30 AOÛT 2015 | PAR CHRISTIAN SALMON
Il y a une semaine, l'ex-ministre grec des finances Yanis Varoufakis était en France à l’invitation d’Arnaud Montebourg. J’ai eu la chance de le rencontrer, une occasion de dépasser le personnage-écran, narcissique et provocateur, que les médias ont construit et véhiculé dans le but de le décrédibiliser. C'est un homme chaleureux, ouvert à la discussion et préoccupé non seulement par l'avenir de son pays mais par celui de l'Europe.Avec son crâne rasé, sa veste en cuir et ses chemises bleu électrique, il a fait irruption sur les écrans du monde entier comme un personnage d’une série TV, larger than life, une sorte de “House of Cards” à l’européenne au cours de laquelle les formes et les exigences de la délibération démocratique ont été sacrifiées par les médias à la dramaturgie des événements et aux exigences purement narratives de l’intrigue. Dans cette nouvelle saison de la crise grecque, “It’s the romance not the finance” (c’est la romance pas la finance) qui a fait les beaux jours et les audiences de la médiasphère (lire Grèce contre Europe: la guerre des récits). Mais au-delà du personnage-écran, narcissique et provocateur, que les médias ont construit et véhiculé, qui est Yanis Varoufakis ?Les médias l’ont d’abord adoré. Comparé à Bruce Willis par la chaîne publique de TV allemande ZDF, félicité pour sa « virilité classique » par Stern, qualifié de « sex icon » par le journal Die Welt proche des milieux conservateurs d’Angela Merkel, Varoufakis a fait l’unanimité des médias qui ont reconnu en lui un « intéressant personnage », une story. La palme revint au magazine Stylebookqui fit ce commentaire : « Son style cool est quelque chose que vous ne pouvez pas manquer », sous le titre : « Pauvre mais sexy ! ». Mais les négociations se durcissant, les commentaires ont changé, son look n’était plus si cool, on lui trouva soudain des airs de « videur de boîte de nuit ». « Les tenues décontractées qu’affiche M. Varoufakis, affirmait The Financial Times, vont bien au-delà d’une question de style. Elles symbolisent le message selon lequel Syriza, le parti de la gauche radicale au pouvoir à Athènes, est un mouvement anti-establishment dont l’intention est de défier l’orthodoxie dont l’Allemagne est le chef de file. » La responsable de la rubrique “Fashion” du Guardianobservait que le style de Varoufakis a marqué les esprits à Londres. « Une veste en cuir et une chemise jazzy, ce n’est pas une tenue habituelle pour une réunion internationale des finances »…Les semaines passant, les éditorialistes ne tardèrent pas à percevoir le danger de la « Varoufmania » naissante. Le nouveau ministre des finances grecs était en train de devenir un héros populaire. Le duel Varoufakis/Schäuble (le ministre allemand de l'économie) menaçait de tourner à l’avantage du premier. Car tout opposait les deux ministres des finances : la génération, le style, la « culture » politique. L’héritier d’Helmut Kohl était le survivant d’une génération politique disparue pendant que son collègue grec incarnait l’avenir et s’affichait avec Barack Obama. L’inflexible Dr Schäuble défendait les intérêts nationaux de l’Allemagne quand Varoufakis parlait au nom de l’Europe. L’un, rugueux et minéral, appartenait à la galaxie Gutenberg, coulé dans le marbre de l’expérience vécue. L’autre à la planète Internet, mobile, flexible, adaptable…Wolfgang Schäuble et Yanis Varoufakis © ReutersOn pourrait multiplier à l’infini le jeu des oppositions, un contraste saisissant entre deux univers narratifs, une caractérisation idéale pour un scénariste. Plus les nécessités de l’intrigue s’imposaient, plus s’éloignait la perspective d’un compromis. L’arbitrage entre des intérêts contradictoires s’effaçait au profit d’un affrontement fictif qui échappait aux lois de la négociation pour obéir aux lois d’une intrigue dont la résolution ne pouvait être que le triomphe du vainqueur et l‘humiliation du vaincu.Le ton changea brusquement. Ce qui était surprenant devint déplacé. Le radical chic céda la place au « choc Varoufakis », le « cool » devint une faute de goût sur la scène très « policée » des « institutions ». On alla jusqu’à diffuser sur une grande chaîne allemande une vidéo où il faisait un doigt d’honneur à l’intention des Allemands. Varoufakis au pays du fake ! « Pas les mêmes codes, pas les mêmes référents, pas les mêmes manières de se comporter… », trancha la correspondante du Monde à Bruxelles : « Le look très rock de M. Varoufakis, son côté Bruce Willis – crâne rasé, carrure athlétique, chemise ouverte et col de veston relevé –, avec l’air de monter sur le ring à chaque fois qu’il arrive aux réunions de l’Eurogroupe, le dessert. »Comment cet homme qui a fait irruption sur la scène médiatique il y a moins d’un an a-t-il attiré tant de haines de la part des dirigeants européens et des médias dominants ? Quel genre d’homo politicus est-il ? Est-ce un brillant économiste égaré dans la politique ? Un piètre négociateur qui a échoué à convaincre ses partenaires européens ? Un donneur de leçons ? Un provocateur comme l’ont décrit à longueur d’articles les médias dominants ? Comment distinguer l’homme réel de l’homme fictif ? Varoufakis de son fake ? Est-il un excellent économiste mais un mauvais politicien selon les mots d’Alexis Tsipras dont l’histoire dira s’il fut un meilleur politicien ? Un marxiste hétérodoxe comme il s’est défini lui-même dans un essai autobiographique écrit bien avant sa nomination et publié par The Guardian en février dernier ? Pourquoi cet homme qui a fait irruption sur la scène médiatique voilà moins d’un an a-t-il attiré tant de haines de la part des dirigeants européens et des médias dominants ? Qui a peur de Yanis Varoufakis ?Je voudrais dans cet article tenter de répondre à ces questions. Pour cela, il faut bien sûr chasser les fantômes, débrancher les écrans et faire un sort aux images médiatiques et aux fausses rumeurs qui ont pollué son action pendant les cinq longs mois de la guérilla médiatique qui l’a opposé aux représentants actuels de l’Union européenne. Mais pourquoi s’y attarder ? Les lecteurs de Mediapart sont bien informés et savent ce que valent ces figures imposées… Pour comprendre quel genre d’homme politique est Yanis Varoufakis, il ne suffit pas de tourner le dos au personnage public construit par les médias. Il faut tenter de comprendre son rapport à la politique au-delà de la fonction ministérielle qu’il a exercée pendant cinq mois.