Série:
Voyages en Amertume
Titre:
La perle de Marka T1
Auteurs :
Clave (dessin), Dieter (scénario) et Alluard (couleur)
Editeur :
Vents d'ouest
Année :
1993
Pages
: 48
Résumé :
Kingsley
Bates est écrivain. Enfin, quand cette histoire commence, il est
juste un voyageur européen débarquant à Djibouti. Kingsley traîne
un lourd passé et, peut-être pour trouver une rédemption, se lance
sur les traces du romancier aventurier Henry de Monfreid. Voyage en
mer, soleil accablant et surtout choc des cultures et explosion des
illusions sont le programme de ce curieux premier tome de « Voyages
en Amertume ».
Mon
avis :
Dieter
nous offre une histoire qui garde une forme classique mais parvient à
se doter d'une touche d'originalité. Une sorte de road-movie
maritime sous le soleil des mers du sud ! Si le personnage principal
n'a rien d'exceptionnel - l'écrivain classique admirateur d'un autre
maître dans son domaine qu'il veut plus que tout rencontrer -, son
lourd passé est une des sources de surprises de ce récit. On
imagine sur les quelques images qui nous sont montrées une situation
et tout se révèle autre.
Par
contre, l'intrigue principale qui positionne Monfreid comme une
Arlésienne potentielle - « Il est ici, allons-y, ah, il n'est
plus là, on m'a dit qu'il est parti là-bas, bon allons-y ! »
- fonctionne un temps. Heureusement, ce ne sera pas le nerf de la
série et c'est tant mieux. Cette intrigue se résout donc dans ce
tome. Elle a néanmoins l'avantage de créer des conflits qui
nourrissent en rebondissements le voyage de notre brave Bates.
L'aspect
road-movie est assez entraînant, même si les rencontres s'avèrent
inégales et souvent déjà vues : Le vieil aveugle qui sait plus
qu'il ne voit, le lord Anglais perdu sur son île mais la situation
qui révèle Bates à lui-même et à ses principes ainsi que sa
résolution, donnent tout d'un coup toute sa force au récit. Je
regrette presque que cette tension mette autant de temps à arriver.
Ces « Voyages en Amertume » me laisse un petit goût amer
dans la bouche, celui d'avoir touché à une belle histoire originale
qui étouffe faute de place et de développements intéressants.
A
quoi cela est-il dû ? Le scénario aurait mérité plus de tension,
plus d'enjeux dans ce road-movie, moins de classicisme. Ce fameux
classicisme dont la fin s'affranchit avec brio. Il est difficile de
critiquer le travail d'un auteur qui a dû transpirer pendant des
mois sur son histoire. Je respecte ce travail mais j'ai l'impression
que le résultat n'est pas abouti. Peut-être aurait-il fallu plus de
pages également. Difficile de trancher car nous ne sommes pas dans
la tête de l'auteur et ne connaissons pas les événements liés à
cette création et les contraintes éditoriales.
Mais
heureusement, si le scénario présente quelques lacunes, le
graphisme est étonnant.
Clavé
a mis en image l'histoire de Dieter. Adoptant un style réaliste, les
personnages évoluent dans des décors tout aussi crédibles. Le
trait légèrement estompé permet de marquer la chaleur. La force du
travail du dessinateur est d'avoir réussi à garder un côté
crayonné, fusain, qui, joint au doux travail de couleur de Alluard,
donne un aspect caractéristique et magnifique au trait.
Comme
si la chaleur pesante et écrasante de ces latitudes créait une zone
de flou sur le dessin, le rapprochant de quelque chose de très
variable. Les personnages, les décors sont bien là, mais semblent
légèrement évanescents.
Les
couleurs se mélangent et parfois, la mer a des allures d'étendues
de dunes vertigineuses dans le soleil couchant.
Le
cadrage comporte trois à six bandes de une à quatre cases. Il varie
au fur et à mesure de l'avancée de l'histoire et les auteurs ont
oeuvré à ce qu'il serve au mieux les émotions de Bates.
Contrastant au maximum à la fin, où le choc que subit notre vieux
Kingsley est renforcé par une mise en page enchaînant des
classiques bandes de trois cases.
Le
découpage maintient Kingsley toujours droit, mais n'hésite pas à
faire basculer le monde autour de lui. Plongée, contre-plongée,
amorces bloquant le passage, tout est bon pour bousculer notre
écrivain qui cherche tant bien que mal à rester droit comme un I
dans ce monde de brutes et de tordus.
« Voyages
en Amertume » est une curiosité visuelle qui mérite le
détour. Cette BD rappelle qu'il y a des milliers de manières de
faire de la BD mais pas une de forcément meilleure que les autres.
C'est une nouvelle et fort belle approche que nous dévoile Clavé
ici, une approche qui m'a tellement marqué que lorsqu'à 7BD, nous
avons choisi d'évoquer le soleil et la canicule, les dessins de
Clavé sont immédiatement remontés à la surface de la mer de ma
mémoire ! Je n'ai pas hésité une seconde à vous parler de ce
récit où la chaleur moite et lourde est restranscrite d'une manière
délicieusement agréable.
Pour
la petite histoire, ce premier tome fut suivi de deux autres avant
que la série ne s'arrête.
Et
pour la grande histoire, Monfreid a tout ce qu'il faut pour être celui après qui on court dans ce
premier tome, sa vie étant parfois plus incroyable que ses écrits.
En effet, Monfreid (1879-1974) a bel et bien existé et son oeuvre la
plus connue reste « Les Secrets de la Mer Rouge », récit
d'aventures ayant marqué l'histoire de la littérature de voyage.
En
pus du livre accessible dans toutes bonne librairies, il nous reste
son adaptation télévisée qui fit les belles heures de FR3 –
rappelez-vous, F3 s'appelait ainsi il y a des années de cela -
et également ce curieux ovni de la chanson, sobrement baptisé « LaMer Rouge », de Gérard Manset
et pour la BD, cet étrange premier opus de « Voyages en
Amertume ».
Alors
oui, cette BD comporte des imperfections scénaristiques à mes yeux
mais ses dessins se sont gravés à jamais dans ma inconscient, alors
n'hésitez pas à y jeter vos deux yeux et si Kingsley Bates n'est
pas le plus charismatique des écrivains aventuriers de l'histoire,
il n'en restera pas moins graphiquement marquant !
Zéda
se confronte aussi à l'oeuvre de Monfreid !
David