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On pourra trouver que le terme d'« écorcheur » est un peu outré pour peu que l'on vive à des années-lumière de la réalité grecque. C'est pourtant tout un pays qui est en train de se faire dépouiller au coin du bois de l'Europe par les grandes compagnies du Saint Empire romain germanique.
Oui, la crise grecque a largement profité à l'Allemagne d'Angela Merkel. Non, ce constat n'est pas tiré d'un journal au label hellène mais du Figaro, qui se fait l'écho du très sérieux et très classique Institut Leibniz d'études et de recherches économiques. Lundi 10 août, ce dernier a publié une étude qui souligne que nos amis d'outre-Rhin ont réalisé « plus de 100 milliards d'économies budgétaires » depuis le début de la crise en 2010. En effet, la peur du « Grexit » a précipité les investisseurs vers ce qu'ils considèrent comme le plus sûr : les obligations de l'Etat allemand. Ce faisant, les taux d'intérêt réels auxquels l'Allemagne emprunte sont inférieurs à 0 %. Voilà pourquoi « ces économies dépassent le coût engendré par la crise, et ce même si la Grèce ne remboursait pas entièrement sa dette, commentent les économistes. L'Allemagne a donc dans tous les cas profité de la crise grecque. » Tout cela n'empêche nullement la majeure partie de la classe politique allemande d'entonner en vrais maîtres chanteurs ce refrain : « Ich will mein Geld zurück ! »
Après le temps des rançonneurs, voici venu celui des équarrisseurs, des dépeceurs, des écorcheurs de peuple. Ceux qui n'ont pas encore connu les programmes de Najat Vallaud-Belkacem se souviendront peut-être de ce qu'il advint dans la mythologie grecque au malheureux Marsyas. Pour avoir laissé entendre qu'il pouvait rivaliser avec le dieu Apollon, ce dernier lui lança un défi impossible à relever : il lui fallait à la fois jouer de la flûte et chanter dans le même mouvement. Bien sûr, Marsyas n'y parvint pas et pour bien montrer aux autres créatures que l'on ne pouvait impudemment le contredire, le dieu se vengea en l'attachant à un pin avant de l'écorcher vif et de clouer sa peau près d'une grotte. Jouer de la flûte et chanter en même temps, quelle idée ! C'est un peu comme si on lançait comme défi à une nation de sacrifier à la fois à l'austérité et de produire de la croissance.
C'EST TOUT UN PAYS QUI EST EN TRAIN DE SE FAIRE DÉPOUILLER AU COIN DU BOIS DE L'EUROPE PAR LE SAINT EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE.
On trouvera peut-être que le terme d'« écorcheur » est un peu outré pour peu que l'on vive à des années-lumière de la réalité grecque. C'est tout un pays qui est en train de se faire dépouiller au coin du bois de l'Europe par les grandes compagnies du Saint Empire romain germanique. Car, au-delà de ces gains économiques, l'Allemagne en a également profité dans le secteur commercial. C'est encore le Figaro - et non Libération -, décidément, qui nous le révèle : « Le pays a raflé d'importants contrats lors des privatisations menées tambour battant par Athènes depuis 2011 en échange de l'aide financière des Européens. » Exemple : la société aéroportuaire allemande Fraport, associée à un entrepreneur grec, a notamment décroché le rachat de 14 aéroports régionaux grecs (sur 39), dont certains très touristiques comme Corfou, pour environ 1 milliard d'euros. Et ce n'est pas fini ! Suivant un document obtenu, mercredi 12 août, par l'agence Reuters, une série de privatisations de ports (Le Pirée, Thessalonique) ou du réseau électrique est prévue. Il ne restera bientôt plus que le petit port de l'Athos à échapper aux repreneurs en Birkenstock et chaussettes.
Pendant ce temps, Daniel Cohn-Bendit sirotant une retraite libérale-libertaire bien méritée vient de livrer à Libération du haut de sa thébaïde les ultimes secrets de sa Weltanschauung. Il nous explique ainsi que le grand problème de l'Europe est le « souverainisme démocratique national » et qu'il est temps de « dépasser l'Etat nation » via un saut fédéral dans une Union européenne encore plus bureaucratique. Du Habermas en kit idéologique pour les sociétaires perpétuels de Boboland. Accordons que ce raisonnement n'est pas dénué de logique pour tous ceux qui ne souhaitent pas être incommodés par les hurlements des Marsyas que l'on écorche. Accordons aussi que, dès lors qu'il faut écraser dans l'œuf toute politique alternative, rien n'est meilleur que d'empêcher les peuples d'exercer leur souveraineté. Cohn-Bendit est devenu un permanent de cette « surclasse » jadis prophétisée par Jacques Attali et dont Bernard Maris nous disait dans son dernier entretien à Marianne qu'elle vit, perpétuellement jetlaguée idéologiquement, en « lévitation », au-dessus des peuples et de leurs problèmes réels.
Joseph Macé-Scaron
Samedi 15 Août 2015