#HubertReeves #écologiePublié le 02/08/2015
par Christian SeguinL’astrophysicien le plus populaire de France franchit le pas et décide de militer pour l’écologie
Hubert Reeves. Encarté nulle part, il se bat pour quelque chose, et non contre.© PHOTO ARCHIVES MICHEL AMATQ
uand Théodore Monod meurt, le 22 novembre 2000, Hubert Reeves ignore combien le savant naturaliste, l'explorateur érudit, l'arpenteur inusable des déserts va transformer sa vie. Le Rassemblement des opposants à la chasse (ROC), qu'il a cofondé en 1976, se déclare orphelin. Ses dirigeants envoient Nelly Boutinot voir Reeves. Ils cherchent une figure charismatique pour représenter le mouvement. C'est lui. Le vulgarisateur hors pair, qui n'a cessé d'inviter les Français sous la voûte céleste, entend désormais parler de la Terre ici-bas.Il accepte la charge, même si le nom de l'association lui déplaît. Il n'aime pas ce message négatif et ne se définit pas comme un opposant systématique à la chasse, dont il souligne le rôle dans la régulation du gibier. Ils conviennent d'ouvrir l'intitulé à des enjeux plus larges. Le ROC deviendra plus tard Humanité et Biodiversité.
DIMANCHE PROCHAINLe jour où
ALAIN JUPPÉ rencontre sa dame de cœur.L'astrophysicien vient de parcourir un long chemin d'émerveillement et de questionnement. Il a 69 ans. Et il suit, depuis le Canada et la France, la dégradation de la biosphère, en s'alarmant.
Écologiste sans parti
À 25 ans, il appartient à l'époque où l'empire américain domine le monde et le pacifie. Le mot « écologie » n'existe pas. Les bons sentiments de l'après-guerre l'emportent, même si, à New York, quelques personnes s'inquiètent de l'extension du parc automobile. L'euphorie laisse penser que l'énergie nucléaire gratuite va mettre fin à la pauvreté. Personne n'avance la thèse du gaz carbonique à l'origine d'un effet de serre. Il a 40 ans quand le réchauffement s'annonce, sans qu'on en identifie la cause. Quinze ans plus tard, Hubert Reeves, de conférence en conférence, commence à s'interroger. Les doutes s'accumulent. Peu à peu, le réchauffement désigne la responsabilité humaine. Les années 2000 enfoncent le clou. Il ne suffit plus de parler. Il découvre l'« une des rares idéologies qui ont du sens ». « Je me sens utile. Je bascule dans le concret. L'astronomie et toutes les sciences nous apprennent comment nous sommes venus au monde. L'écologie nous enseigne comment y rester dans de bonnes conditions. »En 2003, il écrit « Mal de terre » avec Frédéric Lenoir. Un bilan détaillé et très préoccupant des menaces qui nous cernent. À ses yeux, l'impact des activités humaines défie l'humanité, plus que la terreur nucléaire de la guerre froide. Le paisible conteur d'étoiles change de registre. « Le Soleil va s'éteindre dans 5 milliards d'années. Mais la détérioration planétaire peut se jouer en quelques décennies. » L'énergie nucléaire, à laquelle il a cru, hypothèque l'avenir. À nous l'énergie, à nos enfants les déchets.
Pas de dogmatisme
En 2001, ce n'est pas la première fois que l'astrophysicien aux yeux scintillants se fait tirer la manche. Son nom, sa caution ont beaucoup intéressé la gauche, la droite et les écolos. De Tapie à Le Pen, ils l'ont tous approché en vain, Le Pen l'inscrivant même dans son gouvernement idéal. Désormais, il milite, à sa façon de non-militant. Écologiste sans carte ni parti, à distance de tous les étiquetages, déçu souvent par le comportement des Verts français, ou par le comportement plus général qui pousse à solliciter les clans plus que les raisonnements.Il se bat pour quelque chose, et non contre, le vers de Hölderlin hissé haut. « Là où croît le danger croît aussi ce qui sauve. » Humanité et Biodiversité porte ses messages à la conférence environnementale conçue par Hollande, comme elle l'avait fait au Grenelle de l'environnement voulu par Sarkozy. Pas de dogmatisme.La stratégie vise à talonner les pouvoirs économiques et politiques pour leur rappeler les promesses non tenues. Elles ne manquent pas, comme ce report de la loi sur la biodiversité promise en 2013 par Hollande lui-même, et dont l'adoption avait été annoncée avant l'été. Dedans figure l'Agence de la biodiversité. Sollicité par Ségolène Royal, il a donné son accord pour la parrainer, à condition que l'on réfléchisse à y associer les Offices de la forêt et de la chasse.Mais l'urgence ne varie pas. Les voyants restent au rouge sur le réchauffement et le gaz carbonique. Hubert Reeves, sans rien céder à sa mission de vulgarisateur itinérant, court les collèges et les lycées. Désormais, on ne vient plus se nourrir d'écologie pour fuir les cours de maths. Il loue le réseau Oasis Nature, qui engage les citoyens à préserver l'environnement depuis leur jardin ou leur balcon, là où ils ont la main. Il se méfie du « greenwashing », le marketing des multinationales pollueuses qui s'achètent des habits verts. Quand on lui demande pourquoi le militantisme le prend à ce point, il répond qu'il a des enfants et des petits-enfants et qu'il s'inquiète beaucoup pour eux.
La maison de Saint-Louis
Il pourrait raconter le début de l'histoire, à Montréal, dans la maison du lac Saint-Louis, au confluent du fleuve Saint-Laurent et de la rivière des Outaouais. C'est là que la nature lui donne une enfance. En l'absence d'argent, l'instruction tient lieu d'héritage. Personne ne pénètre ce cercle austère. Mais il y a un trésor. Son père, Joseph-Aimé, représentant en chaussures pour femmes, l'emmène le soir avec ses deux frères et sa sœur contempler les constellations. Sa mère, Manon Beaupré, lance l'appel du coucher de soleil pour assister au spectacle. La grand-mère Charlotte Tourangeau lui montre comment extraire le sel d'une histoire à raconter.Hubert Reeves, rebelle à l'enseignement général, allergique à la masse, devient indépendant sous la Voie lactée. Comment comparer ? En peu de temps, les espèces en extinction, l'érosion de la biodiversité, l'épuisement des ressources, l'acidité des océans et les pesticides ravageurs semblent renvoyer cette enfance à la planète d'un autre temps. L'engagement, miraculeusement, le ramène au sens de ses apprentissages, à son éducation, à la terre plus heureuse et moins souillée de Joseph-Aimé et de Manon, que l'on contemplait de la maison du lac.
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