24/08 | 06:00 | Par Joel COSSARDEAUX
Le militant écologiste craint que les engagements qui seront pris à la COP 21 ne soient pas à la hauteur des enjeux. Pour lui, les pays les plus riches et les plus émetteurs de CO2 doivent financer l'adaptation au changement climatique.
A trois mois de la conférence de Paris sur le climat, percevez-vous les premières lueurs d'un accord ?
Il n'y a pour l'instant qu'une chose dont on peut être sûr : quelle que soit l'issue de la conférence de Paris, vous aurez 195 engagements chiffrés, ce qui est inédit dans l'histoire de la communauté internationale. Mais je crains qu'ils ne soient pas à la hauteur des enjeux. En même temps, rien n'est joué. A ce stade mieux vaut être inquiet, plutôt que trop optimiste et se prendre finalement une douche froide, comme à Copenhague.Quelles sont les conditions du succès ?
Elles sont entre les mains des pays les plus riches et les plus émetteurs de CO 2. Tout d'abord donner un prix au carbone avec des montants progressifs qui convergeraient dans le temps vers un prix unique. C'est ce qu'on appelle le « corridor du carbone ». Il faudrait aussi que ces mêmes Etats fassent basculer progressivement, mais rapidement, vers la transition énergétique les 650 milliards de dollars de subventions annuelles allouées aux énergies fossiles. Ils doivent aussi s'engager sur une taxe sur les transactions financières dont la recette serait exclusivement affectée à l'aide au développement et à l'adaptation au changement climatique. Enfin, ils doivent investir massivement dans les technologies propres pour créer le marché, faire baisser les coûts et les rendre accessibles aux pays vulnérables. Ce n'est qu'ainsi que l'on pourra entrer dans une économie bas carbone, répondre au défi climatique et regagner la confiance des pays du Sud.Ce n'est pas gagné…
Peut-être, mais ça vaut bien plus que toutes les proclamations du monde. A quoi bon promettre à l'Afrique de l'aider quand on n'a pas l'argent ? A quoi sert d'annoncer des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre par deux ou par quatre si les aides aux énergies fossiles sont maintenues ? Si les Etats les plus émetteurs s'engagent à créer ces quelques outils, le reste du monde suivra. C'est leur responsabilité historique. Tant qu'ils ne l'assumeront pas, il n'y aura pas la confiance nécessaire pour faire adhérer les autres pays.Cette taxe sur les transactions financières est un vieux serpent de mer. Vous y croyez vraiment ?
Onze pays européens y travaillent et pourraient aboutir dans les prochaines semaines. Ce serait un beau signe avant Paris. Car si on ne sort pas de l'orthodoxie financière, comment voulez-vous répondre aux besoins d'adaptation et de développement des pays les plus vulnérables, qui payent les effets pervers de notre modèle de croissance ? A partir de 2020, il faudra mobiliser au minimum 100 milliards de dollars par an. Mais on ne les a pas. En attendant de pouvoir lever la ressource correspondante dans les paradis fiscaux, ce qui prendra du temps, levons une taxe sur les transactions financières. Affectons la recette aux projets portés par ces pays et non à leur Etat pour éviter la corruption. Toute l'équation de Paris se résume à ça. Si nous ne réussissons pas à la résoudre, nous irons dans le mur.Le processus onusien de négociation, critiqué pour sa lourdeur, peut-il suffire à la tâche ?
Ce processus a le mérite d'être permanent. Mais la marge de manoeuvre des négociateurs et des délégations des pays est limitée. Ils sont 195. Cela réduit les possibilités de trouver un compromis. Les seules avancées ne peuvent s'opérer qu'à un haut niveau de responsabilité politique. Si Barack Obama, François Hollande, Xi Jinping ou Dilma Rousseff estiment vraiment, comme ils le déclarent, que l'avenir de l'humanité est en jeu, est-ce incongru d'imaginer qu'ils s'enferment plusieurs jours dans un même lieu et n'en sortent qu'après avoir trouvé une solution ? Cela permettrait de déverrouiller, quasiment du jour au lendemain, des négociations sur le climat qui sont d'une extrême complexité.Les sommets de grands chefs d'Etat, comme le dernier G8, ne servent à rien ?
Je ne dis pas que cela n'a servi à rien, mais cela n'est pas satisfaisant. La conférence d'Addis-Abeba, en juillet, devait lier l'aide au développement et l'aide à l'adaptation au changement climatique. Cette question des financements, cruciale, n'est pas réglée à ce jour. On n'y met pas l'ambition nécessaire. Tant qu'on restera dans les schémas et les codes financiers actuels, il n'y aura pas l'argent. Pourquoi ne pas faire comme lors de la crise financière de 2008 ? Le FMI avait émis des droits de tirage spéciaux, une sorte de création monétaire qui a rendu des liquidités aux banques. Pourquoi ne pas prêter également à taux zéro et sur des très longues durées aux pays pour développer les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique ? Ce n'est pas de la dépense, mais de l'investissement, et cela permet d'être moins dépendants de l'extérieur, de réaffecter de l'argent à l'éducation, la santé, la formation. Car l'énergie générée par le soleil, le vent et la mer n'est pas importée.La France se veut exemplaire. L'est-elle ?
Notre « French bashing » permanent est un peu stérile. L'Europe est plutôt en pointe et, en son sein, la France est plutôt leader. La loi sur la transition qui vient d'être adoptée est ambitieuse et historique. Elle trace une trajectoire pour le prix du carbone. Nous sommes l'un des seuls en Europe à l'avoir fait. C'est exemplaire.Exemplaire sur tous les sujets ?
Je ne dis pas cela. Il reste beaucoup d'incohérences. Notre mode de production agricole doit être revisité. Le traité Tafta va faire sauter nos barrières sociales et nos barrières environnementales et c'est un grand danger. Ce qui était nécessaire hier ne l'est plus aujourd'hui et on ne l'a pas encore compris. L'avenir n'est pas dans un nouvel aéroport. Ce n'est pas là qu'il y aura de l'emploi. Il faut aller plus loin dans l'économie circulaire. La mutation qui s'amorce sera longue car nos élites, gauche et droite confondues, n'ont pas été nourries et éduquées à l'ère de la rareté et de la vulnérabilité. C'est pourquoi je suis à la fois exigeant et indulgent.Diriez-vous que le regard des représentants du monde économique et des affaires est en train de changer ?
Oui et les politiques n'ont même plus l'excuse de s'abriter derrière eux. Il suffit de voir six grandes compagnies pétrolières réclamer la fixation d'un prix du carbone. Leurs dirigeants sont tout simplement réalistes. La question, pour eux, n'est pas de savoir si le monde va basculer dans une économie bas carbone, mais quand et à quel rythme. Ils ont besoin de connaître la trajectoire claire et précise du prix du carbone, être sûrs que les règles du jeu ne seront pas modifiées en route. Leurs investissements en dépendent. La fiscalité écologique ne leur fait pas peur, sauf si elle est additionnelle. Le Medef et certains syndicats sont sur la même ligne pour estimer qu'en contrepartie la fiscalité du travail pourrait être soulagée. Il y a donc des points d'accord et de convergence. Mais encore faut-il sortir des postures et que les politiques s'écartent des chemins battus.Sur le nucléaire, n'est-on pas aussi resté dans les postures ?
On a eu l'intelligence, dans la loi sur la transition énergétique, de ne pas en faire un point de crispation. Chacun a su mettre de l'eau dans son vin. Mon avis est assez médian et il n'a jamais varié. Je ne suis pas favorable à l'énergie nucléaire, mais le fait est que la France l'a développée. On peut l'utiliser mais juste pour opérer une transition douce et ne pas risquer la rupture d'approvisionnement. Nous devrons baisser mécaniquement sa part. Faisons le intelligemment. Le nucléaire n'est pas la bonne réponse au réchauffement climatique, Pour l'empêcher, il faudrait construire une centrale tous les 15 jours pendant cinquante ans. A ce rythme, vous transformez des probabilités d'accident majeur en certitude. Donc c'est « no way ».Le fonctionnement des institutions est-il adapté à tous ces enjeux environnementaux ?
Ce n'est déjà pas le cas des grandes assemblées mondiales qui, en fait, sont la somme d'intérêts nationaux. Il faut créer une organisation mondiale des biens communs : ressources alimentaires et naturelles, équilibres climatiques, terres arables. Ces biens sont inaliénables et doivent être soustraits à la spéculation. Nos démocraties ne sont pas, non plus, adaptées aux enjeux du long terme. Le futur n'est pas représenté dans nos institutions, et celles-ci sont très mal adaptées à la démocratie participative. Les procédures de concertation sont cousues de fil blanc. On n'écoute pas les experts.Comment combler ce déficit démocratique et gérer les crises type Sivens ?
Le Cese, dont les avis sont très documentés et qui travaille de façon apaisée, pourrait être transformé en chambre du futur. Pourquoi ne pas la doter d'un droit de pouvoir suspensif si un projet ne respecte pas le principe de précaution ? Il faut aussi une loi sur la démocratie participative. Faire en sorte que ses dispositions aboutissent à ce que tout le monde se plie, à un moment ou à un autre, à la décision prise, quelle qu'elle soit. Mais que nos décideurs ne soient même pas obligés de motiver des décisions qui remontent à plusieurs années est tout à fait anormal.Pensez-vous que le chef de l'Etat est converti à l'écologie ?
C'est une question qu'il faudrait lui poser. Mais il y a partiellement répondu en reconnaissant n'avoir plus la même lecture de ces sujets qu'il y a trois ans. C'est une sorte d'aveu sincère. Le fait d'avoir accepté d'accueillir la Conférence climat à Paris s'est naturellement traduit par une implication personnelle dans le temps dans ce dossier. Il en a découvert l'importance, la complexité et la pertinence. Et tiré une forme de conviction.Cette conviction, l'estimez-vous solide ? Notamment sur l'arrêt des aides aux investissements dans les énergies fossiles ?
Je dois convaincre en permanence. Sinon je ne ferais pas mon boulot. Mais c'est chez François Hollande que je rencontre le moins de résistance. Sur le sujet que vous évoquez, s'il y a des tentatives de retour en arrière, elles ne viennent pas spontanément de lui, mais d'autres cercles qui le cernent, comme moi. Je ne vous détaillerai pas l'action des lobbies qui m'entourent, mais il doit avoir affaire aux mêmes. A un moment ou à un autre, dans l'exercice et la fulgurance du pouvoir, le doute peut s'installer. Mon rôle est de faire en sorte que l'on ne recule pas. Le charbon et le pétrole, c'est l'ennemi. Et on sait faire autrement avec les énergies renouvelables.Joël Cossardeaux
http://m.lesechos.fr/idees-debats/n-icolas-hulot-la-reussite-de-la-cop-21-est-entre-les-mains-des-pays-les-plus-riches-021230912529.htm