" Si ce n'est pas l'heure [des caractères], surtout passez-vous de moi parce que c'est mieux d'avoir des gens plus tranquilles (...), des François Hollande et tous les autres fromages lyophilisés que vous pouvez trouver. " (Jean-Luc Mélenchon le 6 décembre 2010).
Pour une fois, ce fut une "courte" conférence de presse, à savoir seulement ...deux heures ! Introduite par un exposé de vingt minutes, la sixième conférence de presse du Président de la République François Hollande s'est tenue ce lundi 7 septembre 2015 à 11 heures dans les salons luxueux de l'Élysée. Comme à chaque exercice, l'ensemble du gouvernement était présent.
Bien entendu, la nouvelle Ministre du Travail, Myriam El Khomri a été parmi les plus observées de la matinée, elle qui a bien compris, comme le fait Nicolas Sarkozy, qu'il fallait cacher le mouvement de ses lèvres quand on fait des messes basses, pour éviter d'être écouté (ici avec sa collègue Marisol Touraine).
De tous les Présidents de la V e République, c'est sans doute François Hollande qui s'est le plus prêté à ce petit jeu de communication. Ses prédécesseurs, généralement très enthousiastes au début, ont espacé puis oublié ce genre d'exercice lorsqu'ils furent "en pleine action". C'est peut-être cela qu'il en est ressorti, comme à chaque fois, que François Hollande, lui, ne fait pas grand chose et qu'il s'attache donc à le faire savoir souvent, à défaut d'être en pleine action.
Si l'on ajoute à cela le ton monocorde et un peu chantant d'un curé de campagne, provenant d'une mauvais imitation de François Mitterrand ( Thierry Le Luron était nettement meilleur), ainsi qu'une fatigue évidente (il a dit, par exemple, " certificat anonyme " pour parler du CV anonyme), on pourra comprendre que les Français se seront désintéressés de cette communication très solennelle..
Un événement historique
Commençant longuement par le thème d'actualité, les réfugiés du Daech, François Hollande a tenté de prendre le train allemand en marche. Alors que le 16 mai 2015, son Premier Ministre Manuel Valls avait rejeté catégoriquement le plan Juncker qui proposait une répartition équitable de l'accueil des réfugiés, ce qui signifiait l'accueil en France de 10 000 réfugiés, voici François Hollande proposant l'accueil en France de ...24 000 réfugiés. Et encore, sur deux ans et pas de sa propre initiative mais par un plan européen prêt à accueillir 120 000 réfugiées en Europe.
On se noie vite avec les nombres. François Hollande a indiqué simultanément qu'il n'y avait pas eu de hausse, cette année, du nombre de demandeurs d'asile, à savoir 60 000. L'Europe propose 120 000 places ? Mais François Hollande a indiqué que 350 00 avaient déjà fait le voyage depuis le début de l'année !
Faut-il aussi comparer : 24 000 réfugiés en France sur deux ans, 800 000 réfugiés accueillis en Allemagne pour la seule année 2015 ? Et pas accueillis n'importe comment : sans réticence, avec une véritable joie populaire, assez similaire de celle vécue à la chute du mur de Berlin, avec des citoyens allemands qui offrent spontanément des petits cadeaux de bienvenue aux réfugiés arrivant (enfin) en train dans les grandes villes allemandes.
François Hollande n'a pas du tout fait comprendre cela au peuple français : que l'arrivée massive des réfugiés syriens et irakiens est un événement historique (qu'on le veuille ou pas) et que ce n'est pas avec ses méthodes d'un pas en arrière et un pas de travers qu'on répond à un tel enjeu historique. En gros, on veut bien aider, mais sur le bout des lèvres, sans le dire trop fortement des fois que la "méchante" présidente du FN pourrait crier trop fort.
Lepénisation des esprits
Ce qui est en plus navrant, c'est qu'avec François Hollande, la lepénisation des esprits est largement en cours. Je l'avais déjà largement évoqué à l'époque de l'expulsion de Leonarda où François Hollande avait clairement donné l'équivalence immigration et insécurité. Il avait récidivé, sans doute par maladresse, en évoquant explicitement des "Français de souche". Ce n'était pas nouveau, il avait déjà racolé quelques voix du FN entre les deux tours de la présidentielle de 2012.
Le voici ce 7 septembre 2015 poursuivant cette lepénisation (à son insu bien sûr) en voulant différenciant très fermement les réfugiés, entre les réfugiés politiques et les réfugiés économiques " et qu'on ne peut pas recevoir ". Quelques minutes plus tard, François Hollande allait parler de sa future loi contre les discriminations pour le "vivre ensemble" en toute égalité, et là, il fait une grande différence entre "migrants" (différences d'ailleurs impossible réellement à faire pour des pays comme le Nigeria ou l'Égypte). Si le petit Aylan avait été un réfugié économique, y aurait-il réellement une différence d'humanité ? Cela aurait-il été moins ...scandaleux ? Ces réfugiés économiques ont tout autant risqué leur vie à faire la traversée (de la mer ou du désert, là n'est pas le problème), le problème ne se résoudra pas en différenciant ceux qui arrivent sans cesse vers nos rivages.
Je ne le blâme pas, je regrette seulement que François Hollande n'ait aucune morale personnelle, pas qu'il soit immoral mais amoral. En faisant la distinction entre les réfugiés, il ne fait que reprendre la mode actuelle, ce qu'il se dit dans les médias, surfant sur des idées reçues et autres réflexions préfabriquées. En bref, je regrette qu'il n'ait pas de colonne vertébrale solide sur le plan des valeurs (c'est pourtant sur ce sujet-là qu'il doit son élection par la désaffection d'un certain nombre d'électeurs de Nicolas Sarkozy en 2012). Jacques Chirac, opportuniste bien connu sur le plan politique, avait au moins de la solidité sur le plan des valeurs.
Pourtant, il est capable de prononcer de belles phrases, comme celle-ci : " Et la France, elle a son honneur, face à l'horreur, d'être à la hauteur. ". Phrase creuse comme toutes les autres.
Vols de reconnaissance
Pour "traiter" le problème des réfugiés en amont, François Hollande a annoncé que dès le lendemain, des avions français survoleraient la Syrie pour des vols de reconnaissance. Même si jusqu'à maintenant, la France ne voulait intervenir contre le Daech qu'en Irak, cette annonce ne va pas bouleverser la donne géopolitique dans la région.
Il a en particulier refusé toute idée de faire intervenir des troupes sur le sol syrien sans donner beaucoup de raisons convaincantes : au Mali, seules les troupes au sol ont pu venir à bout de la rébellion islamiste. Hélas.
François Hollande veut donc chercher une impossible voie en mettant en Syrie Assad et le Daech sur le même pied d'égalité, comme tous les deux ennemis, et en voulant une solution politique et diplomatique (avec la Russie, l'Arabie Saoudite et l'Iran notamment) sans esquisser les forces politiques qui feraient partie du "gouvernement d'union" qu'il a appelé de ses vœux en Syrie. Autant dire qu'il a renoncé à toute amélioration en Syrie.
Baisse d'impôts ?
Une nouvelle fois, François Hollande a annoncé une baisse d'impôts de 2 milliards d'euros touchant 8 millions de ménages. Comme les précédentes annonces qui sont rarement suivies des faits, cette annonce a été prononcée en langue hollandienne pure, à savoir, à mettre en relation avec l'inversion de la courbe du chômage ou le retour à la croissance en pleine récession. Il faut juste y croire. Charles Pasqua revisité ("Les promesses n'engagent que ceux qui les écoutent").
Comme depuis trois ans, François Hollande a un discours budgétaire flou. Comment financer les 2 milliards d'euros ? Aucune piste. Si ce n'est qu'il a laissé un indice en évoquant "l'aide" de 3 milliards d'euros aux agriculteurs, débloquée le 3 septembre 2015. Là, c'est plus clair : pas question de les considérer comme des dépenses de l'État. Il a avoué que ce n'était pas une aide de l'État mais juste un encouragement à un financement multiple à hauteur de 3 milliards d'euros. Je suppose donc qu'un agriculteur qui a écouté attentivement cette conférence de presse va reprendre immédiatement son tracteur et foncer sur Paris... Au même moment à Bruxelles, la Commission Européenne a octroyé 500 millions d'euros aux agriculteurs européens.
Quant à la redevance de l'audiovisuel public, il s'est prononcé contre la taxation des objets connectés mais a annoncé qu'une réflexion était en cours malgré tout... Du Hollande, quoi.
Politique intérieure
Évidemment, François Hollande a été interrogé sur une éventuelle primaire pour départager le candidat à gauche en 2017, dispositif qu'il a rejeté en disant que cela ne le concernait pas. Il n'a plus, d'ailleurs, évoqué la baisse du chômage comme condition à une nouvelle candidature.
Il a profité de l'actualité très chaude des réfugiés pour faire des parallèles vaseux avec la politique politicienne en prônant le rassemblant à gauche et même au-delà de la gauche. Il a notamment affirmé : " La dispersion, c'est la disparition ! " en pensant très fort aux écologistes ou à Jean-Luc Mélenchon. Et en argumentant sur le "principe de pureté" et "l'entre-soi" que prôneraient certaines formations politiques (on ne sait pas trop si c'est pour concourir électoralement de manière indépendante ou refuser l'accueil des réfugiés syriens).
François Hollande a parlé également de sa volonté de faire une révision constitutionnelle sur deux points : sur les langues régionales pour se mettre en accord avec l'Europe, et sur la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, en espérant réunir une majorité suffisamment nombreuse pour aboutir avec succès.
Enfin, dernière petite annonce, François Hollande a évoqué une réforme de la procédure législative, afin de pouvoir adopter une loi plus rapidement (je suis formellement contre tout ce qui empêcherait de donner aux parlementaires un peu de recul avant de légiférer, parfois à chaud sous le coup de l'émotion), avec soit une simple réforme du règlement intérieur des assemblées (faut-il une communication du chef de l'État pour parler d'une réforme d'un règlement intérieur ?), soit éventuellement une révision constitutionnelle qui nécessiterait alors une majorité des trois cinquièmes des parlementaires.
Un exercice très inutile
Autre absence qui n'a même pas été remarquée par les journalistes, l'Europe. En dehors du sujet des réfugiés, l'Europe n'a pas semblé beaucoup intéresser François Hollande alors que cela fait trois ans et demi qu'il a annoncé une grande initiative pour relancer la construction européenne (après un été calamiteux et des sondages qui donneraient désormais une majorité aux Britanniques qui veulent quitter l'Union Européenne)...
En résumé, voilà une conférence de presse qui n'aura servi à rien. C'était prévisible comme c'était prévisible qu'aucune nouvelle initiative n'a été annoncée pour redresser l'économie nationale. Pire, il a même regretté ses regrets à propos de la TVA sociale qu'il avait supprimé au début de son mandat et n'a évidemment annoncé aucune réforme structurelle (quant à la durée du temps de travail, méfions-nous des faux amis : changer une nouvelle fois la durée du temps de travail désorganiserait une nouvelle fois les entreprises et leur coûterait très cher).
Élu par défaut, François Hollande décidément manque d'ambition.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (7 septembre 2015).
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Le nœud hollandien.
Il faut accueillir les réfugiés syriens.
La sixième conférence de presse présidentielle (7 septembre 2015).
La cinquième conférence de presse présidentielle (5 février 2015).
Je suis Charlie.
Tout est possible en 2017...
Mathématiques militantes.
Le nouveau paradigme.
Interview présidentielle sur TF1 (6 novembre 2014).
Bientôt la proportionnelle intégrale ?
Quatrième conférence de presse de François Hollande (18 septembre 2014).
Discours du Bourget de François Hollande (22 janvier 2012).
Confiance étriquée pour Manuel Valls (16 septembre 2014).
La trace de François Hollande (14 juillet 2014).
Le couple Hollande-Valls.
Manuel Valls.
Le roi du monde (6 juin 2014).
Troisième conférence de presse de François Hollande (14 janvier 2014).
Une empathie combative ?
L'humour présidentiel à la radio.
Jusqu'où descendra-t-il ?
La courbe du chômage...
Faut-il supprimer l'élection présidentielle ?
La République du couac ...ou du non dit.
Interview présidentielle sur TF1 (15 septembre 2013).
Pourquoi il ne fallait pas voter pour Hollande ?
Aucune autorité sur ses ministres.
Interview présidentielle du 14 juillet 2013.
Remous électoraux du FN.
Première année du quinquennat de François Hollande.
Deuxième conférence de presse de François Hollande (16 mai 2013).
Interview présidentielle sur France 2 (27 mars 2013).
Première conférence de presse de François Hollande (13 novembre 2012).
Interview présidentielle sur TF1 (9 septembre 2012).
Interview présidentielle sur France 2 (29 mai 2012).
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20150907-hollande.html
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/manque-d-ambition-face-a-l-171550
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2015/09/08/32579825.html