J’ai rêvé cette nuit que j’attaquais un salon Jean-Louis David avec un char d’assaut et un lance-pierre, plus une paire de ciseaux au cas où les deux autres s’enrayent, et que je vengeais 20 ans de quolibets déplacés, rendant enfin aux chauves l’honneur et le respect qui leur incombaient après la disparition de Fabien Barthez et de Moby des radars du glamour capillaire. Un carnage dans un salon de coiffure de province qui me rendrait enfin gloire et célébrité, ayant préalablement pris soin d’écrire un testament-scénario sur mes traumas enfantins, cette terrible hérédité chevelue comme unique héritage paternel, la haine des coiffeuses qui jacassent pour ne rien dire en postillonnant leurs inepties météorologiques sur votre nuque la chute boursière irrémédiable, les chinois, Secret Story, tout ça , tout ça, afin de trouver grâce aux yeux de producteurs de télé-réalité avides d’histoires magistrales comme seules les morgues américaines en regorgent. Mais il n’y avait que deux personnes présentes au moment où je pénétrais dans l’officine : une femme de ménage sournoise et poilue qui me pulvérisait de la laque au visage au son de Kenji Girac et un enfant très capricieux et très laid qui ressemblait à Nicolas Sarkozy. Je me réveillais en sueur. Je savais que je n’aurai pas dû lire Paris-Match avant de m’endormir.
Mais, pour revenir d’Espagne, ne plaisantons pas trop au sujet des coiffeurs, dans un pays qui a vu les derniers fermer en même temps que le franquisme, cette promesse de bonheur trop tôt avortée. Depuis, permanentes, mulets, décolorations à l’eau oxygénée et rouflaquettes restent le quotidien d’un peuple qui fait même marrer les allemands. C’est dire. Un peu comme si le Zohan de « Rien que pour vos cheveux » sévissait dans tout le royaume depuis 40 ans. Les espagnols sont-ils plus malheureux pour autant ? Non, car ils sont raccords avec leurs fringues et leurs chaussures, dans un pays qui comptent plus de magasins de pompes (funèbres) que de boulangeries en France. La salopette et le sarouel y dévastent la jeunesse au-delà des cracheurs de feu. Le terrorisme n’a pas seulement engendré l’ETA, mais également Desigual ou Custo.
On trouve aussi nombre de merceries, boutiques de mariages et autres négoces de bondieuseries que l’on croirait construits lors de l’arrivée des premiers catholiques dans ce beau pays arabe. Comme si le temps s’était figé dans les années 70. Les grands-mères en blouses sentent l’eau de Cologne et la sardine, la douceur des étés andalous ne semblent pas atteinte par la frénésie en 4G d’un monde occidental en surrégime. La vie est belle en somme, et l’on ne saurait que trop envier un peuple qui a donné Iniesta, Dali, Picasso, Velasquez, Goya, Miro ou Enrique Iglesias à la culture moderne, dont les filles aux cheveux de jais surveillent moins leur ligne que celles de leurs pêcheurs de maris, dont la pop-musique ferait passer la variété italienne pour de la musique de chambre et qui aime tant se costumer en habits traditionnels avant de se murger à la sangria aux portes des églises pour oublier le ridicule et approcher Jésus lors de ses come-back aux semaines saintes.
Ce pays fier, respectueux de ses coutumes ancestrales, ne renâcle pas pour amuser les enfants à lâcher quelques bovidés testostéronés sur les passants étourdis, dont certains finissent encornés, comme les churros. A Barcelone, où le sens commun est moins tourné vers la barbarie que vers le commerce, les arènes où l’on massacrait autrefois les taureaux locaux, se sont transformées en centre commercial où l’on attire désormais les bœufs du monde entier. D’autres iront préalablement s’entasser sur les plages luxuriantes de Benidorm, cité balnéaire copiée sur des villes sibériennes ou polonaises. Une certaine idée de l’enfer. Des centaines de dauphins et de méduses viendraient d’ailleurs ici chaque année pour mourir, comme aveuglés par tant de laideur, que les architectes du Cap D’Agde n’avaient même pas envisagé.
Quant aux bons coins, je les garde pour moi. J’y construirai plus tard une hacienda de chaux blanche à l’ombre des fantômes de Sergio Leone et de Cervantès, d’Orson Welles ou Hemingway venus ici chercher un petit supplément d’âme. D’ailleurs ne dit-on pas ici que l’amour est comme un bol de gaspacho, suave et rafraîchissant. Mais que si on en abuse trop ça pique un peu l’anus. J’ai déjà appris à dire « Hola », « Donde esta la calle de la prostitucion ? » et « Quanto es ? ». J’attends désormais le retour de la croissance pour bâtir des châteaux en Espagne. Elle arrive. 1900 chanceux ont déjà retrouvé un travail en France. Je vais passer mon C.A.P coiffure.
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