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Montbovon, de Christian Campiche

Publié le 06 septembre 2015 par Francisrichard @francisrichard
Montbovon, de Christian Campiche

En 1940, la Suisse a accueilli plus de réfugiés qu'on ne croit ou qu'on ne dit. Certes cela ne fut pas toujours dans les meilleures conditions, mais on oublie un peu trop dans quel contexte cela se produisit: " L'image d'une Suisse opulente, profitant des malheurs des autres, ne collait pas à la réalité. La majorité du peuple souffrait. "

C'est dans ce contexte que Christian Campiche a choisi de raconter, dans un roman, le sort de soldats polonais internés ici à cette époque-là. Et il montre, avec beaucoup de nuances, comment cet internement s'est déroulé pendant tout le conflit, devenant d'ailleurs de moins en moins strict au fur et à mesure que la défaite allemande se précisait.

Le narrateur, 25 ans en 1939, prof de français, et son ami Grosz, 27 ans, mouleur dans un atelier de galvanoplastie, après la débâcle de la Pologne, décident de rejoindre l'armée polonaise libre en France, avec pour objectif de libérer leur patrie. Après un périple à travers l'Europe occupée, ils parviennent à Parthenay, où des instructeurs leur apprennent le maniement des armes.

Grosz meurt au cours des combats contre les Allemands. Il laisse des poèmes en héritage à son ami le narrateur, qui se sent investi de la mission de les publier un jour. Avec d'autres compatriotes, et les corps de camarades, dont celui de Grosz, le narrateur passe la frontière suisse. Ils sont alors tous désarmés et leurs armes livrées aux Allemands.

Tandis que Grosz est enterré avec les autres tués dans le cimetière de Saignelégier, les survivants sont dispersés et le narrateur se retrouve chez des paysans de Suisse centrale qu'il aide " à porter des boyes de lait et à faucher le blé ". Cette vie agreste est de courte durée. Deux soldats viennent l'y chercher, pour le conduire avec d'autres polonais dans un camp insalubre, à Büren.

Le commandant Fafner, responsable de Büren, croit à la victoire de l'Allemagne et n'est guère sympathique à l'égard de ces étrangers à qui la Suisse accorde l'asile. Il appartient à la catégorie de ceux qui sont " très compétents pour cacher leur incompétence ". Ne parlant que l'allemand, il a demandé à un sous-officier, l'adjudant Cornaz, de traduire ses propos en français.

Cornaz et le narrateur se lient d'amitié. Cornaz l'appelle Régent, en raison de sa profession dans le civil. Il lui confie que Fafner est détesté par tout le monde:

" Ce n'est qu'un roquet qui postillonne sur sa moustache et applique à la lettre les directives de l'état-major. On lui a dit de bâtir un camp, il l'a fait [...]. Les 'invités' sont priés de remercier la Suisse, car elle leur offre l'asile. En échange ce pays attend d'eux une docilité parfaite. "

Par bonheur pour lui, le narrateur ne reste pas à Büren. Pour construire une route, il est transféré au camp de Gérignoz dans le Pays-d'Enhaut, proche de Château-d'Oex et de Montbovon:

" Gérignoz est un hameau qu'enserre un cirque de prairies. On dirait que la montagne le tient dans sa paume qui est tantôt noire, tantôt rouge, quand la Gummfluh s'embrase au soleil couchant, tel un sommet de l'ouest américain peint par Bierstadt. "

Lors de ce transfert, en gare de Lausanne, il fait connaissance avec Mutti, sa marraine de guerre, une grande femme d'une soixantaine d'années, qui habite Genève et avec laquelle il va correspondre pendant toute la durée des hostilités; et, à Vevey, avec le major Oskar, qui appartient au commandement régional polonais et qui le charge officieusement de l'informer sur ce qui se trame dans le réduit alpin.

Pendant ces années-là, le narrateur vit sa vie de jeune homme et raconte ses activités, ses amitiés, ses amours... et les drames qui, parfois, l'émaillent et dont il ne sort pas complètement indemne. Et, puis, il y a son après-guerre, qui apparaît comme une fermeture de sa parenthèse helvétique, avec l'accomplissement de ce qu'il estime être son devoir envers la mémoire de Grosz et qu'il fait, peut-être, passer un peu trop avant le reste.

Peut-être pas. L'épilogue ne dit pas s'il parvient à remplir sa mission de publier l'oeuvre de Grosz et si cette dernière passe "le cap des censeurs qui régissent la culture populaire" de sa Pologne natale, maintenant sous coupe soviétique. Tout juste peut-on se dire que, parmi les poèmes reproduits dans le livre, celui-ci semble s'appliquer non seulement au poète qui l'a composé, mais aussi à celui qui l'a conservé:

J'eus à choisir entre deux terres. Fallait-il qu'ils me haïssent Pour m'éloigner ainsi de ma nourrice?

Francis Richard

Montbovon, Christian Campiche, 136 pages, Éditions de l'Aire

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