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Shell fore contre vents et marées en Alaska

Publié le 18 août 2015 par Blanchemanche
#Shell #Alaska #forage #arctique
Pascaline Minet 18 août 2015
La plateforme pétrolière Polar Pioneer à son arrivée à Port Angeles dans l’Etat de Washington. Elle a depuis été transportée dans la mer des Tchouktches, au nord- ouest de l’Alaska. (Keystone)La plateforme pétrolière Polar Pioneer à son arrivée à Port Angeles dans l’Etat de Washington. Elle a depuis été transportée dans la mer des Tchouktches, au nord- ouest de l’Alaska. (Keystone)

La compagnie britannico-néerlandaise recherche du pétrole dans la mer des Tchouktches. Les organisations de protection de l’environnement redoutent des conséquences pour l’écosystème arctique

C’est le programme d’exploration pétrolière le plus suivi – et le plus décrié – du moment: depuis la fin du mois de juillet, Shell effectue des forages en mer des Tchouktches, au nord-ouest de l’Alaska. La compagnie britannico-néerlandaise espère y mettre la main sur de nouvelles réserves d’hydrocarbures, la région arctique étant supposée abriter 13% des ressources mondiales non découvertes de pétrole et 30% de celles de gaz naturel, selon une évaluation de l’Institut de géophysique américain (USGS). Mais le pari est jugé trop risqué par les organisations de protection de l’environnement, qui estiment qu’une marée noire dans cette zone reculée aurait des conséquences désastreuses sur l’écosystème.Après plusieurs programmes avortés au cours des années 1980 et 1990, Shell a fait l’acquisition de nouvelles concessions d’exploration dans l’océan arctique américain entre 2005 et 2008, sous l’administration Bush. Dix ans plus tard, et malgré les quelque 7 milliards de dollars investis par la compagnie, ces gisements n’ont pas encore livré la moindre goutte de pétrole. Une série de procès et de problèmes techniques a en effet ralenti les recherches. Elles ont toutefois repris cet été, à la suite de l’autorisation délivrée le 11 mai dernier par le Département de l’intérieur américain.Pour Shell, il s’agit maintenant d’aller vite: ses engins ne peuvent en effet opérer en mer des Tchouktches que pendant les quelques semaines où elle est relativement libre de glace, soit de juin à septembre. Deux plateformes y ont d’ores et déjà été déployées dont l’une, appelée Polar Pioneer, a commencé à creuser un puits le 30 juillet dernier. La réglementation américaine interdisait cependant à Shell de forer jusqu’aux éventuelles réserves de pétrole situées en profondeur avant l’arrivée dans la zone d’un navire brise-glace muni d’équipements d’urgence, le Fennica. «Ce navire étant sur place depuis une semaine, nous nous attendons à ce que le forage vers les couches de roches pétrolifères débute très prochainement», explique Michael LeVine, de l’organisation environnementale américaine Oceana.Comme d’autres organisations parmi lesquelles Greenpeace et Sierra Club, Oceana s’oppose fortement au projet de forage de Shell. Plusieurs actions ont d’ailleurs déjà été entreprises par des militants pour ralentir les opérations du pétrolier, comme au mois de mai lorsque des centaines de kayakistes ont tenté d’empêcher le Polar Pioneer de quitter le port de Seattle en direction du Grand Nord. Ces ONG redoutent les conséquences d’une fuite de pétrole en mer des Tchouktches et ne font pas confiance à Shell pour opérer avec sûreté dans cette zone soumise à des conditions climatiques extrêmes. Les vents peuvent y être très violents, et des blocs de glace dérivants menacent les installations. Sans parler de l’éloignement, qui compliquerait nettement une intervention de sauvetage. La zone prospectée se trouve à une centaine de kilomètres de la côte, dans une zone peu habitée. La base de garde-côtes la plus proche est située à environ 1 500 kilomètres de là.«Shell manque de préparation pour exploiter du pétrole dans la région arctique et le précédent de 2012 est là pour le démontrer», assène Michael LeVine. Cette année-là, la compagnie a connu une série de désordres techniques culminant avec l’échouage accidentel de la plateforme Kulluk, qui s’était détachée de son navire remorqueur. Malgré la présence de produits chimiques à bord, aucune pollution n’a été à déplorer. Le Kulluk a depuis été mis au rebut et la société propriétaire, Noble, condamnée à payer une amende.Avant d’autoriser la reprise des forages cet été, l’administration Obama a durci les conditions d’opération imposées à Shell. Elle a notamment imposé qu’un équipement spécifique permettant de bloquer une éventuelle fuite puisse être déployé dans la mer des Tchouktches en moins de vingt-quatre heures; c’est justement cet équipement qui vient d’arriver à bord du brise-glace Fennica. Par ailleurs, bien que Shell dispose sur place de deux plateformes de forage, le Polar Pioneer mais aussi le Noble Discoverer, la compagnie n’a pas été autorisée à les faire fonctionner de manière simultanée. En cause, les nuisances sonores occasionnées par ces installations éloignées l’une de l’autre de 14 kilomètres, qui pourraient perturber les morses et les ours blancs, déjà menacés par les changements climatiques.De son côté, la société Shell se veut rassurante. Sur son site Internet, elle met en avant «des décennies [de travail] dans les régions arctiques et subarctiques, par exemple en Norvège, en Russie ou en Amérique du Nord». Par ailleurs, les forages de la mer des Tchouktches sont effectués à moins de cinquante mètres de fond, quand ceux du golfe du Mexique atteignent 1 500 mètres sous la surface. Enfin, après les incidents de 2012, Shell a nommé une nouvelle responsable des opérations arctiques, Ann Pickard, et a revu ses collaborations avec des sociétés contractuelles. Quant au Kulluk, il a été remplacé par le Polar Pioneer, une plateforme ayant déjà effectué avec succès des forages au large de la Norvège – mais dont les mauvaises langues rappelleront qu’elle appartient à Transocean, la compagnie impliquée dans la marée noire de BP dans le golfe du Mexique en 2010.Reste maintenant à savoir ce qui ressortira des forages de cet été. Rien ne permet en effet de garantir que le site prospecté comporte bel et bien des hydrocarbures, tant que ceux-ci n’ont pas été mis au jour. Et ce n’est qu’à partir d’une certaine quantité de pétrole que leur exploitation pourrait s’avérer rentable. Outre le risque d’accidents, les ONG s’insurgent contre le fait de rechercher de nouvelles réserves de pétrole alors même que le monde devrait s’engager dans la lutte contre les changements climatiques. «Le fait que l’administration Obama ait autorisé ces forages n’est pas cohérent avec les engagements pris par le président en faveur du climat», s’indigne Michael LeVine. D’autant que si les forages de Shell se révèlent fructueux, ils risquent d’attiser l’appétit des autres compagnies pétrolières pour la région arctique.
http://www.letemps.ch/Page/Uuid/f924aed0-44f5-11e5-85d0-41b5fd577541/Shell_fore_contre_vents_et_mar%C3%A9es_en_Alaska?utm_source=newsletter&utm_medium=email&utm_campaign=generale-20150818

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