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Philippe Claudel, Le rapport de Brodeck

Publié le 19 mai 2008 par I_love_vintage

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« De grâce, souvenez-vous » : c’est sur cette injonction que Brodeck, parvenu au terme du « rapport » que lui ont demandé de rédiger les hommes de son village - mais aussi arrivé à la fin d’un travail d’écriture voué à recueillir sa propre angoisse, achève le long récit du rapport de Brodeck. Ce texte à la première personne qui se déroule dans un obscur village rural dans la période tangente de l’après-guerre, est un roman délicat, où tout est dit à demi-mot. Nul n’y prononce jamais le mot « juif », encore moins « extermination » ; et depuis ce thème sous-jacent s’articule celui de la haine de l’autre. Non-dit élevé au statut de forme romanesque et relayé avec insistance par l’écriture – l’intrigue se noue autour de « l’Evénement », formulé en patois « Ereigniës » - procédé qui veut manifester la puissance morbide du silence, né de la peur, de l’ignorance et de la bêtise.

Il faut reconnaître à Philippe Claudel le talent de la sensibilité. Tout est à fleur de peau autour du héros qui ne l’est pas moins. Ambiances glauques, regards torves, silences lourds de sous entendus : l’écriture restitue un climat lourd de haine sous-jacente qui évoque certain Christ aux outrages flammand. Il y a quelque chose de l’innocent immolé sur l’autel de la furie collective en Brodeck, bouc émissaire voué au sacrifice revenu - par la seule folie de son innocence - sur le lieu de sa condamnation à l’abattoir. Le récit du roman se tisse autour de celui de l’épreuve, qui s’impose à cet innocent, de devoir justifier – contraint par la terreur exercée par ses voisins - la mise à mort d’un autre innocent, l’Anderer, l’Autre, l’étranger. Arrivé on ne sait pourquoi et on ne sait d’où au village, il se distingue par ses mœurs étranges, différentes de celles des gens d’ici, et par une curieuse faculté de faire ressurgir du placard des squelettes que l’on voudrait bien y laisser enfermer.
Brodeck scrutant les mécanismes implacables du mal et de son emprise sur l’homme, pris en communauté, ausculte son drame personnel, tâtonne. Quelles sont les limites de l’humanité ? Quelle est-elle, la ligne rouge, celle qui fait que d’un homme il ne reste rien, ce rien qui tient une place si marquante dans les dédicaces et l’incipit du roman ? Autant de flash-back, toujours à demi-mots, reconstituant son histoire, et progressivement la responsabilité de la communauté qui l’entoure et des lâches qui la composent dans l’anéantissement infligé à son être.


Oui, Brodeck peut dire « je n’y suis pour rien ». Il reste que l’extrême sensibilité du roman et ce système de non-dits le rendent d’une lecture pénible, lourdement pathétique – au sens propre du terme. Phlippe Claudel va un peu trop loin dans le pathos narratif et dans la caricature pour que son propos reste digeste. Peut-être à cause d’une volonté excessive de tirer de belles leçons humanistes de son récit? Brodeck pourrait le dire lui-même, l’enfer est pavé de bonnes intentions.

Paris, éd. Stock, 401 p., 21,50 €. Prix Goncourt des lycéens.


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