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La piraterie en Méditerranée du 12ème au 1er siècle av. J.-C.

Par Lebon Ecu @lebonecu

La piraterie, contrairement à ce qu’on pourrait croire, ne s’est pas développée à l’époque moderne, mais existait déjà durant l’Antiquité, notamment en Méditerranée.

La Méditerranée était alors dominée par plusieurs peuples pratiquant la piraterie : les Tyrrhéniens et les Illyriens, dont les ports étaient établis sur les côtes dalmates et protégés entre les îlots rocheux nombreux en cet endroit. Les Illyriens, particulièrement, disposaient de navires à rame et à voile rapides, effilés, pontés, les liburnes. Par la suite, c’est le peuple des Ciciliens qui, dès le 12ème siècle av. J.-C., devint maître de la piraterie méditerranéenne. La capitale pirate de Cilicie, entre l’Anatolie et la Syrie, était la cité de Coracesium (aujourd’hui Alanya), également protégée par des chapelets d’îles.

Les succès des pirates antiques étaient dus à la rapidité de leurs vaisseaux et à la (mauvaise) surprise de leurs attaques. Egalement, les pirates devaient leur succès à un important réseau d’espionnage qui les informait des mouvements des navires potentiellement abordables, de leur trajet, de leur cargaison…

Si on peut croire que ces pirates étaient des hors-la-loi, eux-mêmes ne se considéraient pas (et n’étaient pas considérés comme tels). En effet, aucune loi, aucune frontière n’avait été établie sur la Méditerranée. Les pirates antiques, durant les quelques siècles av. J.-C., disposaient d’un véritable prestige, quasiment inapprochables, indomptables, se réclamant de tel ou tel souverain. Certains souverains méditerranéens n’hésitèrent pas à faire alliance avec les pirates, faute de pouvoir les combattre de façon effective. En leur assurant une certaine protection, les souverains en retiraient une aide profitable. On peut citer l’exemple de Démétrios Poliorcète (général et monarque macédonien) lors de son attaque de Rhodes en 305 av. J.-C., ou encore de Philippe V de Macédoine (né en 238 av. J-C., mort en 179 av. J.-C.), allié à une flotte de pirates également contre Rhodes. Egalement, Chypre, l’Egypte et la Syrie établirent d’étroites alliances et de protection avec les pirates méditerranéens. Ces alliances, si elles permettaient aux souverains de bénéficier d’une force de frappe supplémentaire, n’empêchaient toutefois pas les pirates de s’en prendre aux navires de leurs alliés. Les pirates s’en prenaient en toute impunité aux navires des grandes civilisations contrôlant la Méditerranée, comme les navires phéniciens, égyptiens, ou romains.

Il faut attendre le début du premier siècle av. J.-C. pour qu’une véritable intervention face aux pirates soit engagée, de la part des Romains. Dans un premier temps, cette intervention si fit indirectement : Rome demanda aux gouvernements chypriote, égyptien et syrien de cesser d’apporter protection et aide aux forces pirates. Puis, dès les années 80 av. J.-C., Rome lança la première attaque directe contre les pirates de Cilicie, dominant alors totalement la Méditerranée. La République romaine envoya en effet une flotte dirigée par le consul Publius Servilius Vatia Isauricus à Coracesium, capitale de la piraterie cilicienne. La cité fut attaquée et la forteresse du chef pirate Zénikétès fut réduite en cendres, victime de la force de Rome, cette dernière étant persuadée d’avoir vaincu la menace pirate. Mais ce n’était pas le cas, et l’attaque de Coracesium ne fit que développer encore plus la piraterie. En 72 av. J.-C., le chef pirate Héraclon lança une attaque surprise contre une flotte romaine postée à Syracuse (Sicile). Cette flotte romaine, dont la mission était de pourchasser les derniers pirates, fut anéantie par ceux qu’elle devait éradiquer. Egalement, les forces pirates attaquèrent les forces romaines en Crête, ainsi qu’en Italie (dans la baie de Naples, et également à Ostie, port de Rome).

Le prestige des pirates se renforce alors, à tel point que le Roi du Pont Mithridate VI Eupator, régnant sur le sud de la Mer Noire, fit appel à eux contre les Romains. Longtemps, Rome fut tenue en échec, jusqu’à ce que tous les pouvoirs soient donnés par le Sénat à Pompée (Loi Gabinia, 67 av. J.-C.) afin d’éradiquer les pirates de la Méditerranée, définitivement. Pour cela, Pompée prit le commandement de vingt légions, soit 120 000 soldats et 500 navires, dont certains appartiennent aux cités alliées de Rome. Les ennemis pirates étant répartis sur toute la Méditerranée, Pompée décida de diviser ses forces en treize escadres, chacune de ces escadres étant affectée à un secteur de la Méditerranée et devant patrouiller d’Ouest en Est, alors que les sorties de la Méditerranée sont verrouillées. Ainsi, les forces pirates se retrouvent bloquées de toutes part, pris en étau sur leur propre terrain par les forces romaines. Deux possibilités s’offrent alors aux pirates : soit attaquer en mer sans avoir aucune chance de s’en tirer, soit débarquer sur la terre ferme et se retrouver à la merci des forces terrestres romaines. Le seul véritable espoir serait d’atteindre les refuges pirates de la Méditerranée Orientale, au cœur de détroits et d’archipels nombreux. Une partie des pirates parvient effectivement à se regrouper autour de Coracesium. Mais dès lors, plus efficaces sur mer, les pirates sont bloqués sur terre et sont beaucoup moins efficaces contre les forces terrestres romaines qui ravagent Coracesium et font de nombreux prisonniers et de nombreux morts parmi les pirates.

Au total, suite à la campagne de Pompée qui dura seulement trois mois, on estime (sans grande conviction toutefois) que 1300 navires pirates ont été coulés, 400 ont été pris ; 10 000 pirates ont été tués et 20 000 furent faits prisonniers.
La Méditerranée était désormais officiellement romaine.

Mais la piraterie, si elle était considérablement affaiblie, n’en était pas pour autant totalement définitivement éradiquée.  En effet, peu après la mort de Pompée en 48 av. J.-C., réapparaît une force pirate menaçante, dirigée selon les rumeur par le fantôme de Pompée. En réalité, le chef de cette force pirate était Sextus Pompée, le fils du triumvir. Sextus Pompée avait reforgé une puissance pirate afin de combattre l’ennemi juré de son père, Jules César.

Après la mort de Jules César en mars 44 av. J.-C., Octave et Antoine devinrent triumvirs. Ils cherchèrent à leur tour à s’opposer à la menace pirate, toujours grandissante sous l’égide de Sextus Pompée, et qui entravait gravement le commerce romain. Mais ils furent entravés par la sympathie qu’éprouvait le peuple romain pour le pirate qui était le fils d’un grand homme, et par le peu d’interventions du Sénat. En 39 av. J.-C., les triumvirs décidèrent de négocier avec Sextus Pompée : le chef des pirates s’engagea à ne plus attaquer les navires de commerce, en échange de la cession de la Sicile, de la Sardaigne et de la Corse par les Romains. Ainsi, à travers ce traité, la piraterie était semble-t-il reconnue comme une véritable puissance. Mais ce traité ne fut qu’éphémère, et la flotte de Sextus Pompée fut défaite par la flotte romaine qui dut intervenir en 36 av. J.-C. au large de la Sicile, et les pirates furent contraints de se réfugier en Asie Mineure. Là-aussi, la menace pirate, si elle était affaiblie, subsistait néanmoins.

Source : Robert DE LA CROIX, Histoire de la Piraterie, L’Ancre de Marine, 1995


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