David Marty
Traduit par Fausto Giudice Фаусто Джудиче فاوستو جيوديشي
Grâce à une faille dans la conception de l'euro, la Grèce pourrait quitter la zone euro sans trop de complications techniques ou juridiques.
Parfois, une période de récupération est nécessaire quand on s'engage sur des sujets aussi sensibles que la débâcle Tsipras / Eurogroupe de la semaine dernière. Surtout si on exprime des critiques sur Syriza.
Maintenant, quelques jours ont passé et beaucoup de blogueurs, auteurs, facebookers passionnés et autres graphomanes des réseaux sociaux se sont recentrés sur d'autres questions.
En effet, qu'y aurait-il à ajouter sur l'accord de renflouement qu'Alexis Tsipras a signé le 16 juillet? Pratiquement tout a été déjà dit pour leur défense, et pratiquement chaque acte d'accusation imaginable a été prononcé.
Toutefois, à ce stade de la crise de l'euro, nous autres Européens pourrions vouloir nous poser la question: y a-t-il une vie au-delà de l'euro? Et peut-être plus spécifiquement: Est-il possible de quitter l'euro pacifiquement et sans sombrer dans le chaos qui nous est promis depuis Bruxelles?
La plupart des gens croient que l'euro est une monnaie unique. Ceci est en fait inexact et les conséquences de cela sont incroyablement importantes. Une courte explication technique de l'Eurosystème, le système par lequel l'euro est réglementé, nous permettra de voir comment la Grèce pourrait en effet quitter facilement l'euro sans avoir à subir les difficultés inhérentes à des unions monétaires en bonne et due forme.
Le mythe de l'euro comme monnaie unique
Alors que la plupart des gens pensent que l'euro est une monnaie unique et même commune - principalement en raison du fait que les médias se réfèrent à lui comme tel – au sens où chaque euro serait un crédit sur la Banque centrale européenne (BCE) , qui à son tour émet des billets de banque et pièces de monnaie, le fait est que cela est un mythe.
Ce mythe a été maintenu en vie la plupart du temps par le biais de confusion à propos de la complexité de la question. Évidemment, personne, y compris votre serviteur, ne pourrait comprendre sans l'explication qui va suivre, comment le système monétaire européen travaille tout simplement en lisant la presse, même la section business.
Je n'aurai jamais pu arriver aux conclusions que je vais présenter ici sans l'aide et les enseignements de Vincent Brousseau, économiste français, ancien de la Banque ancienne centrale européenne (BCE), qui a passé 15 ans à Francfort avant de la quitter pour devenir un dissident à temps plein de l'euro et de l'UE.
Cette complexité combinée avec les timides efforts de la BCE dans sa pédagogie, explique aussi pourquoi les journalistes, politiciens et même les militants spécialisés dans les questions économiques passent à côté de l'essentiel quand ils parlent de l'euro et de l'Eurosystème
Je ne faisais pas exception avant que de tomber par hasard sur cette expertise, que j'ai pu ensuite confirmer par la lecture des textes juridiques correspondants et en consultant d'autres sources spécialisées.
Comment les systèmes monétaires fonctionnent ailleurs dans le monde ...
Dans les économies plus traditionnelles, à savoir les zones où sont en vigueur des devises nationales (alors que la zone euro est une zone de devises plurinationales), qui sont définis en fonction des frontières nationales - comme le Japon d'aujourd'hui (Yen), les USA (Dollar US), la Suisse (Franc suisse) ou tout pays européen avant l'euro (la peseta en Espagne, le Franc en France...) - la monnaie en question est une unité de paiement que les lois de ce pays exigent de quiconque en son sein d'accepter comme paiement valable en utilisant le taux de change donné.
Cette unité de paiement est donc un crédit sur la banque centrale du pays. Ce que cela signifie est qu'un dollar US est un crédit sur Réserve fédérale et une couronne suédoise est un crédit sur la Riksbank. (Cela ne se fait pas directement, mais tout simplement parce que les banques commerciales doivent ouvrir des comptes à la banque centrale en proportion du volume de dépôts qu'elles ont. Donc, chaque banque commerciale a son propre compte à la banque centrale correspondante).
Cela signifie que si vous avez un compte à la Bank of America à Austin, cette banque aura alors un compte correspondant à la Fed. En d'autres termes, vos dollars sur votre compte bancaire sont des crédits à la Banque centrale de votre pays. C'est de l'argent que la banque centrale de votre pays vous doit, même si vous êtes allé dans une banque privée pour ouvrir un compte et n'avez jamais mis les pieds au siège de la banque centrale.
Voilà comment cela fonctionne hors de l'Eurosystème, dans le monde «normal», pour ainsi dire. L'explication de ce qu'est une monnaie pour la monnaie traditionnelle est relativement simple. La complexité, ensuite, de tout système monétaire donné vient quand on aborde d'autres questions, la plupart du temps lors du passage de questions monétaires aux questions financières. En dehors de cela et dans le cadre de cet article ce n'est pas plus compliqué que cela.
Maintenant, quand on en vient à l'euro, il n'en est pas exactement ainsi, et la conception de l'euro nécessite une attention particulière pour tous ceux qui souhaitent comprendre ces questions cruciales avec d'énormes répercussions.
... et comment ça fonctionne dans l'Eurosystème
L'Eurosystème n'est pas un système monétaire de monnaie unique. C'est en fait un paquet de 19 devises différentes (une pour chaque État membre européen qui a adopté l'euro), chacune avec sa propre banque centrale, mais tout sous le même nom et avec un taux de change fixe de 1 à 1.
Chaque compte bancaire individuel dans ces différents types d'euros sont des crédits sur ses banques centrales respectives, tout comme les devises "normales" dans les exemples mentionnés plus haut.
Les euros dans les banques commerciales grecques sont donc un crédit sur la banque centrale de la Grèce, tout comme un compte en dollars US est un crédit à la Fed. Ce que cela signifie, de fait, c' est qu'il y a encore une monnaie française, appelée euro (français), un euro italien, un euro espagnol, etc., et bien sûr il y a toujours un euro grec. En effet, ils utilisent le même nom, mais ce sont des crédits auprès de différentes banques centrales.
Pour ajouter plus de complexité, il y a encore deux autres devises qui font partie de l'Eurosystème : l'une est faite de tous les comptes à la BCE, qui sont des crédits à la BCE, et l'autre est faite de tous les billets de banque, qui sont tous des crédits questions rata chez chaque banque centrale dans le système. Par conséquent, les lois de l'Union obligent toute banque centrale d'un pays au sein de la zone euro à accepter des billets donnés comme s'ils avait été émis par elle-même. Cela signifie que chaque billet est en fait un crédit sur l'ensemble de l'Eurosystème. Cela signifie qu'il ya une sorte de solidarité «forcée» entre les banques centrales.
La définition la plus courte pour l'euro compris comme tel est la suivante : l'euro est un système de monnaies homonymes, ce qui signifie qu'elles ont le même nom, avec un taux de change de 1.
Et comme le dit Vincent Brousseau : "Ceci est une question complexe, mais c' est tout. Si vous comprenez cela, vous comprenez tout à propos de l'euro". En effet, comprendre cela revient à tout comprendre, y compris sa principale faiblesse ...
La vulnérabilité de l'euro
Le maillon faible de ce système de devises réside dans l'obligation, par la loi, pour toute banque centrale dans la zone euro, d'accepter des euros provenant d'un autre «monnaie», c'est-à-dire des euros qui seraient des crédits d'une autre banque centrale. Cela signifie, par exemple, que la Banque de France est tenue par la loi d'accepter tous les "euros espagnols", ce qui signifie qu'elle ne peut pas refuser le flux d'euros qui seraient des crédits sur le Banco de España.
Cette obligation est la définition même de l'union monétaire européenne. C'est le cœur de la zone euro. En d'autres termes, suspendre cette obligation équivaudrait à la fin de l'union monétaire. Donc, pour le dire brièvement : pour quitter l'euro, il suffit à la Grèce de suspendre cette obligation et ce taux de change de 1. Cela signifie que c' est simplement une question juridique qui pourrait être traitée assez rapidement et sans drame, tout comme lorsque la Grèce a adopté l'euro il y a 14 ans.
Un défaut de conception au profit de la Grèce
Ce système aurait pu être pensé comme tout autre système monétaire préexistant à l'euro, mais il ne l'a tout simplement pas été. La raison pour cela est probablement due aux Allemands (pas seulement eux, mais surtout eux) qui désiraient laisser une issue de secours disponible au cas où le bâtiment très soigné et d'apparence moderne de l'UE prendrait feu et deviendrait une tour infernale. Les décideurs de Berlin peuvent être accuséss de beaucoup de choses, mais une chose est sûre, ce ne sont pas des non-conformistes.
Ce que cela signifie pour la Grèce, concrètement parlant, c'est que cet Eurosystème est, faute de meilleurs mots, un système monétaire prédécoupé similaires à ceux des livres de jeux pour enfants. La façon dont il a été conçu rend très facile pour tout gouvernement qui le souhaite de quitter la monnaie : quitter la zone euro en suspendant l'obligation d'accepter indéfiniment es euros et découpler la monnaie.
Tout ce que je l'ai décrit ci-dessus signifie que la drachme, en substance, existe déjà. Ce n'est rien de plus et rien de moins qu'une monnaie qui est rattachée à une autre ou, pour être plus précis, 20 autres monnaies. Le fait que nous l'appelions euro au lieu de drachme ne modifie pas le fond. En substance, les euros qui sont des crédits sur la banque centrale d'Athènes pourraient être appelés drachmes.
La Grèce pourrait quitter la zone euro et l'UE si elle le souhaitait
Bien sûr, ont dit et diront certains, quitter la zone euro sans quitter l'Union européenne n'est pas possible et ni légal. Cela est vrai, mais pour moi cela révèle encore un autre défaut de conception des traités de l'UE. En effet, il n'y avait aucune disposition à cet effet. Ce que les concepteurs avaient à l'esprit à l'époque était probablement que ce serait envoyer un signal fort aux investisseurs, aux politiciens et à l'opinion publique, que l'euro était fort et qu'il ne tomberait jamais. Ou plutôt, que s'il le faisait il ferait tomber alors l'ensemble de l'édifice, ce qui était impensable à l'époque.
Donc, si la Grèce le voulait, elle pourrait simplement appliquer l'article 50 du traité de l'Union européenne et se retirer. L'article 50 stipule que tout pays qui le souhaite peut quitter l'Union unilatéralement. Une période de deux ans commence avec la notification de retrait de l'État membre. Si aucun accord n'est conclu après deux ans, le Traité cesse automatiquement de s'appliquer à cet État membre.
Cela signifie que la Grèce pourrait quitter l'union si elle le souhaitait, qu'elle aurait alors deux ans pour préparer la transition et qu'aucun autre État membre, ni institution ne pourrait jamais empêcher que cela arrive si la Grèce voulait vraiment le faire.
De l'euro à la drachme
Juridiquement parlant, passer de l'euro à la drachme n'est ni plus, ni moins compliqué que ce fut de passer de la drachme à l'euro en 1999 (les billets de banque ont été introduits en 2001). C' est simplement une décision qui doit être prise par le Parlement à Athènes et ça n'est pas plus compliqué que de passer n'importe quelle autre loi au Parlement grec. Littéralement.
Techniquement parlant, étant donné que les euros existent déjà, en substance, les trois seules choses qui changeraient seraient le nom et le graphisme donnés à la drachme (à supposer qu'ils l'appellent drachme, ce à quoi aucune loi ne les oblige).
Habituellement, il y a des plans d'urgence qui ont ce type de détails en réserve, peu importe ce que l'ancien ministre des Finances, Yanis Varoufakis a pu dire dans des interviews précédentes.
Mais disons, à propos de l'argument qu'ils ne possèdent pas de représentation graphique de la nouvelle drachme: ils peuvent toujours prendre une période de 6-8 mois au cours de laquelle seraient utilisés des euros estampillés – des euros portant une mention tamponnée qui les transforme temporairement en drachmes - pendant que le gouvernement grec décide des détails techniques et des graphiques.
Le troisième et dernier changement par rapport à l'euro serait bien sûr le taux de change attribué à la nouvelle drachme. Ce serait là une décision souveraine qui devrait être prise par la banque centrale de Grèce. Bien sûr, on pourrait s'attendre à ce qu'elle dévalue considérablement sa monnaie. Mais cela sera l'objet d'un autre post ...
Images: Billets de nouvelles drachmes conçus par l'artiste grec Pavlos Vatikiotis
Merci à Tlaxcala
Source: http://www.telesurtv.net/english/opinion/How-Greece-Could-Leave-The-Euro-20150726-0015.html
Date de parution de l'article original: 26/07/2015
URL de cette page: http://www.tlaxcala-int.org/article.asp?reference=15507