aussi premier producteur de biodiesel et d’oléochimie en Europe. En décembre 2013, François Hollande est venu en personne prononcer un discours élogieux pour les 30 ans du groupe.Consulter la liste des filiales du groupe sur le site reporterre.netDe multiples casquettes
Xavier Beulin possède de très nombreuses casquettes. Syndicalement, il préside non seulement la FNSEA, mais aussi l’EOA (alliance européenne des oléo-protéagineux). Il est aussi vice-président du COPA-COGECA, le syndicat agricole européen le plus puissant.Il préside encore d’autres instances : l’Ipemed (Institut de prospective économique du monde méditerranéen), un think tank créé par Jean-Louis Guigou, mari de la socialiste Elisabeth Guigou, et qui fut financé par Aziz Miled, proche du clan de l’ex-président tunisien Ben Ali. La présidence de l’Ipemed s’accompagne pour M. Beulin de celle d’un autre groupe de réflexion, l’Euro-Mediterranean Competitiviness Confederation.M. Beulin siège également comme administrateur représentant des professions agricoles au Crédit Agricole, et administrateur de CACIF (Crédit agricole capital investissement et finances), une filiale d’investissement spécialisée notamment dans l’agriculture et l’agro-alimentaire.Il est en outre président du conseil économique, social et environnemental (CESER) de la région centre, mais aussi président du conseil de surveillance du port autonome de La Rochelle, deuxième port français pour l’exportation de céréales.Autant de casquettes qui font dire à ses détracteurs que l’homme n’a plus grand-chose d’un agriculteur, ce que ce dernier conteste vivement.Conflits d’intérêt en série
Ces multiples rôles finissent par poser question : Xavier Beulin évoque régulièrement l’Afrique et le Maghreb comme des partenaires potentiels pour l’agriculture européenne, mais le fait-il en tant que syndicaliste agricole, président de l’Ipemed, ou patron du groupe Sofiprotéol, qui vient d’investir dans plusieurs pays d’Afrique et ne cache pas qu’« il s’agit d’un axe majeur de son développement » ?La question se pose à de nombreux niveaux. Ainsi, selon un rapport de la Cour des comptes en 2012, Sofiprotéol a pu bénéficier durant des années d’une « rente de situation » sur le marché des biocarburants, les agriculteurs recevant « des aides pour ne rien produire sur leurs surfaces en jachère » et cédant donc leur colza à un prix « seulement un peu supérieur au coût marginal de production », ce qui a largement aidé le groupe à se lancer. Or ces aides étaient arbitrées entre autres par… la FNSEA.Sur les réseaux sociaux, une citation de Périco Légasse, rédacteur en chef de la rubrique Gastronomie et vins du magazine Marianne, a été beaucoup relayée, expliquant que Sofiprotéol fut aussi importateur de poulets industriels étrangers via l’une de ses filiales (Farmor). Si le groupe a, depuis, revendu une large partie de cette activité, ce fut effectivement le cas jusqu’en 2014.Sofiprotéol est un acteur majeur de l’agroalimentaire en Europe. Il a ainsi pris le contrôle de Glon Sanders (alimentation animale), et, s’il a échoué à racheter le volailler breton Doux en 2012, il reste présent à tous les échelons des filières d’élevage, comme fournisseur d’alimentation, mais aussi comme acheteur d’œufs ou transformateur de produits issus du porc. Comment, dès lors, ne pas poser la question du conflit d’intérêt ?Dans sa lettre aux agriculteurs, lundi 27 juillet, M. Beulin assume :« Je préside la FNSEA avec une fierté que les mots ne sauraient traduire. Et oui, je préside aux destinées d’Avril (Sofiprotéol), un groupe qui exprime la réussite non pas de Xavier Beulin, mais celle de milliers d’agriculteurs engagés dans les débouchés et la valeur ajoutée. Aller plus loin, ce serait donner du plaisir à nos détracteurs, ceux-là même qui vocifèrent sans proposer, qui salissent sans comprendre, qui jugent sans savoir. »
Lire notre portrait publié en 2014 : Xavier Beulin, l’« agrobusiness man », va rempiler à la tête de la FNSEA
Samuel Laurent Journaliste au Monde
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