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L'art de voir un film, de Jean Collet (Entretiens avec Hervé de Bonduwe)

Publié le 02 août 2015 par Francisrichard @francisrichard
L'art de voir un film, de Jean Collet (Entretiens avec Hervé de Bonduwe)

Dans ces entretiens avec Hervé de BonduweJean Collet ne cache pas que son propos n'est pas d'apprendre au spectateur l'art et la manière de voir un film. Il s'agit plutôt de lui lèguer les enseignements qu'il a reçus au long d'une vie consacrée au cinéma.

Le lecteur est d'ailleurs complètement rassuré sur les intentions de l'auteur en lisant le livre et, plus particulièrement, en lisant le thème, qui lui est consacré à la fin, en tant que spectateur. Car l'auteur précise qu'il est d'accord avec Molière (1) quand il donnait aux artistes le conseil de plaire:

"Il faut qu'un film, un roman nous donnent du plaisir."

Cela dit, le plaisir n'empêche pas d'aller plus loin, c'est-à-dire d'étudier. Aussi Jean Collet dit-il: "Oui à l'initiation, oui à l'étude de la littérature et du cinéma. Mais l'étude n'est qu'un moyen, une épreuve à traverser pour accéder à la joie de la découverte, à l'émotion de la rencontre, à la beauté."

Jean Collet aborde avec Hervé de Bonduwe neuf autres thèmes pour permettre au "spectateur de bonne volonté" d'en connaître un peu plus sur le cinéma, que ce professeur honoraire des universités a enseigné et sur lequel il a beaucoup écrit en qualité de critique.  

Le 7e art aura bientôt 120 ans. Cet art, qui naît alors d'"une trouvaille technique", se distingue des autres arts par la "troublante beauté du jamais vu": "Par le ralenti ou l'accéléré la caméra révèle la limite de nos sens, elle donne accès à ce qui était jusque là invisible."

Il se distingue aussi par l'abolition de la frontière entre champ et hors-champ: "A la différence de la peinture, de la photographie et des premiers films de Louis Lumière où le cadre est fixe, l'objectif de la caméra peut se déplacer. Autrement dit, la frontière avec le hors-champ peut être franchie, les coulisses de l'image sont toujours accessibles, on peut changer le contenu du cadre."

Les deux sources du cinéma sont le documentaire avec Louis Lumière et la fiction avec Georges Méliès. Même dans le documentaire, il s'agit d'une recomposition de la réalité, qui ne peut être obtenue sans recours à l'artifice: "Il n'y a que des effets de réel."

Le résultat de cette recomposition est que "le cinéma, ce n'est pas la vie", le génie d'un cinéaste étant de "donner aux personnages une existence cinématographique", et que l'"on ne peut voir vraiment un film que si l'on a envie d'y croire".

Peut-on parler de sujet d'un film? Pas vraiment. Il faudrait parler plutôt d'"idée de film" qui dans l'esprit du cinéaste correspond à un désir et qui doit s'effacer pour que l'oeuvre naisse. Comme tout art, le film n'est jamais une information pure: "De cette impureté, il tire sa richesse."

Un film atteint à la beauté quand le cinéaste sait maîtriser l'espace - l'image chargée, voilà l'ennemi - et la durée (tout se joue au montage), quand son regard humain sait donner vie à l'objet filmé et quand la musique, s'il y a musique, répond à une nécessité. Revoir un film est le "critère le plus sûr et le plus simple" pour l'estimer.

Pourquoi allons-nous voir un film? "Pour nous évader du temps quotidien, non pour nous en distraire au sens pascalien, mais pour expérimenter un autre rythme et voir notre vie sous d'autres angles." Encore faut-il que le regard porté par le cinéaste soit juste, c'est-à-dire qu'il laisse seul le spectateur être juge, qu'il laisse parler les faits.

La création cinématographique est une aventure. Elle n'est jamais un long fleuve tranquille et elle n'atteint jamais la perfection: "D'où l'angoisse et l'humilité des vrais créateurs, c'est d'ailleurs à cela qu'on les reconnaît." Et, en même temps qu'elle est risque, elle est fondée sur la confiance. Fellini disait: "Je ne sais pas... mais je dois faire confiance."

C'est une lapalissade que de dire que le cinéma, ce n'est pas le théâtre. Et pourtant: "Il a fallu des décennies pour que les cinéastes comprennent que devant la caméra il faut "sous-jouer" au lieu de "sur-jouer"." Ce ne sont pas toujours eux d'ailleurs qui reçoivent la reconnaissance du public pour, par leur art, lui avoir permis de transcender ses besoins:

"Le public est souvent injuste ou ingrat. Il se souvient de ce qu'il a vu: les acteurs."

Jean Collet critique fait cet aveu qui l'honore: "J'ai mis longtemps à comprendre qu'il fallait parler de ce qu'on aime et renoncer à démolir ce qui mériterait pourtant de l'être. Il faut s'approcher tant que l'on peut de ce qui est beau et grand et qui nous dépasse. Et puis laisser s'écrouler ce qui ne résistera pas au temps."

Il ne faut pas pour autant tomber dans le relativisme et dire que "le tout est intéressant, tout se vaut, tout est égal"...

Francis Richard

(1) Molière fait dire à Dorante dans la scène VI de La Critique de l'École des femmes: "Je voudrais bien savoir si la grande règle de toutes les règles n'est pas de plaire."

L'art de voir un film - Entretiens avec Hervé de Bonduwe, Jean Collet, 174 pages, Hermann


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